Phèdre de Racine, mis en scène par Patrice Chéreau au Théâtre de l'Odéon

25 septembre 2003
06m 11s
Réf. 00273

Notice

Résumé :

Extrait de la scène 5 de l'acte II, où Phèdre (Dominique Blanc) fait à Hippolyte (Eric Ruf) l'aveu de son amour en empruntant le détour d'un récit de sa rencontre avec Thésée, puis le voyant se dérober laisse éclater toute la violence de sa passion.

Date de diffusion :
25 septembre 2003
Source :
INA (Collection: Phèdre )
Fiche CNT :

Éclairage

Lorsqu'il donne Phèdre, sa dernière pièce profane, en 1677, Jean Racine y voit son chef-d'œuvre. Il est vrai que la pièce concentre tous les éléments caractéristiques de la tragédie racinienne, nourrie à la lecture des Grecs et polie au contact du jansénisme : les hommes y sont tourmentés par des dieux absents, par le biais de passions féroces qui les transforment en monstres lucides et impuissants. La mort ou le sacrifice sont les seules issues de ce combat inégal de la créature humaine avec sa malédiction intérieure. Si Racine s'est avant tout inspiré de l'Hippolyte d'Euripide pour sa pièce, il emprunte aussi la violence des échanges, le long récit de Théramène et le suicide final de Phèdre à la Phèdre du dramaturge romain Sénèque.

Patrice Chéreau se souvient de Sénèque lorsqu'il présente en 2003 sa Phèdre au Théâtre de l'Odéon : son spectacle, loin de se dérober à la violence de l'action, va jusqu'à montrer ce que Racine dissimule, à l'exemple du cadavre mutilé d'Hippolyte que l'on exhibe sur une table d'opération pendant le récit de Théramène. Le public est en disposition bi-frontale, en un huis-clos oppressant qui lui offre des points de vue multiples sur l'action, mais forme également comme deux camps opposés de témoins. À l'inverse de la tradition dominante, Chéreau choisit de mettre en valeur un Hippolyte (Eric Ruf) mûr et solide, dont l'intensité et les contradictions répondent à celles de Phèdre (Dominique Blanc) : l'un et l'autre disent l'amour tout en le rejetant, mélangent quête et fuite, et luttent entre l'instinct et la culpabilité. Autre jeu de miroirs, Hippolyte et Thésée (Pascal Greggory) présentent une ressemblance physique frappante, donnant ainsi une motivation évidente au désir de Phèdre. Loin d'un monstre mythologique, Patrice Chéreau cherche à faire voir l'humanité et l'érotisme poignant de son personnage principal, et à donner sens à sa violence.

Céline Candiard

Transcription

Dominique Blanc
Que dis-je ? il n’est point mort puisqu’il respire... en vous. Toujours devant mes yeux, je crois voir mon époux. Je le vois, je lui parle, et mon cœur…
(Silence)
Dominique Blanc
Je m'égare, Seigneur, ma folle ardeur malgré moi se déclare.
Eric Ruf
Je vois de votre amour l’effet prodigieux. Tout mort qu’il est, Thésée est présent à vos yeux. Toujours de son amour, votre âme est embrasée.
Dominique Blanc
Oui, Prince, je languis, je brûle pour Thésée. Je l’aime, non point tel que l’on vu les enfers, volage adorateur de mille objets divers qui va du Dieu des morts déshonorer la couche, mais fidèle, mais fier, et même un peu farouche, charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi, tel qu’on dépeint nos Dieux, ou tel que je vous vois. Il avait votre port, vos yeux, votre langage. Cette noble pudeur colorait son visage lorsque de notre Crète, il traversa les flots, digne sujet des vœux, des filles de Minos. Que faisiez-vous alors ? Pourquoi sans Hippolyte des héros de la Grèce assembla-t-il l'élite ? Pourquoi trop jeune encore, ne pûtes-vous alors entrer dans le vaisseau qui le mit sur nos bords ? Par vous aurait péri le monstre de la Crète malgré tous les détours de sa vaste retraite. Pour en développer l’embarras incertain, ma sœur, du fil fatal eût armé votre main. Mais non, dans ce dessein, je l’aurais devancée, l’amour m'en eût d’abord inspiré la pensée. C’est moi Prince, c’est moi, dont l’utile secours, vous eût du labyrinthe, enseigné les détours. Que de soins m'eût coûté cette tête charmante ! Un fil n’eût point assez rassuré votre amante. Compagne du péril qu’il vous fallait chercher. Moi-même devant vous, j’aurais voulu marcher, et Phèdre au labyrinthe avec vous descendue, se serait avec vous retrouvée ou perdue.
Eric Ruf
Dieux ! Qu’est-ce que j'entends ? Madame, oubliez-vous que Thésée est mon père, et qu’il est votre époux ?
Dominique Blanc
Et sur quoi jugez-vous que j’en perds la mémoire, Prince ? Aurais-je perdu tout le soin de ma gloire ?
Eric Ruf
Madame, pardonnez, j’avoue en rougissant que j’accusais à tort un discours innocent. Ma honte ne peut plus soutenir votre vue, et je vais…
Dominique Blanc
Ah cruel ! tu m’as trop entendue. Je t’en ai dit assez pour te tirer d’erreur, et bien, connais donc Phèdre et toute sa fureur, j’aime ! Ne pense pas qu’au moment que je t’aime, innocente à mes yeux, je m’approuve moi-même; ni que du fol amour qui trouble ma raison, ma lâche complaisance ait nourri le poison. Objet infortuné des vengeances célestes, je m'abhorre encore plus que tu ne me détestes. Les Dieux m’en sont témoins, ces Dieux qui dans mon flanc ont allumé le feu fatal à tout mon sang. Ces Dieux qui se sont fait une gloire cruelle de séduire le cœur d’une faible mortelle. Toi-même, en ton esprit, rappelle le passé, c’est peu de t’avoir fui, cruel, je t’ai chassé. J’ai voulu te paraître odieuse, inhumaine pour mieux te résister. J’ai recherché ta haine, de quoi m’ont profité mes inutiles soins ? Tu me haïssais plus. Je ne t’aimais pas moins. Tes malheurs te prêtaient encore de nouveaux charmes. J’ai langui, j’ai séché dans les feux, dans les larmes, il suffit de tes yeux pour t’en persuader. Si tes yeux un moment pouvaient me regarder.