Jean Poiret et Michel Serrault : Interview d'un boxeur

06 décembre 1958
03m 03s
Réf. 00231

Notice

Résumé :

Ce sketch de 1956 repose essentiellement sur un comique de la parole. Le journaliste (Jean Poiret) interroge un boxeur (Michel Serrault) en simplifiant son vocabulaire à l'extrême, laissant entendre que l'athlète n'a qu'une intelligence limitée. Lorsque le boxeur parvient finalement à prendre la parole, c'est pour citer Ovide, Cézanne ou Claudel, prenant à défaut le journaliste, mais renvoyant également le spectateur à ses propres préjugés.

Date de diffusion :
06 décembre 1958
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Éclairage

Jean Poiret (1926-1992) et Michel Serrault (1928-2007) se rencontrent à l'école de théâtre de la Rue Blanche à Paris, et forment dès 1952, le duo Poiret-Serrault. Créé sur un « coup de foudre professionnel » selon Jean Poiret, le duo travaille de concert à des sketches de cabaret-spectacle rapidement repris à la télévision. Le duo n'a jamais connu de séparation officielle, et a encore longtemps offert aux téléspectateurs des reprises de ses sketches, mais les carrières respectives des deux acteurs finissent par mettre fin à la création de sketches. Leur carrière se poursuivra au cinéma, au théâtre et à la télévision, et leur prestation la plus connue à ce jour demeure sans conteste La Cage aux folles, pièce de théâtre écrite par Jean Poiret, et créée en 1973. Cette pièce, bien que mettant en scène d'autres personnages, est entièrement construite autour du duo d'acteurs, où Michel Serrault campe un homosexuel travesti, Albin, et Poiret un homosexuel plus viril, Georges.

Si les sujets des numéros sont trouvés en commun, notamment en approfondissant les caractères d'un personnage « avec ses types particuliers, avec ses manies particulières » joué en improvisation, c'est Jean Poiret qui en assure l'écriture. Les deux artistes mettent en avant dans la réussite de leur duo leur amitié, une complicité qui est effectivement visible à l'écran ou à la scène.

Le duo Poiret-Serrault tire profit des caractéristiques traditionnelles du duo comique, calquées sur les clowns. Le clown blanc, ridiculement raide et sérieux, c'est Poiret, avec son allure hautaine, sa voix posée et sa faconde. L'auguste, bouffon burlesque, c'est Serrault, avec sa bonhomie, une attitude maladroite, mal assurée...

Mais le duo s'attaque également à des comportements, des préjugés courants, il stigmatise les manies et les absurdités de tous ceux qui les entourent. Le comique de Poiret et Serrault repose sur le langage autant que sur la situation. Il s'appuie en grande partie sur la parodie – beaucoup de leurs sketches, à l'image de « l'interview d'un boxeur », mettent en scène un journaliste – Poiret – face à une personnalité – Serrault – boxeur, écrivain, chef d'orchestre, entre autres, et pointent la fabrication d'un discours médiatique en appuyant sur l'absurdité des questions du journaliste, et parfois sur celle des réponses de l'interviewé. Un décalage entre la situation attendue et ce qui se passe réellement est également source de comique. Ici, on attend bien évidemment du boxeur qu'il soit conforme à notre vision du boxeur – et c'est bien en cela qu'un préjugé nous est pointé du doigt – on attend donc une réponse courte, lapidaire, voire pas de réponse, tant la question du journaliste – manie ici encore pointée par les auteurs – est compliquée. Finalement, les deux humoristes déjouent cette attente en provoquant une surprise qui favorise le comique : la réponse très élaborée et philosophique du boxeur. Ces jeux de mots sont propres à leur humour, mais aussi la marque de l'humour de leur temps, jouant à la fois sur le sens de la langue et sur une certaine idée de l'absurdité : le sketch « Permis de conduire un orchestre » l'illustre parfaitement : les deux comédiens y évoquent l'examen du permis de conduire un orchestre « poids lourd », c'est-à-dire symphonique, et la nécessité de le mettre en place suite à de nombreux accidents. Le vocabulaire musical et le vocabulaire de la conduite s'y entremêlent de manière saisissante, et le sérieux initial s'envole face à ce décalage entre réalité et fiction.

