Parcours thématique

La Bretagne, terre de théâtre

Soline Levaux

Introduction

La Bretagne est connue pour son activité culturelle très dense. Aujourd'hui, les festivals de musique et de théâtre prolifèrent tous les étés. Cet engouement pour la culture s'inscrit d'abord dans l'histoire de la décentralisation théâtrale qui donne un élan au théâtre, puis plus largement à la culture, et rend possible l'expérience du théâtre populaire. L'institutionnalisation du théâtre en région ne doit pas pour autant masquer les autres tentatives, plus modestes mais tout aussi importantes de diffusion de la culture et plus particulièrement du théâtre. Cependant, avant de devenir un enjeu économique, le théâtre est et reste une pratique artistique, partagée par les professionnels et les amateurs qui ont toujours été nombreux en Bretagne.

La décentralisation théâtrale dans l'Ouest, un théâtre institutionnel

Genèse

C'est à la Libération que se met en place la décentralisation théâtrale, dans toute la France. Les expériences du Cartel, de Jacques Copeau, les activités théâtrales menées sous l'Occupation servent de modèle à Jeanne Laurent, sous-directrice des spectacles et de la musique à la Direction Générale des Arts et des Lettres, pour créer des théâtres nationaux en province. Il faut rendre la culture accessible au plus grand nombre, rendre le théâtre populaire. Ce mouvement de décentralisation préfigure toute la décentralisation administrative de la deuxième moitié du XXe siècle. Entre 1947 et 1951, cinq Centres Dramatiques sont créés. A Rennes, Jeanne Laurent s'appuie sur la troupe amateur "Les Jeunes Comédiens" pour porter le projet. En 1940, Jean-Louis Bertrand a fondé cette troupe formée de passionnés. Ils se produisent dans toute la Bretagne. Rapidement, ils fidélisent un public breton qui n'a que très rarement l'occasion d'assister à des représentations théâtrales. La troupe participe même à un concours national à Paris visant à récompenser les jeunes compagnies. Ce terrain favorise l'implantation d'un Centre Dramatique à Rennes. Hubert Gignoux - que Guy Parigot, membre des "Jeunes Comédiens" rencontre lors de stages parisiens - porte le projet et plaide la cause auprès de Jeanne Laurent. En novembre 1949, sous la direction d'Hubert Gignoux, naît le Centre Dramatique de l'Ouest (CDO).

 Jeanne Laurent

Jeanne Laurent

Jeanne Laurent, initiatrice de la politique de décentralisation théâtrale, revient sur le rôle de Charles Dullin dans la création et le maintien des centres dramatiques.

29 avr 1985
01m 31s

Naissance et reconnaissance de la Comédie de l'Ouest

A la fin de la saison 1955-1956, le CDO devient la Comédie de l'Ouest, Centre Dramatique National. Ce nouvel intitulé donne une dimension nationale qui met en valeur son origine et sa fonction. Au même moment, Hubert Gignoux est appelé par Jeanne Laurent à prendre la direction du Centre Dramatique de l'Est à Strasbourg. Il cède donc son poste de directeur à Guy Parigot et Georges Goubert. Après un parisien, ce sont deux Rennais qui vont s'occuper du rayonnement de la CDO. C'est le signe d'une véritable décentralisation et non plus seulement d'une déconcentration des moyens venue de Paris. En 1961, la CDO élargit son champ d'action et ouvre une succursale à Caen. Car si les missions de la CDO sont de créer et de produire des spectacles, il est important également de les montrer à un large public, souvent novice. L'esprit de troupe est primordial dans ce travail itinérant. C'est d'ailleurs cet esprit qui fonde la CDO. Constitué en Société Coopérative Ouvrière de Production Artistique, la CDO fonctionne grâce à la polyvalence de ses membres. Chacun participe à toutes les tâches, de la création à la diffusion du spectacle.

 La Comédie de l'Ouest

La Comédie de l'Ouest

Guy Parigot et Georges Goubert co-dirigent la troupe de théâtre la Comédie de L'Ouest. Basée à Rennes, la CDO sillone le grand Ouest. Ses comédiens organisés en coopérative se produisent ainsi dans les théâtres de la région.

