Christine de Rivoyre à propos de son roman Belle Alliance

23 mars 1982
10m 22s
Réf. 00002

Notice

Résumé :

L'écrivain Christine de Rivoyre présente son dixième roman Belle Alliance, qui vient de paraître aux éditions Grasset, et revient plus largement sur son attachement pour les Landes.

Date de diffusion :
23 mars 1982
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

Christine de Rivoyre est née à Tarbes, en 1921, dans une famille bourgeoise attachée aux traditions. Après des études supérieures à Paris et aux États-Unis, elle commence une carrière de journaliste culturel au quotidien Le Monde (1950-1955) où elle se spécialise dans la littérature anglo-saxonne et la danse. Dans la décennie qui suit, elle occupe la direction littéraire du magazine féminin Marie-Claire, pour enfin, depuis 1966, se consacrer à sa carrière d'écrivain. Elle a reçu de nombreux prix littéraires : le prix des Quatre Jurys pour L'Alouette au miroirs (1955), le prix Interallié pour Le Petit Matin (1968) ou encore le Grand Prix de la ville de Bordeaux pour Boy (1973).

Ses romans, véritables tableaux de mœurs, se veulent tantôt reflet des modes et illusions d'un temps passé, tantôt portraits désuets d'enfances bourgeoises ou encore réflexion sur la nostalgie des racines.

Si les Landes sont un topique récurrent dans l'œuvre de Christine de Rivoyre (Boy 1973 ; Le Petit Matin 1968), c'est Belle Alliance, publié en 1982, qui, en cristallisant le goût de l'auteur pour ce pays et la valeur nostalgique associée, en est la quintessence même dans une véritable ode au paysage landais.

Le roman se déroule, en quasi-totalité, à Belle Alliance, maison familiale au cœur des Landes dans laquelle se réfugie Margot, excédée du comportement de son amant Manuel. La mélancolie de la retraite sentimentale laisse peu à peu la place à une certaine douceur nostalgique propre au retour sur l'enfance.

L'auteur envisage ainsi la narration en terme d'une triple alliance, entre Margot, Manuel et les Landes, donnant lieu ainsi à une triple éponymie entre le lieu de la fiction, son moteur narratif et le titre du roman. Le paysage landais est ici traité dans une personnification permanente au service d'un hymne à la nature. Bien plus qu'une toile de fond, les forêts, les ruisseaux, les paysages apparaissent comme une entité formelle et spatiale à part entière dans et pour la narration.

L'attachement de Christine de Rivoyre aux Landes a conditionné certains de ses choix de vie, notamment quitter Paris pour s'installer près d'Onesse et vivre entourée de ses chiens et de ses chevaux, tout en assouvissant sa passion pour la botanique.

Cet amour de la nature l'amène à se reconnaître disciple de Colette (1873-1954), romancière assimilée au courant régionaliste pendant l'entre-deux-guerres, tandis que son goût de la vie lui fait admirer Simone de Beauvoir (1908-1986), malgré la divergence de leurs idées respectives. En filigrane, de manière plus ou moins affirmée selon ses romans, Christine de Rivoyre amorce une réflexion critique sur la société de son temps, s'insurgeant contre l'ennui et dépréciant la bourgeoisie de province et ses codes.

