Les Colporteurs : sur un fil perché

17 novembre 2004
02m
Réf. 00585

Notice

Résumé :

Reportage sur Diabolus in musica, Les Colporteurs. Des extraits de répétition et du spectacle témoignent de l'univers diabolique et burlesque dans lequel est plongé Korotko depuis qu'il est payé en allumettes. La déchéance dont est victime ce personnage est abordée dans de brefs entretiens de deux des interprètes.

Date de diffusion :
17 novembre 2004
Source :
Compagnie :

Éclairage

Agathe Olivier [1] et Antoine Rigot se rencontrent à l'Ecole Nationale du Cirque d'Annie Fratellini. Alors qu'il se consacre à l'acrobatie, elle lui transmet sa passion pour le fil.

Du Puits aux images au Cirque du Soleil, en passant par Circus Roncalli, ils interprètent leur premier numéro, Duo sur le fil, avec lequel ils obtiennent la médaille d'argent au Festival du Cirque de Demain en 1983.

Leur premier contact avec la théâtralisation, en 1986, est lié à l'interprétation d'un « agile Quasimodo », pour Jacques Livchine. Puis, ils enchaînent L'Histoire du soldat (de Ramuz et Stravinsky) [2] et La Volière Dromesko, des expériences qui concrétisent l'inscription de leur prouesse dans une entité spectaculaire et leur engagement dans le cirque de création.

La légèreté et l'aisance avec laquelle ils maîtrisent leurs qualités techniques, sans rechercher la prouesse gratuite, leur confèrent un détachement vis-à-vis de l'acte qui les autorise à assumer un au-delà du geste porteur d'une intention et d'une part sensible. En 1993, ils reçoivent le Grand Prix National du Cirque.

En 1996, ils créent leur compagnie, Les Colporteurs (terme renvoyant au voyage, à la traversée et à la transmission), et en 1997, leur premier spectacle [3] Filao est mis en scène par Lásló Hudi sur une musique de Carl Schlosser. Une succession de douze tableaux, douze poèmes, inspirés du roman d'Italo Calvino, Le Baron Perché. Pour Lásló Hudi, il s'agit de donner corps à ce que représente ce personnage pour chacun des membres de la compagnie, comment les « Colporteurs réagissent et répondent à cette histoire avec leur propre discipline. Comment pouvaient-ils traduire l'idée de la solitude d'être ailleurs ; et dans cette solitude l'idée de reconstruire un autre monde » [4].

Loin de pouvoir apporter des réponses, ils veulent susciter des questionnements. Pour Lásló Hudi, cette démarche est aussi fragile que la « fragilité d'être en haut. En sachant que la chute est possible ».

A la suite d'un grave accident, en 2000, Antoine Rigot, qui se sent « comme un sac de sable », s'engage dans un combat, toujours recommencé, jamais achevé, pour retrouver un usage de ses jambes. Eloigné physiquement du fil, il n'en est pas moins traversé par la pensée.

Avec Giorgio Barberio Corsetti, ils conçoivent . Où les métamorphoses sont pensées « telles que nous pourrions les vivre aujourd'hui dans notre imaginaire où tout, le passé et le présent, se fond comme dans un rêve » [5].

Diabolus in Musica, librement inspiré de Diableries de Mikhaïl Boulgakov, s'empare de la dimension burlesque, pour plonger Korotkov dans une « sombre histoire de salaire payé en allumettes », Ainsi, sa « vie bien réglée va basculer inexorablement, tous ses repères vont exploser. Korotkov est-il ou se sent-il persécuté ? Ce labyrinthe bureaucratique est-il la représentation du dédale de son esprit troublé ? » [5].

Avec Le Fil sous la neige, en 2008, incrusté entre un préambule et une postface qui font allusion à l'empêchement dans lequel se trouve Antoine, s'exprime cette impétueuse envie de participer à la joie communicative transmise par le glissement des chaussons, des souliers à talons hauts, portés par Agathe, ou de la peau, sur le fil.

A vivre dans le corps des autres l'exploit interdit, il retrouve le chemin. Car la neige froide et isolante commence à fondre avec Sur la route – adaptation de Œdipe sur la route d'Henry Bauchau – dans laquelle, Antoine, en compagnie de Sanja Kosonen, reprend pied sur le fil, tout en créant un spectacle qui va « bien au-delà de l'expérience personnelle, qui pose des questions de fond sur la condition humaine et prend une dimension universelle. » [6]

[1] Elle étudie l'architecture à l'Ecole Nationale des Beaux-Arts de Paris et participe à une formation musicale féminine qui expérimente la rue.

[2] Spectacle monté avec le Théâtre de l'Unité, la Compagnie Foraine et Ars Nova.

[3] Après Amore Captus, un duo qui réunit la même équipe de conception.

[4] Lásló Hudi, Filao, Les Colporteurs-Musicirque, Programme du Parc de la Villette, 1998.

[5] Notes d'intention de la compagnie.

[6] Antoine Rigot, « Antoine Rigot, funambule réinventé ». Entretien proposé par Jérôme Rémy, 30 septembre 2011, Centre Régional des Lettres de Basse-Normandie.

Martine Maleval

Transcription

(Musique)
Journaliste
Ils se définissent comme des saltimbanques, des artistes nomades. Un chapiteau, des caravanes et durant un mois leur travail s’expose au milieu des corons sur l’ancien site minier d'Oignies. Acrobatique, physique. Nous sommes au cirque et dans cette vie de bohême chacun met la main à la pâte. Xavier incarne le personnage principal, le souffre-douleur.
Intervenant
Le piège diabolique dans lequel il va rentrer. Il commence par sa… Il n’a plus d’argent. Il n’est pas payé. Il est payé en production et comme c’est une usine d’allumettes, il est payé en allumettes. Et en même temps, il est payé avec des vieilles allumettes qui ne marchent même pas.
Journaliste
Diabolus in Musica raconte la vie de Monsieur K, un fonctionnaire pris dans les rouages d’une bureaucratie cauchemardesque. Allusion directe à l’univers de Kafka, ici les certitudes s’effacent. L’absurde devient naturel et notre pauvre héros de la vie ordinaire va sombrer dans un univers hallucinant. Une déchéance qui pour la Compagnie des Colporteurs est malheureusement toujours d’actualité.
Intervenant
C’est vrai que nous, en tournant en caravane en étant dans le cirque, on a souvent des gens marginaux un petit peu qui nous approchent et tout ça. Donc on connaît comme tout le monde, je veux dire tout le monde suit ces gens-là et on se rend compte que finalement, quand on les connaît un peu mieux, ça peut arriver à n’importe qui n’importe comment en fait. Et n’importe quand en fait. C'est-à-dire un jour on perd son travail, on ne peut plus payer son loyer, on se retrouve à la rue. Il y a des copains. Puis il y a moins de copains. Puis tac tac tac.
Journaliste
Une diablerie qui fait le grand écart. Burlesque, fantastique et bien sûr tragique.
(Musique)
Journaliste
L’alchimie dure une heure un quart, fait rire les enfants et frémir les adultes.