Ecoutez Hagetmau parler

06 novembre 1980
15m
Réf. 00633

Notice

Résumé :

FR 3 radio Aquitaine installe pendant 8 jours une antenne radio à Hagetmau, dans la Chalosse. Ce reportage revient sur l'événement et s'attarde sur différents plans de la vie quotidienne des habitants: l'éducation, le travail, le loyer, l'information...

Type de média :
Date de diffusion :
06 novembre 1980
Personnalité(s) :

Éclairage

Hagetmau, 1980 : c'est la fin des « années Giscard », la France sort d'une décennie prospère malgré le choc pétrolier de 1973 qui annonce une période de récession dont personne ne prend encore la mesure. Si ce n'est le plein emploi, le taux de chômage n'est encore que de 5,4% et le niveau de vie des Français explique le développement d'une société de loisirs symbolisée par l'essor du tourisme de masse.

Malgré tout, quelques nuages sombres s'amoncellent à l'horizon, suscitant l'inquiétude dans le monde des affaires. Au 1er juillet, si le SMIC a augmenté de 2,49 %, l'inflation est à son paroxysme : les loyers et le pain augmentent de façon exponentielle, la carte orange, dans les transports parisiens, fait un bond de 21 %... Pire : le 23 octobre – le lendemain du début de l'opération « Écoutez Hagetmau parler » – le tribunal de commerce de Saint-Etienne annonce la mise en liquidation de Manufrance, enseigne mythique du made in France (1).

Dans ce gros bourg de Chalosse à l'écart des grands axes routiers les nouvelles de ce monde en mutation parviennent, comme partout, à travers les « étranges lucarnes » (2) et le « transistor » alimenté par une profusion de radios locales (3). Mais les préoccupations des Landais de ce secteur profondément rural sont parfois décalées par rapport aux priorités de Bruxelles ou de Paris.

Pays de « cocagne », certes, mais derrière la « carte postale », pointent des inquiétudes. Et ici, c'est la chaise qui monopolise, depuis des décennies, la main-d'œuvre locale, succédant à l'activité des sabotiers. Car Hagetmau (Ffagetmau en 1291), c'est, avant tout, une « épaisse » frênaie (haget en gascon) comme l'indique l'adjectif maur, « noir », d'où « profond, obscur, épais ». Une grande partie de l'économie locale repose donc sur l'industrie du meuble. Or ce sujet, primordial pour les Hagetmautiens, semble à peine abordé dans une émission que d'aucuns jugent un peu « racoleuse ».

Cette séquence de proximité est donc perçue, par ceux qui prennent du recul, comme une émission de Parisiens « à la campagne », en quête d'exotisme, dont le jugement est altéré par le prisme déformant d'une vision urbaine de la réalité.

S'il est vrai que la Chalosse, en ce début des années 1980, est encore très ancrée dans ses traditions, les enfants et les jeunes adultes qui sont sollicités ici, savent confusément qu'ils devront s'adapter, même s'ils ont « peur ». Et, de fait, ils appartiennent à une génération qui va connaître l'un des plus grands bouleversements de l'histoire contemporaine avec l'exode rural et l'adaptation à de nouveaux modes de vie, engendrés par l'évolution fulgurante des progrès techniques, l'évolution du monde du travail et la révolution de l'informatique.

(1) Créée en 1885, Manufrance est le nom commercial de la Manufacture Française d'Armes et Cycles de Saint-Étienne, une société française de vente par correspondance située dans la ville industrielle de Saint-Étienne (Rhône).

Voir aussi : https://www.google.fr/#q=manufrance

(2) 90 % des ménages possèdent alors la télévision.

(3) En 1963, l'ORTF s'installe à la maison de Radio France, quai Kennedy, à Paris ; France Inter, France Musique et France Culture sont créées dans cette mouvance. Onze ans plus tard, l'ORTF est démantelé et le secteur radio échoit à l'entreprise publique Radio France.

En réaction à ce monopole émergent alors des radios « pirates ». Pour juguler ce phénomène, Radio France lance en 1980 cinq nouvelles stations dont trois régionales (Fréquence Nord, Radio France Mayenne et Radio France Melun) préfigurant le réseau France Bleu, créé dans un contexte plus général de décentralisation (lois 1981-1983).