Diane Barbe

Transcription

Présentateur
Littérature, nous accueillons maintenant Christine de Rivoyre en tant qu’écrivain cette fois. Alors c’est un livre Belle Alliance qui est publié chez Grasset auquel vous pensez déjà depuis une bonne dizaine d’années, si je suis bien informé, lors d’un passage en 1972. Vous espériez à l’époque pouvoir écrire un jour ce livre sur les Landes, voilà qui est fait. Alors, Jean, vous avez lu ce livre, qu’en pensez-vous ?
Journaliste
C’est donc le dixième roman de Christine de Rivoyre et j’ajouterai à ce que vous venez de dire Gérard que pour moi, je crois que Belle Alliance c’est vraiment le chef-d’œuvre, jusqu’à présent, de Christine de Rivoyre. Alors Belle Alliance donc ce dixième roman de Christine de Rivoyre c’est la triple alliance d’une femme qui est Margot, l’héroïne de ce roman, d’un homme Manuel et surtout et surtout d’une région. D’une région qui sont ces Landes, si chère au cœur de Christine de Rivoyre, parce qu’elle y réside maintenant, pratiquement une partie de l’année. Alors sous les traits de Margot, éprise de liberté, d’indépendance, allumeur tour à tour, enjouée parfois aussi féroce, on retrouve bien sûr, d’emblée, l’auteur; Margot, c’est bien sûr Christine de Rivoyre. Un roman sans doute mais aussi et surtout un hymne de fervent à la nature, à ces Landes que célèbre avec un lyrisme bien oublié aujourd’hui Christine de Rivoyre. Un livre qui oscille entre le rire et les larmes. Tout commence un beau jour de juin quand Margot, lasse des velléités de son amant, Manuel, qui refuse une fois de plus de la suivre dans ses vacances, décide de quitter Paris et d’aller faire retraite dans les Landes pour communier aux sources de l’enfance, aux souvenirs de la famille. Ce retour aux sources, nous vaut d’ailleurs les plus belles pages de ce livre de Christine de Rivoyre. Alors on a vraiment le sentiment, Christine de Rivoyre, que ce livre sommeillait en vous, Gérard le disait tout à l’heure, depuis très longtemps et que finalement c’est un peu un exutoire.
Christine (de) Rivoyre
Alors, sans doute, j’avais déjà écrit sur les Landes n’est-ce pas, puisque Le Petit Matin se passait dans les Landes mais les Landes de l’occupation. Et dans un autre livre Boy je parlais également des Landes ; mais un peu insidieusement, si vous voulez, à la faveur de personnages comme celui de cette Maria Sentucq qui était exactement la chère Marie Lacoste qui a été dans notre famille pendant plus de 60 ans. Mais dans Belle Alliance je voulais que le pays soit traité comme un personnage, en fait qu’il soit aussi important que la mère de Margot, que son enfance, que son amant qui ne cesse de la hanter tout en n’étant pas là ; que cette jeune amie qu’elle retrouve et pour laquelle elle va se dévouer et que les autres personnes qu’elle rencontrera. Car tout se passe dans les Landes, puisque ça commence par une fuite et que ça se termine par un retour. L’action n’est pas tellement importante, ce qui est important c’est tout ce que cela charrie comme histoire de ce pays et d’une enfance heureuse dans un pays.
Journaliste
On va vous retrouver, si vous voulez bien Christine de Rivoyre dans votre cadre landais, à Onesse-et-Laharie. Est-ce qu’il y a deux Christine de Rivoyre, est-ce qu’il y a la parisienne, la journaliste écrivain à succès, et également la landaise, êtes-vous, si je puis emprunter cette expression, une réplique de [incompris] ?
Christine (de) Rivoyre
Oh, peut-être, j’espère. En tout cas, je n’ai jamais perdu les Landes, jamais je n’ai perdu Paris non plus. J’ai habité dans 7 ou 8 quartiers différents, que je connais très bien. Et quand je me promène dans les rues de Paris je suis presque aussi heureuse que quand je me promène dans la forêt.
Présentateur
Qu’est-ce que ça vous fait quand vous redécouvrez les images d’Onesse-et-Laharie ?
