Marguerite Duras sur La Musica, Deuxième

01 mars 1985
05m 19s
Réf. 00219

Notice

Résumé :

A l'occasion de la création, vingt ans après La Musica, de La Musica, Deuxième, avec Miou-Miou et Sami Frey, Marguerite Duras est interrogée par Marie-Claire Gautier, sur son rapport au roman, au théâtre et au cinéma, et sur sa conception de la mise en scène. L'auteur précise que, pour elle, tous ces arts se rejoignent autour du processus d'écriture.

Date de diffusion :
01 mars 1985

Éclairage

Marguerite Duras (1914-1996), a écrit de très nombreux romans, des pièces de théâtre, des scénarios pour le cinéma. Elle a mis en scène ses propres textes, et a également réalisé des films à partir de ses propres scénarios. Chez elle, la littérature ne connaît pas la frontière des genres. Elle passe de l'un à l'autre, et adapte également nombre de ses textes du roman vers le théâtre, ou du théâtre vers le roman, parfois en passant par le cinéma, parfois jusqu'à la fusion (India Song est présenté comme, à la fois, un roman, un scénario, une pièce de théâtre).

Duras pratique également fréquemment la récriture et l'autocitation. S'emparant d'une histoire, elle la réécrit périodiquement, modifie les modes de narration ou le discours, complète, change, coupe et reconstruit. Ici, vingt ans après la pièce La Musica, elle écrit un deuxième acte, reprenant la même situation, et la creusant, de façon à faire ressortir d'autres facettes. Selon elle, elle développe ici les personnages, leurs caractères et leurs relations, alors qu'elle s'était, dans un premier temps, concentrée avant tout sur la situation.

Pour Duras, La Musica deuxième, « ce sont des gens qui divorcent, qui ont habité Évreux au début de leur mariage, qui s'y retrouvent le jour où leur divorce est prononcé. Je les ferais parler des heures et des heures. Dans la première partie de la nuit, leur ton est celui de la comédie, de la dispute. Dans la deuxième partie de la nuit, non, ils sont revenus à cet état intégral de l'amour désespéré, voix brisées du deuxième acte, défaites par la fatigue, ils sont toujours dans cette jeunesse du premier amour, effrayés. » Cet attachement aux passions amoureuses, qui demeure une des thématiques fortes de l'œuvre de Duras, habite de nombreux textes. Ici, elle souligne que cette idée – apporter une suite à La Musica – la poursuit depuis vingt ans. Comme très souvent chez elle, l'écriture semble naître de l'obsession, d'un retour régulier du même. L'écriture de Duras se répète, comme les thématiques réapparaissent régulièrement dans ses textes. Mais ici, il ne s'agit pas uniquement d'ajouter une suite à un texte existant, mais bien de le recomposer, et de le confronter à un nouveau creuset, celui de la mise en scène.

Le rapport de Marguerite Duras au théâtre est particulier. Elle l'exprime ici lorsque, alors que la journaliste lui demande comment elle conçoit la mise en scène, elle répond « c'est de la mise en littérature ». Il y a, chez Duras, la conviction que l'écriture, la littérature, est au centre du théâtre, même dans la mise en scène, et que le travail scénique est une forme différente d'écriture. Elle rejette d'ailleurs le jeu et l'incarnation, pensant que le jeu enlève de la profondeur au texte. Pour Duras, la mise en scène est un travail d'écriture différent du roman, qui permet d'explorer de nouvelles possibilités, de nouvelles pratiques. Mais elle considère le texte comme central dans la représentation, avant le jeu ou le décor.

Cette interview montre également la facette provocatrice du personnage de Marguerite Duras : elle affirme ici que personne, en dehors d'elle, ne peut mettre en scène ses pièces – alors même qu'ailleurs, et pour commencer dans les introductions de certaines éditions, elle loue des metteurs en scène, et notamment Régy, pour leur travail. Elle a par ailleurs affirmé dans plusieurs écrits qu'elle souhaitait que les acteurs, au théâtre, ne jouent pas, mais lisent, refusant ainsi la théâtralité.

Enfin, Marguerite Duras évoque l'intérêt de la mise en scène pour elle comme un moyen de creuser le texte, de le faire évoluer. Le passage par l'oralité, la profération, la conduit à faire évoluer son texte et à le modifier.

L'interview se clôt sur l'évocation du sentiment de l'inachevé. Pour Duras, rien n'est jamais fini, et l'évolution constante de ses écrits, leurs fluctuations, de genre et de composition, l'illustrent parfaitement.