16 nov 1963
03m 45s

La maison de la culture

Avec l'arrivée d'André Malraux au ministère des Affaires Culturelles, un nouvel élan est donné à la culture. Il décide la construction partout en France d'équipements culturels polyvalents. En effet, le but est de faire coexister dans un même lieu une bibliothèque, une salle de spectacle, un auditorium, une salle d'exposition, un cinéma... Pour Malraux, il faut démocratiser la culture en invitant le citoyen à se confronter physiquement à l'œuvre d'art. La CDO et la ville de Rennes sont fortement intéressées par un projet comme celui-ci. C'est un équipement qui permettrait de donner de l'envergure aux actions culturelles de la ville. De plus, la CDO commence à se sentir à l'étroit dans ses petits locaux de la rue de Redon. Le CDN devient important, les décors sont imposants, il faut à la CDO un lieu plus approprié. Le dynamisme de la CDO est un atout important pour défendre le projet d'une maison de la culture à Rennes auprès du ministère. La politique de Malraux s'inscrit dans la continuité de celle de Jeanne Laurent. En février 1962, le ministère décide finalement de construire une maison de la culture à Rennes. C'est Guy Parigot et Georges Goubert qui en deviennent logiquement les directeurs.

 La comédie de l'Ouest en représentation à Angers

La comédie de l'Ouest en représentation à Angers

La compagnie la Comédie de l'Ouest est actuellement en tournée. Le comédien Guy Parigot décrit le fonctionnement de la troupe qui interprète, ensuite, une scène de la pièce tragi-comique La Grande Oreille de Pierre-Aristide Bréal.

06 fév 1965
03m 39s

Pendant la construction du bâtiment, qui prend un certain temps, la CDO s'installe rue Saint Louis où la municipalité vient de racheter un cinéma. Le 21 décembre 1968, la maison de la culture ouvre officiellement ses portes rue Saint Hélier.

 Ouverture de la Maison de la Culture de Rennes

Ouverture de la Maison de la Culture de Rennes

Rennes ouvre sa Maison de la Culture. MM. Leroux, Parigot et Goubert présentent successivement la structure, son public, ses aménagements et la programmation. Ce lieu est un lieu de rencontre entre un public varié et diverses disciplines culturelles.

16 oct 1965
03m 57s

Durant les années 1970 et jusqu'au milieu des années 1980, la maison de la culture et le CDN poursuivent leurs missions conjointement. Après plusieurs difficultés de gestion financière et administrative, les deux structures disparaissent pour laisser place au Théâtre National de Bretagne (TNB) en 1990. Le TNB est aujourd'hui reconnu comme Centre Européen de Production Théâtrale et Chorégraphique et participe au programme européen Prospéro.

Aujourd'hui, le réseau des théâtres subventionnés par l'Etat en Bretagne s'est densifié. Tous les départements ont leur CDN. Mais au delà de ces expériences institutionnelles, il existe des initiatives locales qui font vivre le théâtre en milieu rural.

 Le nouveau théâtre de Dinan

Le nouveau théâtre de Dinan

Dinan inaugure son théâtre municipal, le théâtre des Jacobins. Les habitants livrent leurs attentes. Ils souhaitent de la diversité dans les spectacles. Georges Goubert, quant à lui, revient sur l'importance de la décentralisation culturelle.

10 sep 1966
02m 37s

Le théâtre, moteur de développement local

L'exemple du théâtre de Poche à Hédé

A la fin des années 1970, la commune d'Hédé en Ille et Vilaine vit une expérience théâtrale hors norme qui mobilise une grande partie du village. A la demande de l'association ADEC (Art Dramatique Expression Culture), deux comédiens danseurs (Bernard Libault et Michel Estier) s'installent dans le village pour proposer une vie associative et artistique à Hédé et dans ses environs. Avec le soutien de la mairie, ils ont pour mission de créer des spectacles, de les diffuser, mais aussi de faire un travail de formation auprès d'un public initié ainsi qu'un travail de sensibilisation dans les écoles. Le ballet Libault Estier pose ses valises au centre du village, dans les anciennes halles en 1974. Le théâtre de Poche est né. Le temps fort de ce petit théâtre, c'est le festival qui a lieu chaque année au mois d'août. Toute la population participe activement à la préparation et au bon déroulement de la manifestation. La municipalité et le syndicat d'initiative s'impliquent fortement dans le festival. Ils y voient un moyen de développer l'activité du village et des alentours et de créer ainsi une attraction durable pour la commune.

