Dominique Bagouet

26 septembre 1980
15m 52s
Réf. 00877

Notice

Résumé :

Le chorégraphe Dominique Bagouet répète un nouveau spectacle. Des images de training et de travail alternent avec des séquences de danse tournées en extérieur. Ce sont les débuts de Bagouet - on est en 1980 à Montpellier - dont les studios étaient situés à l'Opéra Comédie. Ce long et émouvant reportage mené par le journaliste Jean-Calude Vernier est un bijou.

Date de diffusion :
26 septembre 1980
Source :
TF1 (Collection: Expressions )

Éclairage

Il est habillé tout en blanc et décolle sur le fond de ciel bleu. En blanc toujours, il est assis dans une rue de Montpellier et observe les passants. Vision solaire et calme d'un homme visiblement heureux de faire son métier. Tranquille aussi. Ce documentaire conçu par le journaliste Jean-Claude Vernier est un très joli observatoire de la façon dont Bagouet, directeur en 1980 du Centre chorégraphique régional de Montpellier, imaginait sa danse, la partageait avec ses interprètes, travaillait au corps son classique pour le secouer de mille détails facétieux. Sa définition de la « grande virtuosité » tombe sans un faux pli : « une grande qualité de mouvement, une grande concentration, une façon de faire un mouvement dans la joie, la simplicité... »

Dominique Bagouet (1951 -1992) est l'un des chefs de file de ce que l'on a appelé, au tournant des années 80, la nouvelle danse française ou encore la danse contemporaine. Il fut l'un des premiers, avec Jean-Claude Gallotta, à Grenoble, à diriger un centre chorégraphique. C'est celui de Montpellier qu'il inaugura en 1980 et dirigera jusqu'à sa mort en 1991. Parallèlement, il initia dès 1981 le festival Montpellier Danse, profitant de la vague de soutien institutionnel qui allait permettre l'épanouissement de ce mouvement artistique en France. Un phénomène unique au monde que nombre de pays nous envient, se glissant parfois dans nos traces pour impulser un élan chorégraphique neuf.

Né à Angoulême en 1951, Dominique Bagouet découvre la danse classique à la fameuse école de Rosella Hightower, à Cannes. Interprète en 1969 du Ballet du Grand Théâtre de Genève, il y endosse le répertoire néo-classique de George Balanchine avant de découvrir le style plus théâtral de Maurice Béjart. Dès 1976, il chorégraphie ses premières pièces. Il fonde sa compagnie dans la foulée. L'amplitude de son inspiration et de sa liberté d'esprit se lit à travers les parti-pris musicaux de ses spectacles. Ribatz, Ribatz (1976) se joue de tous les clichés sur une bourrée auvergnate ; F.et Stein (1983), solo interprété par Bagouet, s'électrise sur les riffs de guitare de Sven Lava Pohlhammer ; Jours étranges (1990 ) profite de l'énergie des Doors ; So Schnell (1992) s'élance sur la cantate BWV26 de Bach. Avec la complicité du compositeur contemporain Pascal Dusapin, Dominique Bagouet chorégraphiera Assaï (1986) et Le Saut de l'ange (1987).

Dominique Bagouet a tressé une écriture insolite et subtile, injectant dans les pas classiques des accents populaires et malicieux. Son sens ajusté des détails et des ornementations fait de sa danse un régal de finesse et de fantaisie. Les doigts jouent les rideaux ou les éventails, les pieds claquent ou galopent lorsqu'ils ne sont pas soufflés par une fièvre enfantine. Et toujours la mystérieuse élégance, le détachement souriant, de celui qui sait jouer de ses références avec humour.

Dominique Bagouet est mort le 9 décembre 1992. Avec l'écrivain Jean Rouaud, il préparait une pièce intitulée Noces d'or autour de sa famille. Le spectacle ne verra jamais le jour. Depuis sa disparition, ses interprètes - Bagouet sut s'entourer de complices de choix - ont monté une association unique en son genre : les Carnets Bagouet. Parmi les missions des Carnets, la transmission des pièces, remontées par des danseurs de la troupe, est l'un des axes forts. Depuis 1993, une vingtaine de spectacles - sous forme d'intégrale ou simplement d'extraits - ont été confiée à des compagnies, des élèves de Conservatoires ou d'écoles. C'est ainsi que certaines oeuvres d'anthologie de Bagouet perdurent avec bonheur dans les interprétations du Ballet de Genève, de Lyon ou de Lorraine. Parallèlement, de nombreux films ont été réalisés sur le travail de Dominique Bagouet. La réalisatrice Marie-Hélène Rebois a finalisé trois documentaires autour de trois spectacles So Schnell, histoire d'une transmission (1998), Ribatz, Ribatz ! ou le grain du temps (2003), Noces d'or ou la mort du chorégraphe (2006). Cette trilogie autour du temps, de la transmission et de la disparition soulève quelques-unes des problématiques de fond de la danse contemporaine en insistant sur le passage de relais du geste chorégraphique.

