Christian Boltanski à propos de son travail

21 mai 1996
03m 11s
Réf. 00234

Notice

Résumé :

Dans cette interview, Christian Boltanski explique sa conception de son travail d'artiste, son choix de traiter des thèmes simples et universels que tout le monde peut comprendre et s'approprier. Il estime que c'est le spectateur qui fait l'oeuvre à partir de son propre passé.

Type de média :
Date de diffusion :
21 mai 1996
Source :
Lieux :

Éclairage

La subjectivité de l'artiste joue un rôle moteur dans le processus de création de ses oeuvres : plus qu'une évidence, ce principe est une conviction théorisée par l'artiste Christian Boltanski dès 1972 (à travers l'idée de "mythologie individuelle") et défendue tout au long de sa carrière. Les premières oeuvres de cet autodidacte né à Paris dans une famille juive en 1944 portent ainsi la marque de l'Histoire. Conçues à l'âge de 14 ans, ces toiles présentent des personnages fantomatiques qui renvoient au traumatisme de la Shoah vécu par l'adolescent et ses proches.

À partir de 1967, Boltanski diversifie les formes d'expression. Membre du courant Narrative Art (qui revendique la relation mentale entre le texte et l'image), il s'essaie à l'écriture, la sculpture, la photographie et au cinéma, qui lui permettent d'explorer des thèmes chers comme ceux de l'enfance (La chambre ovale, acrylique 1967), de la mort (L'Homme qui tousse, film, 1969) ou de la mémoire (Essai de reconstitution (Trois tiroirs), boîte en fer, 1970-1971). Marié à l'artiste Annette Messager, Christian Boltanski acquiert une renommée internationale et reste l'un des artistes français les plus connus dans le domaine de l'art contemporain.

Claire Sécail

Transcription

Christian Boltanski
Moi je travaille que sur des choses que tout le monde sait. Je pense qu'en art, il ne faut jamais découvrir mais qu'il faut reconnaître, et donc je travaille sur des choses qui sont extrêmement simples et pas du tout intellectuelles. Et effectivement, pourquoi quelqu'un meurt et untel ne meurt pas, et c'est des choses que tout le monde se pose comme questions. Donc c'est pas des, et le travail de l'artiste, c'est peut-être simplement de souligner à un moment donné, d'une manière un peu plus marquée, une question pour que les gens se la posent un peu plus profondément. Je crois que, réellement, qu'on ne peut parler que de ce que l'autre sait, c'est-à-dire que si je vous dis : j'ai extrêmement mal à la tête. Vous ne pouvez comprendre cela que parce que vous avez eu mal à la tête, et naturellement votre mal de tête n'est pas semblable au mien. Mais il y a quelque chose qui est entre nous, qui fait que si je vous dis : j'ai mal à la tête, vous allez comprendre. Et si aujourd'hui on peut lire Proust, c'est parce que, on se reconnaît à chaque page, parce qu'on a tous été jaloux, parce qu'on a tous été seul dans une chambre en attendant sa mère,
Laure Adler
Surtout vous, pour la maman,
Christian Boltanski
On dit toujours soi, c'est toujours, ah oui c'est moi, il parle de moi, et en fait le, je crois que quand on est artiste, on envoie une sorte de stimulus. Et puis c'est toujours celui qui regarde l'oeuvre, qui fait l'oeuvre, et qui le fait avec son propre passé. Si je montre une photographie d'un enfant qui court sur une plage, pour l'un ça va être la photographie de son frère, pour l'autre de son neveu. La plage va être celle de Dinan ou celle de Berck, donc c'est à chaque fois, celui qui regarde l'oeuvre qui fabrique l'oeuvre. Et il y avait une chose qui m'avait fait plaisir, comme ça, j'avais exposé au Japon, et je connaissais très peu de choses de la culture japonaise, et les Japonais me disaient : votre art est tellement japonais et vous ressemblez à un japonais, vous devez avoir un grand-père japonais. Et j'étais très content parce que je me disais : si j'expose peut-être en Afrique, les Africains vont me dire : votre art est tellement africain, en tout cas ce serait le rêve, vous ressemblez à un africain. Et donc c'est toujours celui qui regarde l'oeuvre qui fait l'oeuvre, il le fait avec tout ce qu'il sait et qui le reconstruit complètement. Quand j'étais plus jeune, j'avais une idée mais qui est un peu romantique et qui est en tout cas est très chrétienne, qui était que l'artiste, c'est quelqu'un qui tient un miroir devant son visage et que chaque personne qui le regarde se reconnaît, et finalement lui n'a plus aucun visage, il n'existe plus ; il n'est plus que le désir des autres. Il y a une histoire de, je crois, de Bradbury, comme ça qui est jolie, où c'est des gens qui ont perdu un enfant. Et puis ils se promènent et ils trouvent leur enfant, qui était mort puis ils le trouvent vivant, donc ils sont très, très heureux. Et puis un jour ils vont en ville avec cet enfant, et brusquement il y a quelqu'un qui dit : papa ! tu étais mort il y a 6 mois. Et puis une femme qui dit : mon mari ! qui était mort il y a 3 mois. Et donc en fait, c'est un martien, et cet enfant n'a aucun visage, il n'a le visage que du désir des autres. Et quand on est artiste, c'est un petit cela, on n'est plus rien et on n'est plus que le soi des autres.