Anaïs Bonnier

Transcription

Présentatrice
Vingt ans après la Musica, Marguerite Duras écrit et met en scène Musica 2 au théâtre du Rond-Point, avec Samy Frey et Miou-Mou. Vous allez écouter et voir à l’instant Marguerite Duras, interviewée par Marie-Claire Gautier.
(Musique)
Marguerite Duras
Ce sont des choses qu’on traîne avec soi, très souvent, tous les écrivains. C’est très rare qu’on arrive à les faire. Ce deuxième acte, je vous dis que ça fait vingt ans que j’y pense. Mais j’ai fini quand même par l’écrire. C’est ça, c’est tout.
Journaliste
Et pourtant un ordre dans l’écriture, dans votre écriture qui n’est jamais le même finalement.
Marguerite Duras
J’espère.
Journaliste
Je veux dire, le roman, le film, le théâtre. Ou alors quelques fois le théâtre, le cinéma, le roman. Ou alors le cinéma, tout seul. Enfin, il y a jamais d’ordre exactement. Alors, là-dedans arrive, bon, ce deuxième acte, ce deuxième Musica et puis également la mise en scène. Qu’est-ce que c’est, la mise en scène maintenant ? C’est un point d’orgue ?
Marguerite Duras
C’est de la mise en littérature. Il y a autant de la… autant de texte dans la Musica qu’en dehors de la Musica. Quand par exemple je donne des indications aux comédiens. Toute cette partie n’est pas retenue dans l’écrit, mais elle existe, à vivre elle existe. Qui est une partie, dont le roman est exempt. Vous voyez, ça existe pas ! A moins de parler du roman qu’on est en train de faire, on le tuerait. Là pour préserver par exemple quatre répliques, je peux parler une demi-heure pour les justifier, je peux parler autour d’elles.
Journaliste
Pourtant vous donnez des indications très, très précises dans les pièces que vous écrivez pour la mise en scène. On voit vraiment déjà évoluer le personnage. Ce qu’il fait, comment il réagit, comment il se retourne, etc. Et ça, vous le pensez à ce moment-là, vous, c'est-à-dire à la mise en scène que vous pourrez faire, vous ? Ou vous pensez à la mise en scène qu’on pourra faire de votre pièce ?
Marguerite Duras
Je pense qu’à moi. Je joue pas ! Il y a que moi qui mets en scène mes pièces. Et quand ça arrive à d’autres, c’est des erreurs qu’ils font.
Journaliste
La Musica était plus, jusqu’ici, une situation.
Marguerite Duras
C'est pas une pièce de personnages. C’est une situation, un état de l’amour qu’il décrit. Un amour qui se défait, alors qu’il existe toujours, qui apparemment se défait. C’est une situation banale ! Avec le deuxième acte, il me semble que j’introduis ce que vous appelez des personnages, c'est-à-dire des gens, avec certains traits de caractère.
Journaliste
Qu’est-ce que ça vous procure ce théâtre, cette mise en scène ? C’est un jeu pour vous ?
Marguerite Duras
Ça m’intéresse, c’est trop long pour le théâtre. Mais ça m’intéresse quand même. Ça me force à travailler en profondeur. Si vous voulez, le travail de creusement, d’arrachement, que l’on fait quand on fait des textes de livre, des textes qui ne sont pas à parler. Et bien je connais ça, ce travail là, pendant la mise en scène et pas pendant l’écriture du texte. L’écriture du texte à proprement parler, ça procède aussi d’un escamotage de quelque chose. De tout l’entour de l’écrit. Vous voyez ?
Journaliste
Et quand vous l’entendez, c’est toujours bien ?
Marguerite Duras
Ben non, pas toujours !
Journaliste
Je veux dire, c’est bien pour vous ? C’est… vous vous dites, c’est bien.
Marguerite Duras
Quelques fois je suis très contente oui ! Quelques fois je jette tout, en général je recommence tout dès que je mets en scène. C’est plus du tout la même Musica qu’il y a trois semaines que je répète maintenant, c’est une autre. Mais je pense que cela est quand même, à trois semaines de jouer, je pense que celle-là va rester. Mais si on me laissait trois mois, c’est sûr qu’elle disparaîtrait encore.
Journaliste
Est-ce que vous éprouvez souvent cette sensation que l’histoire n’est jamais finie ?
Marguerite Duras
Toujours. Dans la vie !