Anaïs Bonnier

Transcription

Journaliste
L’homme aux 100 000 souvenirs mérite bien son nom.
Jean Poiret
Roger, Roger [Shaloum] a 26 ans, et je dois dire que après le combat qu’il vient de livrer, je dis à Hambourg, c’est à Hambourg que tu as livré ce combat, je crois vraiment que tu te classes maintenant parmi les tous premiers, en tout cas parmi les plus grands espoirs de l’équipe montante dans les grands poids moyens après [Frippon Zolern], [Carl Hambridge] et surtout Franck [Ténor]. Et je dois dire une chose, c’est que tu as été épatant, tu as été épatant dans plusieurs conditions, mais tu as été épatant surtout dans ce cas-là, c’est que vraiment, tu as lutté tout seul. Tu comprends, tu as combattu tout seul, tu as combattu vraiment avec la force de tes bons petits poings comme un petit gars, bien franc, bien sympathique que tu es. Et tu sais, on s'entend, moi j’étais dans la salle, j’étais là-bas, on m’avait envoyé à Hambourg, et en combattant, on sentait vraiment que tu avais une arrière-pensée, que dans le fond de ton combat, il n’y avait qu’une chose en tête, c’était ta vieille maman, ta bonne vieille paysanne de mère à laquelle tu pensais tout le temps, et tu te disais, ben mon Dieu, si j'ai ma victoire et ben ça va mettre un petit peu de beurre dans les épinards ça va être un truc épatant. Et je voudrais te dire une chose, je voudrais te dire que nous sommes tous contents, tous fiers de toi. Je sais que t'es un petit peu dépassé par les évènements bien sûr, tout ça, Paris, ces belles dames que tu vois là, toutes ces belles lumières. Tout ça, ça te dépasse un peu, tu vois, c'est pas ton genre, t'es un petit peu... un petit peu, hein... perdu là-dedans, il faut bien le dire. Mais je voudrais quand même que tu nous fasses un aveu, je voudrais que tu me dises, quand tu rentres, quand tu arrives sur le ring, ce que tu ressens quand tu vas à la châtaigne carrément, tu comprends. Je voudrais que tu me dises ça, et je voudrais que tu donnes surtout ton impression en ce qui concerne le dernier combat, parce que y'a eu un moment... y'a eu un moment vraiment sensationnel. Il y a eu le moment où le dieu de la boxe il passait pas, il y a quelque chose qui t’a été insufflé, t'as été formidable. Et je voudrais que tu nous dises ça, je voudrais que tu dises ça pour nos téléspectateurs, je sais que t’as pas la parole facile bien sûr, mais je voudrais que tu dises ça pour les téléspectateurs, je voudrais que tu dises un petit truc, un petit truc simplement très gentil sans te démonter. Alors tu vois, tu regardes bien l’appareil, le gros appareil que tu vois là, c’est la caméra, cette petite boîte tu parles bien là-dedans, ça c’est le petit micro. Et tu y vas, tu ne te démontes pas, tu y vas comme un bon petit gars, un bon petit Roger que tu es, tu nous dis qu’est-ce que t'as ressenti en livrant ce combat.
Michel Serrault
Eh bien, mon cher ami, à mon sens, ce combat était pour moi, si vous voulez, la victoire de mon moi psychique sur mon moi physique, vous comprenez ?
Jean Poiret
Oui !
Michel Serrault
Et c’est d’ailleurs je crois, je ne suis pas un précurseur, loin de là, c’est là que je rejoins je crois l’art de Cézanne, et si vous voulez le style de Stendhal ou encore la pureté d’un Claudel, n’est-ce pas.
Jean Poiret
Bien sûr !
Michel Serrault
Oui si vous voulez, on pourrait même résumer ça en un vers célèbre, un verre d’Ovide, n’est-ce pas, qui résume d’une façon un peu plus claire ce vers qui dit : "et bellum, et casum, sun et etc." , etc. , etc.
Jean Poiret
Oui, etc. , etc. , bien sûr !
Michel Serrault
Plus de question ?
Jean Poiret
Non, je vous remercie Monsieur [Shaloum]. Alors à bientôt.
Michel Serrault
Au revoir Monsieur.
Jean Poiret
Je vous remercie.
Inconnue 1
Ils sont merveilleux, non ?
Inconnue 2
[inaudible] Carole, parlez-moi un peu, vous avez beaucoup de vacances, mais vous travaillez aussi.