Oh les beaux jours avec Denise Gence

19 septembre 1992
02m 21s
Réf. 00220

Notice

Résumé :

Le reportage montre la comédienne Denise Gence en coulisses, alors qu'elle se prépare à jouer le rôle de Winnie dans Oh les beaux jours, de Samuel Beckett, sur la scène du Théâtre national de la Colline. Elle évoque l'auteur, et la mise en scène de la pièce. Le reportage présente également des extraits de la mise en scène de Pierre Chabert.

Date de diffusion :
19 septembre 1992
Source :
FR3 (Collection: 19/20 )
Fiche CNT :

Éclairage

Dans Oh les beaux jours, Beckett met en scène une femme, Winnie, enterrée jusqu'à la taille dans un mamelon de terre, au milieu d'une lande désertique, n'ayant pour seule compagnie qu'un époux laconique et incapable de se déplacer, Willie, qui vit dans un « terrier » en contrebas du mamelon dans lequel elle est bloquée.

Avec Oh les beaux jours, Beckett écrit une tragi-comédie des corps : Willie est victime de son corps, dont la décrépitude entrave tous les déplacements. C'est un être maladroit, incapable de se déplacer, même à la toute fin de la pièce, lorsqu'il tente, en vain, de rejoindre Winnie. Le corps de Winnie, quant à lui, apparaît plus absurde que burlesque : coincée, sans raison apparente, dans un mamelon de terre au milieu d'une lande désertique, elle est réduite à un buste en pleine dégénérescence. Pourtant, l'obsession de Winnie pour son image la pousse à vérifier sans cesse que ce corps ne se délite pas trop ; elle inspecte ses dents, panique à l'idée d'avoir oublié de se coiffer... Cette obsession pour l'apparence prend tout son sens comique, parce qu'elle cache des angoisses bien plus profondes, mais aussi par son caractère incongru – Winnie étant ensablée dans un désert. Winnie se montre à la fois lucide et frivole : sa désinvolture se donne à entendre dans la façon dont une remarque insouciante vient systématiquement chasser une inquiétude. Évoquant les derniers êtres à avoir foulé son désert, Winnie rapporte les paroles d'un homme, qui s'émeut de sa situation, et en pointe l'absurdité : « Pourquoi qu'il ne la déterre pas ? (...) – faut la déterrer, dit-il – comme ça elle n'a pas de sens. (Beckett, Oh les beaux jours, Editions de Minuit, p. 1974, p.51) ». Ces paroles reflètent les questions essentielles : qu'est-il arrivé à Winnie ? Pourquoi Willie ne fait-il rien ? Que signifie cette femme enterrée en plein désert ?

La pièce a été créée dans une mise en scène de Roger Blin, avec Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault au théâtre de l'Odéon, en 1960. Monter Oh les beaux jours relève de la gageure, parce que la pièce est très prescriptive. La didascalie initiale, qui s'étend sur presque deux pages, fixe le dispositif – une montagne de terre dans laquelle est enterrée Winnie. Il est impossible de déroger à ce dispositif, parce qu'il est constitutif de la pièce : celle-ci n'a plus aucun sens si Winnie n'est pas ainsi coincée. Le jeu est tout aussi figé, chorégraphié par les didascalies. Ainsi, c'est avant tout la personnalité de la comédienne – le rôle de Winnie étant très central, celui de Willie annexe – qui fera la différence. Denise Gence, qui se frotte à ce personnage complexe, lui insuffle une certaine malice, un côté enfantin et enjoué qui contraste avec le tragique de la situation du personnage. Selon Denise Gence, la principale caractéristique du personnage beckettien, et de Winnie en particulier, c'est son indécision. Winnie oscille entre comique et tragique, entre une résignation lucide et une obstination à répéter les gestes du quotidien, si absurdes soient-ils. Ces gestes, dit Denise Gence, très précisément indiqués par Beckett dans son texte, sont le support sur lequel reposent toutes les émotions et les sensations que véhicule le texte.

Anaïs Bonnier

Transcription

Présentateur
La saison théâtrale redémarre brillamment à Paris avec notamment une pièce de Samuel Beckett, intitulée Oh, les beaux jours. L’occasion de redécouvrir le rôle de Winnie créé jadis, par Madeleine Renault et repris aujourd’hui par la grande Denise Gence. Reportage de Dominique Poncet et de Christophe Camilieris.
Journaliste
Pendant 40 ans à la Comédie-Française, elle avait arpenté les grands rôles du répertoire classique. Et puis un jour, sans crier gare, elle était partie pour affronter d’autres scènes et défricher d’autres auteurs au gré de sa fantaisie et de son insatiable curiosité. Aujourd’hui, pour la première fois de sa carrière, Denise Gence interprète Beckett.
Denise Gence
Oh ! Le beau jour encore que ça aura été, encore un. Malgré tout, jusqu’ici…
Journaliste
La voici donc…
Denise Gence
Oui !
Journaliste
Dans Oh Les beaux jours . Enterrée d’abord jusqu’à la taille, puis jusqu’au cou, elle est Winnie. Cette vielle dame à l’allure pourtant si juvénile, cette femme qui dit toute la désespérance du monde, avec néanmoins, un courage et un humour inouïs.
Denise Gence
Quand il faut se garer… J’avais une idée sur Beckett bien entendu, comme tout le monde et aussi une admiration et un respect. Maintenant j’ai l’impression que je lui ai tenu la main. Je sais pas. J’ai l’impression que je sens son émotion. Pour s’exprimer au plus près de sa sincérité, il utilise des personnages délabrés, vacillants, incertains. Ce qui lui permet à la fois des ratures de pensées et des ratures de styles. Si seulement je pouvais supporter d’être seule ! Je veux dire d’y aller de mon babille sans âme qui vive, qui entende. Non pas que je me fasse des illusions… Willie tu n’entends pas grand-chose ! A Dieu le plaise. Les jours peut-être où tu n’entends rien, et d’autres où tu réponds. Je pense pas que ce soit abstrait, je pense qu’il y a une grande mémoire sensorielle, et je crois, je me suis dit, il faut que je laisse les images et les sensations venir. Si tu peux me voir…
Journaliste
Bouleversante Denise Gence, qui donne toutes les couleurs du rôle de Winnie, de l’innocence la plus purérile à la lucidité la plus désespérée.