Giorgio Strehler à propos de La Cerisaie de Tchekhov

27 septembre 1976
03m 08s
Réf. 00060

Notice

Résumé :

En 1976, le Théâtre National de l'Odéon accueille Il Giardino dei ciliegi (La Cerisaie) de Tchekhov, mis en scène par Giorgio Strehler et interprété par les comédiens du Piccolo Teatro de Milan. La création met en avant les thèmes du deuil et de l'enfance. Lors d'un entretien, le metteur en scène évoque la force des classiques ainsi que son engagement artistique. Extraits du spectacle.

Date de diffusion :
27 septembre 1976
Source :
TF1 (Collection: It1 13h )
Compagnie :
Fiche CNT :

Éclairage

En 1976, le Théâtre National de l'Odéon accueille trois mises en scène en langue italienne de Giorgio Strehler, directeur du Piccolo Teatro de Milan : Io, Bertolt Brecht (montage de textes de Bertolt Brecht), Il Campiello de Goldoni et Il Giardino dei ciliegi (La Cerisaie) de Tchekhov.

Ecrite en 1904, La Cerisaie est la dernière pièce de Tchekhov, qui meurt la même année. Elle relate la ruine et le déclin de la noblesse russe au début du XXe siècle, tandis que prospère l'économie capitaliste et que s'élèvent les premiers cris de la révolution. Lioubov Andréevna revient entre les murs de la maison familiale, attachée à une cerisaie. Y retrouvant famille et amis, elle cherche un moyen de sauver le domaine de sa propre faillite.

La mise en scène de Giorgio Strehler fut représentée initialement à Milan en 1974. Sa scénographie et ses éclairages furent conçus par Luciano Damiani. L'ensemble de l'espace théâtral est englobé par la cerisaie : la présence physique de celle-ci est symbolisée par un gigantesque voile transparent et mouvant, recouvert de feuilles mortes, surplombant la salle et la scène. L'ensemble du décor et les costumes sont blancs, évoquant paradoxalement le deuil comme la renaissance. La mise en scène met en avant les thèmes de l'enfance et de la nostalgie. Le reportage, diffusé lors du journal de 13h (TF1) du 27 septembre 1976, offre deux extraits représentatifs de cette interprétation. Le premier est issu du premier acte. L'action se passe dans « la chambre des enfants ». Gaev (interprété par Gianni Santuccio) heurte l'armoire centenaire dont il faisait l'éloge. Le meuble s'ouvre et déverse tout son contenu, à savoir une multitude de jouets ayant probablement appartenu au fils décédé de Lioubov Andréevna (interprétée par Valentina Cortese). Le second extrait est issu du quatrième et dernier acte. La cerisaie, rachetée par Lopakhine (interprété par Franco Graziosi), est sur le point d'être quittée par ses anciens propriétaires. Les meubles restant ont été recouverts. Les personnages font enfin face à leur histoire individuelle. Lioubov dit adieu à la maison de ses souvenirs. Insistant sur la force des symboles, la création repose néanmoins sur une lecture pluridimensionnelle de la pièce. Le metteur en scène illustre sa démarche en prenant l'image de « trois boîtes (...) l'une dans l'autre encastrées », représentant respectivement le réalisme, l'Histoire et la métaphysique.

Lors de l'entretien, Giorgio Strehler évoque la contemporanéité des « classiques » et la façon dont ces textes échappent à tout cadre historique. Il revient également sur son propre engagement qu'il définit comme esthétique et poétique.

Marie-Isabelle Boula de Mareuil

Transcription

Présentateur
Parler théâtre. Oui, comme vous le voyez sur vos écrans. Théâtre avec le théâtre italien à Paris. Le Picolo teatro de Milan est à Paris jusqu’au 14 novembre. Il y viendra plusieurs fois chaque année en vertu d’un accord qui a été passé avec sa direction. Et on peut retrouver cette année avec le Picolo trois pièces et en particulier le fameux metteur en scène Strehler.
Journaliste
Le charme agit, le spectacle envoûte et le public est subjugué par la mise en scène et la couleur.
(Bruit)
Journaliste
Pour certains, ce souci esthétique est superbe isolement et recherche gratuite. Le théâtre aujourd’hui, est-ce encore cela ? A ces critiques vigoureuses répond Strehler.
Giorgio Strehler
On a tendance un petit peu terroriste si vous voulez, de croire ou de vouloir croire que le classique ce sont des auteurs qui ont écrit loin de nous, de certaines choses et qui n’ont pas de rapport avec nous. Donc il ne faut pas les jouer ou quand même il faut les absolument changer. Je ne sais pas, de transplanter les… des trucs avec ces gens-là. Au contraire, je crois que la notion du classique est très simple. Le classique, c’est quelque chose. C’est quelques personnages. Ce sont des œuvres qui dépassent leur cadre historique et dépassent leur temps. Qui ont une présence vivante, une présence humaine. Qui ont quelque chose à communiquer à dire aux gens de notre temps comme du temps qui vient après nous. C’est-à-dire il échappe justement le cadre dans lequel il est né. Et ça, c’est la caractéristique du classique. Les autres sont des écrivains ou des peintres, qu’est-ce que vous voulez, anciens qui ont fait des bonnes choses ou des mauvaises choses dans le temps mais ils ne sont pas des classiques.
Journaliste
Précisant sa pensée, il ajoute que le rôle du metteur en scène est de trouver chaque jour des rapports nouveaux entre l’œuvre et la mise en scène.
Giorgio Strehler
Le théâtre, ce n’est pas un meeting. Le théâtre, ce n’est pas un champ politique. Le théâtre, on ne fait pas la révolution avec le théâtre. Je suis un homme engagé. Je vis les contradictions de mon époque très profondément mais dans le même temps je suis engagé. Je ne suis pas un esthétique. C'est-à-dire sur le plan de la poésie, si vous voulez. Alors il n’y a pas un message au théâtre qui soit complètement seulement contenu sans sa forme. Et la forme au théâtre, comme d’ailleurs dans l’art sans le contenu, c’est simplement du jeu formel. C’est simplement de la beauté sans base. C’est quelque chose de très éphémère, qui n’existe… qui ne dure pas. Et qui n’a pas au fond de vraies valeurs esthétiques.
Comédienne
[inaudible]
Journaliste
Strehler ou une remise en question passionnante du théâtre aujourd’hui.
Comédienne
[inaudible]
Présentateur
Voilà. Giorgio Strehler. C’est un évènement avec une mise en scène de Strehler. C’est l’un des plus grands metteurs en scène du monde aujourd’hui et je pensais qu’il était bon de faire sa rencontre sur nos écrans.