Nicomède de Corneille, mis en scène par Brigitte Jaques-Wajeman

2008
06m 26s
Réf. 00275

Notice

Résumé :

Extrait de la scène 1 de l'acte I, où la jeune reine d'Arménie Laodice (Raphaèle Bouchard) met en garde son bien-aimé Nicomède (Bertrand Suarez-Pazos) contre les menées dangereuses de sa belle-mère Arsinoé et l'assure de sa fidélité.

Date de diffusion :
2008
Source :
INA (Collection: Nicomède )
Lieux :
Fiche CNT :

Éclairage

Pendant la période troublée de la Fronde, qui voit le pouvoir royal temporairement affaibli par les révoltes nobiliaires, Pierre Corneille fait représenter en février 1651 une tragédie tirée d'un récit de l'historien romain Justin : c'est encore à l'histoire romaine, après Horace, Cinna et Polyeucte, que Corneille emprunte le sujet de sa tragédie. Mettant en scène l'affrontement entre un prince héroïque et le pouvoir monarchique, la pièce résonne comme un commentaire ironique sur l'actualité politique. Si la fin heureuse que Corneille donne à sa tragédie laisse planer l'espoir d'une réconciliation, cependant la paix rétablie ne semble guère sincère et n'annule pas les nombreux calculs et les traîtrises qui ponctuent la pièce et modèrent la célébration de l'héroïsme. Corneille l'avouera cependant pour l'une de ses pièces préférées.

Avec sa mise en scène, créée en 2008 à la Comédie de Reims, Brigitte Jaques-Wajeman clôt son cycle de mises en scène (commencé avec La Mort de Pompée, Sophonisbe, Suréna et Sertorius) du « théâtre colonial » de Corneille, dont l'action décrit la politique impériale de Rome et les réactions des peuples dominés : à l'heure d'une mondialisation où les relations Nord-Sud ont atteint un stade explosif, la mise en scène de ce dernier volet a de profondes résonnances politiques. Le dispositif scénique, bi-frontal, renforce l'atmosphère d'affrontement qui s'impose dès le début de la pièce, et livre l'ensemble de l'action au regard du spectateur avec un effet de transparence. Pour accompagner l'héroïsme de Nicomède d'une jubilation triomphale, Brigitte Jaques-Wajeman n'hésite pas à créer de véritables moments de bouffonnerie et d'ironie cinglante, faisant valoir le projet particulier de Corneille, dont les tragédies visent à susciter l'admiration plutôt que l'effroi ou les larmes.

Céline Candiard

Transcription

(Musique)
Raphaèle Bouchard
Après tant de hauts faits, il m'est bien doux, seigneur, de voir encore mes yeux régner sur votre cœur ; de voir sous les lauriers qui vous couvrent la tête, un si grand conquérant, être encore ma conquête et de toute la gloire acquise à ses travaux ; faire un illustre hommage à ce peu que je vous… Quelques biens toutefois que le ciel me renvoie. Mon cœur épouvanté se refuse à la joie. Je revois un regret, tant mon cœur amoureux trouve la cour pour vous un séjour dangereux. Votre marâtre y règne et le roi votre père ne voit que par ses yeux. Seule la considère pour souveraine loi, n’a que sa volonté, jugez après cela de votre sûreté. La haine que pour vous elle a si naturelle, à mon occasion encore se renouvelle. Votre frère, son fils, depuis peu de retour.
Bertrand Suarez-Pazos
Je le sais ma princesse, et qu’il vous fait la cour. Je sais que les romains qui l’avaient en otage l’ont enfin renvoyé pour un plus digne ouvrage ; que ce don à sa mère était le prix fatal, dont leur ambassadeur marchandait Hannibal. Et le roi, par son ordre, eût livré ce grand homme, s'il n'eût par le poison lui-même évité Rome. Or à cette nouvelle, enflammé de courroux d’avoir perdu mon maître et de craindre pour vous ; j’ai laissé mon armée aux mains de Théagène pour voler en ces lieux au secours de ma reine. Vous en aviez besoin, madame, et je le vois puisque l’ambassadeur obsède encore le roi. Si de son arrivée, Hannibal fut la cause, lui mort ce long séjour prétend quelque autre chose. Et je ne vois que vous qui le puisse arrêter pour aider à mon frère à vous persécuter.
Raphaèle Bouchard
Je ne veux point douter que sa vertu romaine n’embrasse avec chaleur l’intérêt de la reine. Hannibal qu’elle vient de lui sacrifier l’engage en sa querelle, et m’en fait défier. Mais, seigneur, jusqu’ici, j’aurais tort de m’en plaindre. Et quoi qu’il entreprenne, avez-vous lieu de craindre ? Ma gloire et mon amour peuvent bien peu sur moi. S’il faut votre présence à soutenir ma foi, et si je puis tomber en cette frénésie de préférer Attale au vainqueur de l’Asie. Attale, qu’en otage ont nourri les romains ou plutôt qu’en esclave, on façonné leurs mains, sans lui rien mettre au cœur qu’une crainte servile qui tremble à voir un aigle et respecte un édile.
Bertrand Suarez-Pazos
Plutôt, plutôt la mort que mon esprit jaloux forme des sentiments si peu dignes de vous. Je crains la violence et non votre faiblesse. Et si Rome, une fois contre nous, s’intéresse...
Raphaèle Bouchard
Je suis reine, seigneur, et Rome a beau tonner; elle, ni votre roi, n’ont rien à m'ordonner. Si de mes jeunes ans il est dépositaire, c’est pour exécuter les ordres de mon père; il m’a donnée à vous. Et nul autre que moi n’a droit de l’en dédire et me choisir un roi. Par son ordre et le mien, la reine d’Arménie est due à l’héritier du roi de Bithynie, et ne prendra jamais un cœur assez abject pour se laisser réduire à l’hymen d’un sujet. Mettez-vous en repos.
Bertrand Suarez-Pazos
Et le puis-je, madame, vous voyant exposée aux fureurs d’une femme qui pouvant tout ici, se croira tout permis pour se mettre en état de voir régner son fils. Il n’est rien de si saint qu'elle ne fasse enfreindre. Qui livrait Hannibal pourra bien vous contraindre.
Raphaèle Bouchard
Seigneur, votre retour loin de rompre les coups, vous expose vous-même, et m’expose après vous. Comme il est fait sans ordre, il passera pour crime, et vous serez bientôt la première victime que la mère et le fils ne pouvant m’ébranler pour m'ôter mon appui, se voudront immoler. Si j'ai besoin de vous de peur qu’on me contraigne, j’ai besoin que le roi, qu’elle-même vous craigne. Retournez à l’armée, et pour me protéger, montrer cent mille bras prêts à me venger; parlez la force en main et hors de leur atteinte. S’ils vous tiennent ici, tout est pour eux sans crainte. Et ne vous flattez point ni sur votre grand cœur, ni sur l’éclat d’un nom cent et cent fois vainqueur, quelques hautes valeurs que puisse être la vôtre. Vous n’avez en ces lieux que deux bras comme un autre, et puissiez-vous du monde et l’amour et l’effroi quiconque entre au palais porte sa tête au roi.
(Bruit)