Christine (de) Rivoyre
Ça me touche. Je regarde ces enfants, voyez Onesse, écrit, je trouve ça très touchant. J’aime bien penser que ce village peut exister, que les gens peuvent imaginer qu’il existe. Vous savez, toute ma famille, je ne suis qu’un quart landaise. Moi j’imagine que dans toutes mes vies antérieures, j’étais successivement un lièvre, une grive, un chien…
Présentateur
Vous croyez à la métempsychose ?
Christine (de) Rivoyre
Oui, je crois dans en ce qui me concerne, vous voyez, quand je vois tous mes animaux comme ça, vous voyez ce petit cheval, les chiens.
Présentateur
C’est le petit cheval du Petit Matin ça, non ?
Christine (de) Rivoyre
Ça, c’est un petit cheval. Figurez-vous qu’il est né dans ce jardin. Il est né là. Sa maman est irlandaise hein, c’est un double poney, ce sont des petits chevaux qui sont très agréables à monter.
Présentateur
C’est bien acclimaté aux Landes.
Christine (de) Rivoyre
Oh, il y est né. Moi je dis qu’il est landais, elle est irlandaise mais lui est landais. Vous voyez comme il est beau, et il ressemble un peu au cheval du Petit Matin. En fait, les chevaux dans les Landes sont parmi les chevaux les plus heureux, car c’est un sol exceptionnel, c’est un paysage toujours renouvelé, on croit que la forêt landaise est monotone. Elle n’est que variétés.
Présentateur
Mais il faut savoir quitter les nationales ou les départementales.
Christine (de) Rivoyre
Mais naturellement et puis il faut savoir s’enfoncer dans la forêt, il faut savoir aller au bord des ruisseaux, il faut savoir franchir des petits guets, il faut savoir découvrir une merveilleuse source derrière une petite élévation de terrain. Tout n’est que vallonné, et je ne parle pas de la côte qui est une merveille. Parce que, autrefois, il y avait un petit train qui partait de l’intérieur du pays, de 30 km à peu près, et qui allait jusqu’à la mer. On l’appelait le [incompris]. Ça veut dire qu’on était un peu secoué dessus vous voyez, vous l’imaginez. Et puis ce petit train est maintenant, on a arraché les rails et c’est devenu une piste formidable pour aller jusqu’à la mer.
Présentateur
Mais vous avez dit avoir célébré les Landes qui, selon vous est un pays mal aimé et qu’on connait surtout à travers ce que Mauriac a pu en dire ?
Christine (de) Rivoyre
C’est-à-dire que moi je pense que les Landes de Mauriac sont surtout des Landes intérieures. Que c’était son paysage intérieur. Que Mauriac, ce qu’il a voulu étant donné que Mauriac était quand même un homme épris de métaphysique, c’était un philosophe chrétien, le problème de la grâce, il s’en servait et il cherchait; il avait la bourgeoisie landaise comme cible et comme décors, les Landes. Or, moi je n’ai pas les mêmes problèmes que Mauriac en ce sens que si je suis chrétienne; je le suis, je ne crois pas tellement au péché originel enfin, je suis moins tracassée par la grâce.
Présentateur
Vous êtes positiviste.
Christine (de) Rivoyre
Je suis un peu panthéiste et assez chrétienne. Voilà, je mélange. Et pour moi les Landes, c’est un pays de lumières, de beauté et de mystère.
Présentateur
Et on découvre d’ailleurs dans ce livre une Christine de Rivoyre un peu inattendue, Christine de Rivoyre qui est botaniste, vous citez toute la flore landaise avec ses [inaudible], vous avez pompé dans un livre, non ?
Christine (de) Rivoyre
J’ai pompé un peu partout.
Présentateur
Un peu partout. Mais ce sont des réminiscences de jeunesse.
Christine (de) Rivoyre
J’ai toujours aimé la botanique. J’aurais voulu faire des études de botanique sûrement un peu plus poussées et j’ai toujours; ma mère était une botaniste enfin elle connaissait bien les noms des plantes et ma mère était un personnage qui avait un vocabulaire précis, elle ne se trompait pas. Ensuite j’ai beaucoup lu Colette et vous savez que Colette ne se trompait pas non plus et enfin j’ai eu, par mes grands amis, un botaniste connu.