Malgré un succès populaire non démenti sur plusieurs éditions, le festival meurt, faute de financements plus conséquents. Cette initiative locale a pourtant révélé les potentialités d'un tel événement sur une petite commune. La notion de "décentralisation culturelle" est devenue peu à peu un enjeu pour le monde rural, au delà de l'institutionnalisation que l'expression représente en réalité.

 Le théâtre de poche de Hédé

Le théâtre de poche de Hédé

A l'initiative de deux comédiens, Michel Estier et Bernard Libault, un Théâtre de Poche voit le jour à Hédé, commune rurale d'Ille et Vilaine. Ce projet a reçu le soutien de la municipalité et rencontre un vif succès auprès de la population.

30 déc 1976
11m 39s

Il faut attendre le milieu des années 1990 pour voir renaître le festival du théâtre de Poche. En 1992, Brigitte Fontaine et sa compagnie l'Echo Théâtre reprennent la gestion du théâtre de Poche. En 1994 le festival est relancé. Aujourd'hui, il est reconnu comme un événement théâtral incontournable pour les jeunes compagnies professionnelles bretonnes.

Un théâtre à Pont-Scorff

A partir des années 1980, le gouvernement donne aux élus locaux la possibilité de s'emparer des questions liées à la culture. Avec les lois Defferre sur la décentralisation, la culture devient un enjeu local. S'il est évident que les communes n'ont pas les mêmes moyens que les grandes métropoles, elles sont plusieurs à se lancer dans des actions culturelles ambitieuses, misant sur les différentes attractions que peut susciter ce type d'aménagement. A Pont-Scorff, à la différence de Hédé, l'initiative émane de la municipalité et non pas d'une association ou d'une compagnie professionnelle. Associer la culture à l'économie n'est plus tabou, et on compte sur des équipements culturels pour relancer une nouvelle dynamique dans les communes. Ces nouvelles perspectives sont envisageables grâce aux mutations du monde rural. Les données sociologiques et démographiques ont évolué. A la campagne, on ne trouve plus seulement des agriculteurs. A Pont-Scorff, la mairie a construit un espace culturel polyvalent qui permet de diversifier l'offre et le public. La structure est composée d'un théâtre, d'un cinéma, mais aussi d'un musée sur les arts et métiers qui offre une perspective plus patrimoniale et plus touristique. Pour la mairie, investir dans un tel bâtiment, c'est donner une chance à une commune de centre Bretagne de rester vivante et attractive.

 Un nouveau théâtre en milieu rural

Un nouveau théâtre en milieu rural

La commune de Pont Scorff, dans le Morbihan, mise sur la culture afin de développer son économie. Le Strapontin, le théâtre municipal, vient d'être inaugurer. Plus qu'un théâtre, cet espace est un lieu de vie rassemblant musique, cinéma, théâtre.

24 mai 1998
01m 39s

Dans les années 1970, les initiatives sont associatives. A partir des années 1980, les collectivités locales prennent les problématiques culturelles en main. Cependant, un des facteurs qui peut expliquer que ces expériences théâtrales sont possibles en milieu rural, c'est sans doute que les Bretons pratiquent traditionnellement le théâtre en amateur. Si aujourd'hui les pratiques se sont diversifiées, il n'en reste pas moins que depuis longtemps le théâtre en Bretagne est un espace de sociabilité.

Le théâtre en amateur, une tradition en Bretagne

 Congrès de la Jeunesse Catholique à Laval [Muet]

Congrès de la Jeunesse Catholique à Laval [Muet]

Les mouvements de la jeunesse catholique, notamment la JAC (Jeunesse Agricole Catholique) et la JOC (Jeunesse Ouvrière Catholique), sont rassemblés à Laval. Les groupes de filles et de garçons défilent dans les rues, puis assistent à une messe.