Rosita Boisseau

Transcription

(Musique)
Renate Pook
Et quand tu vas à l’autre virage et que tu fais les arcs que font les oiseaux dans le ciel sans se heurter l’un l’autre en plus avec des mouvements très rapides, en regardant du haut loin vers le bas. Que tu es en haut d’une montagne et tu regardes dans une vallée. Et tu vas dans la vallée mais sans t’asseoir sur une branche. Tu repars à tout instant. Tu ne peux décrocher les [Inaudible].
(Musique)
Dominique Bagouet
Il y a un temps nécessaire à ce que le corps respire et à ce que le corps communie avec des techniques nouvelles. Et c’est bien aussi de pouvoir communiquer, c’est le sens de prendre le temps. Progressivement, progressivement, je fais tac, tac, tac… Je ne sais pas ce que ça va donner.
Intervenante 2
Il faudra essayer.
Dominique Bagouet
Tu marches, c’est quelque chose d’assez noble. Mais ce n’est pas un sens parodique non plus. Ce n’est pas trop parodique.
Intervenante 2
Et puis, il n’y a pas le bras les quatre premiers temps. Un, deux, trois, quatre !
Dominique Bagouet
Ah oui. Central peut-être. Il y en a encore deux avant que tu sortes Evelyne, c’est ça ?
Intervenante 3
Quand on est comme ça ?
Dominique Bagouet
Oui, comme ça.
Intervenante 3
Non, il y en a encore un. De là, il y en a encore un.
Dominique Bagouet
OK, on en fait encore un dernier, ok ? Le dernier en ligne de face là. Cinq, six, sept et huit et [Inaudible]. C’est au fur et à mesure. Tu marches… c’est assez précisément…
Intervenante 3
Ce n’est pas plié alors ?
Dominique Bagouet
Oh non, ce n’est pas plié. C’est vraiment assez précisément comme quelque chose d’assez noble.
(Bruit)
(Silence)
(Musique)
Jean-Claude Vernier
Pardon monsieur, vous savez où se trouve la direction de la Compagnie Bagouet, s’il vous plaît ?
Inconnu
C’est par là, monsieur.
Jean-Claude Vernier
Merci beaucoup.
(Musique)
Dominique Bagouet
Entrez !
Jean-Claude Vernier
Bonjour monsieur, je cherche le directeur.
Dominique Bagouet
Je suis directeur.
Jean-Claude Vernier
Vous n’êtes pas le directeur du théâtre ?
Dominique Bagouet
Ah non, je ne suis pas le directeur du théâtre. Le directeur du théâtre, c’est Philippe Delabarre avec qui je collabore mais qui a accueilli la compagnie. Moi, je suis le directeur de la Compagnie Bagouet, Centre Chorégraphique Régional de Montpellier.
Jean-Claude Vernier
Alors, vous êtes Dominique Bagouet ?
Dominique Bagouet
Je suis Dominique Bagouet.
(Musique)
Jean-Claude Vernier
La danse au fond, c’est la performance, la virtuosité, devenir un danseur étoile, être plus fort, sauter plus haut que tous les autres ?
Dominique Bagouet
Il existe une virtuosité, la virtuosité de la performance, ce n’est pas forcément la plus intéressante. Elle existe, elle fait partie de toute une série de principes, de codes dans la danse classique par exemple. Pour moi, la plus grande virtuosité c’est la qualité de mouvement, la grande qualité de mouvement, la concentration, la grande concentration. Pour moi, c’est ça la grande virtuosité. Pendant le saut la façon de le faire, la façon de le vivre, la joie qu’on y met aussi, la simplicité aussi.
(Bruit)
Jean-Claude Vernier
J’ai étudié un peu le panorama de la danse contemporaine avec Béjart, Carolyn Carlson, Peter Goss, Jennifer Muller et cetera. Comment vous vous situez par rapport à tous ces gens-là ?
Dominique Bagouet
Pour me situer, pour moi c’est difficile par rapport à tous ces gens-là parce que je les ai bien connus, certains mieux que d’autres. Moi, je me sens en constante recherche.
(Musique)
Dominique Bagouet
Ce n’est pas démontrer qui montre. Si tu vis complètement ce que tu fais, c’est cela qui montre, cela suffit largement. En plus, on ne va pas dire avec des pancartes, je fais ça, je suis la vie, je suis la mort. Si on est complètement la vie, on est complètement la mort, ce n’est pas la peine de l’expliquer. La danse peut absolument tout dire.
(Musique)
(Silence)
Dominique Bagouet
Une grande intériorité pour une grande générosité. Un danseur, par exemple, se vide complètement pendant un spectacle. Après un spectacle, un danseur, ça peut être très décevant à rencontrer. Ce n’est plus qu’une carcasse, presque, il mettra une bonne nuit, une bonne journée avant de recharger les piles. Il s’est complètement vidé, il a complètement donné, donné, donné, donné, donné pendant toute la soirée de sa performance.
(Silence)
Dominique Bagouet
Il faut savoir aussi être attentif, être attentif au moment où la compréhension est encore là et au moment où l’incompréhension arrive. C’est-à-dire je pense qu’il faut quand même rester dans une zone complètement au stade de l’humanité, au stade de l’humain. C’est-à-dire qu’on n’est pas des martiens. On vit dans une société, on vit au milieu de gens, au milieu de chaleurs auxquelles il faut être attentif.
(Musique)
(Bruit)
(Musique)