Présentateur
A propos de Colette, je crois que vous avez une anecdote à raconter, vous avez un jour entrevu Colette derrière sa fenêtre à Paris.
Christine (de) Rivoyre
Oui.
Présentateur
C’était un grand moment d’émotion pour vous ça non ?
Christine (de) Rivoyre
C’est-à-dire que je l’admirais depuis très longtemps puisque j’avais commencé à la lire de très bonne heure et que j’avais plein de leçons à recevoir d’elle, et puis je me promenais dans [inaudible] ; puisque je vous dis que je me promenais beaucoup dans Paris, dans le Palais Royal ; et je savais exactement à quel étage de la rue de Beaujolais les fenêtres donnant sur le Palais Royal elle se trouvait, puis tout le monde le savait le Fanal bleu et j’ai regardé, j’étais avec une de mes cousines. Elle a écarté son rideau, elle nous a dit bonjour et puis je me suis dit, allez je vais aller la trouver.
Présentateur
Vous n’avez pas osé.
Christine (de) Rivoyre
Non, je me dis toujours que ce qui doit arriver arrive, et je n’aime pas forcer le destin. Je me suis dit cette image merveilleuse, est-ce qu’elle va être suivie d’une image aussi merveilleuse.
Présentateur
Elle vous a saluée de son balcon ?
Christine (de) Rivoyre
Oui, elle m’a saluée, elle m’a souri. Elle savait qu’il y avait des gens qui venait la regarder, j’étais encore jeune peut-être un peu sotte ou peut-être comme ça sauvage.
Présentateur
Revenons à votre personnage, Margot, cette héroïne. J’ai l’impression qu’il y a beaucoup de femmes qui peuvent se reconnaître dans Margot. Margot c’est un morse, en quelque sorte ce qu’on appelle le deuxième versant de la vie d’une femme où il y a un certain nombre de données qui sont modifiées ne serait-ce que les rapports amoureux ou les rapports même avec les êtres en général.
Christine (de) Rivoyre
Oui, bien sûr. Enfin, je veux dire, moi je pense qu’on s’apaise que c’est une, ou il faut tenter de s’apaiser sinon c’est fichu. Alors, je pense que cette femme est encore très vivante, qu’elle est encore susceptible de souffrir, d’aimer, d’avoir peur, et de goûter des plaisirs immédiats comme ce que lui apporte cette région, qui sont des plaisirs immédiats mélangés de souvenirs. Parce que la nostalgie, finalement, ça rend encore plus vibrant, encore plus fécond les impressions que l’on cueille. Alors ce que je voulais dire aussi c’est que, dans ce livre, j’ai parlé beaucoup de la côte landaise. Le restaurant où Margot va travailler pour aider son ami, puisque c’est aussi une histoire d’amitié...
Présentateur
Ça ce n’était pas prévu d’ailleurs. Ça n’était pas prévu.
Christine (de) Rivoyre
Non, ça n’était pas prévu mais c’était mon système, c’est mon coup de théâtre. Et le restaurant où elle va aller c’est sur ce fameux rivage landais, sur cette côte magnifique. Et que cette côte il faut absolument la respecter, et je le fais dire d’une manière un peu comme ça, pas violente parce que je ne veux pas de la violence, elle bougonne, Margot, quand elle découvre que cette côte n’est pas aussi respectée qu’elle devrait l’être. Parce que vous voyez ces kilomètres et ces kilomètres de rivages au sable parfait où l’on peut se baigner où on peut avoir, alors là, je trouve qu’il y a deux choses qu’il faut vraiment surveiller. Je n’attaque personne, je le dis dans la plus grande décontraction. Il faut absolument qu’on nous nettoie nos plages, nous ne pouvons plus supporter ces flots de poubelles affreuses, il faut essayer de convaincre les espagnols de ne plus jeter leurs poubelles. Il faut leur dire que nous ne pouvons plus recevoir ces décoctions de vieux flacons pourris ; et deuxièmement il faut que les nudistes soient raisonnables.
Présentateur
Merci Christine de Rivoyre, je rappelle le titre donc de ce livre paru aux éditions Grasset Belle Alliance ce dixième roman de Christine de Rivoyre.