01 jan 1947
03m 30s

Pour la JAC, très implantée en Bretagne, c'est un moyen de s'émanciper, de permettre aux paysans de s'exprimer. Pour cette organisation, c'est aussi un biais par lequel elle peut faire passer ses messages de modernité. Plus qu'un divertissement, le théâtre est pour la JAC un outil. Au delà de cet exemple rural, des troupes existent aussi en ville. L'exemple des "Jeunes Comédiens" de Rennes en atteste.

Le théâtre amateur, une tradition en Bretagne

Dès le XIXe siècle, on trouve trace de troupes amateurs en Bretagne. Dans le monde rural comme en ville, les Bretons se plaisent à pratiquer le théâtre. Les mouvements d'éducation populaire, mais aussi les patronages prônent cet art comme temps de partage et de divertissement. La communauté se retrouve et se reconnaît dans ces moments de sociabilité. Par exemple, dès les années 1930, la Jeunesse Agricole Catholique (JAC) accorde dans ses programmes une grande place à l'art dramatique.

La pratique en amateur aujourd'hui, l'exemple de l'ADEC et de son festival à Lizio

Au milieu des années soixante, certaines troupes cherchent à s'émanciper clairement de la tradition du théâtre de patronage. Pour eux, la pratique en amateur ne doit pas exclure l'exigence artistique et le choix d'un répertoire plus pointu. L'engagement du citoyen dans une activité artistique est au cœur du projet. Ces questionnements s'étoffent au cours des années soixante au sein d'une association faisant partie de la Fédération Catholique du Théâtre Amateur (FECTAF). En 1970, cette association s'autonomise et devient l'Art Dramatique Expression Culture (ADEC). L'ADEC qui existe alors à Rennes et dans le Morbihan, propose des stages (de jeu d'acteur, de mise en scène) aux personnes désireuses de découvrir la pratique du théâtre autrement, de façon plus exigeante. Il ne s'agit plus seulement de se divertir, mais de pratiquer un art et de s'impliquer dans le processus de création artistique. L'ADEC a aussi une petite bibliothèque qui permet de renouveler le répertoire des troupes. Pour les membres de l'ADEC, ce n'est pas parce qu'on est amateur qu'on ne peut pas jouer du théâtre contemporain. L'association a donc pour but d'aider les troupes amateurs, de la création à la diffusion du spectacle. C'est pour cette raison qu'elle crée des festivals permettant ces représentations. Dans le Morbihan, c'est en 1983 que naît le festival de Lizio. Pendant plusieurs jours, avec l'aide de l'ADEC 56, plusieurs troupes des alentours investissent le village et réinventent la représentation théâtrale. Différents espaces de la commune sont occupés par les troupes, qui s'adaptent ainsi à des lieux qui n'ont pas pour but d'accueillir des spectacles à l'origine. Ce temps festif, qui s'appuie sur des bénévoles et des amateurs, est caractérisé par sa convivialité. Depuis les années 1990 le festival s'est étoffé et les propositions sont plus variées. Outre le théâtre, des soirées cabarets ou des scènes musicales sont proposés aux spectateurs.

 Festival de théâtre amateur de Lizio

Festival de théâtre amateur de Lizio

Lizio accueille depuis 18 ans le Festival Régional de théâtre amateur. Récits de contes, théâtre d'improvisation, théâtre contemporain se mêlent dans cette petite commune rurale morbihanaise où les spectacles se déroulent parfois chez les habitants.

27 mai 2001
02m 07s

Conclusion

Les expériences théâtrales sont donc multiples en Bretagne. L'institutionnalisation de la culture au cours de la deuxième moitié du XXe siècle a permis de construire un rayonnement théâtral sur tout le territoire. La décentralisation nationale est le premier élan de ce réseau théâtral, mais dans de plus petites communes, à partir du milieu des années 1970, des associations ont su se réapproprier le terme de décentralisation pour faire leur propre expérience de la démocratisation de la culture. Dans les années 1980-1990, les collectivités locales prennent la mesure de l'enjeu attractif que représente la culture. Les communes investissent dans des équipements culturels conséquents. A la marge, mais aussi parfois en complicité avec les professionnels, le théâtre amateur vit et se renouvelle. Il existe aujourd'hui plus de 250 troupes amateurs pour le seul département de l'Ille et Vilaine.