Voir aussi http://fr.wikipedia.org/wiki/France_Bleu

Bénédicte Boyrie-Fénié

Transcription

(Musique)
Jean-Pierre Tastet
Enfin, je vois la radio régionale dans le coin. Je ne savais pas qu’elle existait moi la radio régionale.
(Musique)
Journaliste
Certains Hagetmautiens ignoraient l’existence de la radio régionale, certains Aquitains ignoraient l’existence d’Hagetmau. Désormais, presque tous les Hagetmautiens ont rencontré la radio, la plupart des Aquitains ont fait connaissance avec Hagetmau.
(Musique)
Journaliste
C’est le 22 octobre dernier que se fait cette rencontre avec l’installation pendant 8 jours d’une antenne radio de FR3 Aquitaine dans ce grand village de la Chalosse.
(Musique)
Intervenant 2
Monsieur Berger, Bernard Morand, René Boisri, en direct d’Hagetmau, bonjour.
(Musique)
Journaliste
Pendant une semaine, animateurs et techniciens ont sillonné cette commune des Landes à la recherche de son histoire, de sa vie, de ses racines. De fermes en cafés, de rues en palombières, d’écoles en terrains de rugby, tous les hauts lieux de la Chalosse ont été passés peigne fin de l’information. Rugbymans, chasseurs, paysans se sont raconté chaque jour de la semaine pendant une heure au micro d’Aquitaine Radio. Comment les Hagetmautiens ont-ils réagi à cette radio ? L’ont-ils apprécié ou non ? S’y sont-ils reconnus ? C’est ce que nous avons essayé de savoir à l’issue de cette semaine de radio landaise, dont un des points forts se situait là au cœur de la forêt dans une palombière.
Intervenant 1
En somme, c’est bien, on arrête de manger quand même.
Intervenant 2
Moi, je ne partage pas cet avis, parce que moi, quand je suis ici en bas en train de manger, ben, il peut passer des palombes, ça m’est égal. Parce que pour moi, la chasse, c’est un plaisir et non un rapport.
Journaliste
Si une radio locale s’installait en permanence ici à Hagetmau, elle ressemblerait à celle que Guy Suire a faite pendant toute la semaine ?
Jean-Pierre Tastet
Je ne sais pas, elle aura intérêt, oui. Lui, Guy Suire, il a pigé ce qu’il fallait faire. Je ne sais pas si ça vient de lui, mais ils ont pigé ce qu’il y avait à faire.
Journaliste
Enchantés, des Hagetmautiens l’ont été, d’autres, plus sceptiques, se sont inscrits en faux contre l’image de leur pays rendu par cette radio ; une image que certains ont jugé quelque peu folklorique.
Marcel Cabannes
C’est un peu une carte postale, c’est-à-dire bon ben, Hagetmau, c’est dans le sud-ouest, donc on y fait du rugby, donc on y chasse à la palombe, donc on y mange de viande. C’est vrai, mais ce n’est pas que ça. Il y a quand même des problèmes en dehors des problèmes généraux de toute la France. Il y a des problèmes propres au Sud-Ouest, aux Landes, à l’agriculture, à l’industrie de la chaise, bon ben, pourquoi pas. Bon oui, ça va un moment, le bon compteur, le bon pépé qui est au coin du feu, qui raconte ses histoires, oui, qui raconte l’ancien temps. Ben, on vit en 80.
Journaliste
En 1980, Hagetmau, c’est 4 700 habitants, dont près de 40 % au moins de 34 ans. Hagetmau, c’est une industrie florissante, l’industrie de la chaise. Hagetmau, c’est un secteur agricole important, Hagetmau, c’est enfin un pôle d’attraction commerciale. Mais aujourd’hui, en 1980, à l’époque dite de l’audiovisuelle, les enfants landais ne sont pas beaucoup plus familiarisés avec la radio que ne l’étaient leurs parents. Un premier pas décisif dans ce sens s’est certainement fait avec cette expérience de radio locale.
(Musique)
Marinette Cabannes
Je crois qu’ils ne connaissent pas tellement la radio à part peut-être les jeux de Radio Monte Carlos ou autre chose. Mais la radio en tant que moyen d’information, c’est quelque chose qu’ils ignorent presque tous, je crois.
(Bruit)
Journaliste
Et s’il y avait demain une radio qui restait en permanence ici, vous pensez que vous, en tant qu’élèves du collège, vous interviendriez dans cette radio ?
Inconnu 1
Oui, on pourrait essayer. On pourrait essayer parce que souvent, c’est les adultes qui ont la parole. Puis même, on peut le voir à la télé, de toute façon, c’est souvent les adultes qui parlent.
Journaliste
Vous disiez qu’en fait, vous étiez étonnés qu’il y ait une radio à Hagetmau ?
Inconnu 1
Oui, parce qu’on ne parle pas souvent de nous et de notre région.
Inconnu 2
C’est un coin perdu.
Inconnue 2
Oui, un coin perdu.
Journaliste
Vous pensez que vous êtes…, vous…
Inconnu 1
On se demande pourquoi vous êtes venue ici ?
Journaliste
Vous pensez que vous êtes moins intéressants que les Parisiens par exemple ?
Inconnue 2
Oui, parce que les Parisiens, c’est tous les jours, tous les jours, tandis que nous…
Journaliste
Mais vous pensez que vous n’avez pas autant de choses à dire qu’eux ?
Inconnue 2
Si, sûrement.
Inconnue 3
Peut-être un peu plus même.
Inconnue 2
Oui, mais on ne nous donne pas tous les moyens pour les exprimer.
Journaliste
Grande première pourtant pour ces collégiens que cette émission de radio, en partie faite par eux ; où ils ont entre autres fabriqué, expliqué et mangé la tourtière, une de leur spécialités régionales.
Intervenante 1
… pour le jour même, c’est mieux, ou alors la laisser reposer au moins une heure ou deux. On va asperger la pâte, on va la garnir d’armagnac, de sucre et de beurre. Puis, on va découper des cercles qu’on va superposer sur une pâte, sur la tourtière.
Inconnu 3
À quoi sert cette barrière ?
Journaliste
Grande première aussi pour ces écoliers landais que cette émission, faite de chez l’un d’eux, une ferme qui ressemble à celle où beaucoup d’entre eux vivent.
Intervenante 2
Ça s’appelle des cornadis.
(Bruit)
Journaliste
Est-ce que vous vous reconnaissez en tant qu’Hagetmautien dans cette radio ?
Jean Lassalle
Je ne sais pas, ça fait 32 ans que je suis à Hagetmau. Mais Hagetmau, c’est lui qui connaît le fond d’Hagetmau, ici c’était un pays cocagne autrefois.
Marcel Cabannes
Je pense que les émissions de radio qui auraient été faites ne reflètent pas totalement cette vie hagetmautienne. Mardi, c’était quand même un thème un peu plus sérieux, c’était les industries de la chaise à Hagetmau, mais uniquement en faisant apparaître le côté spécialité de la ville. C’est assez particulier qu’Hagetmau soit monopolisé toute son industrie sur la chaise.
Journaliste
Et qu’est-ce qu’on n’y a pas vu alors ?
Marcel Cabannes
Voilà, c’est à croire qu’on fait des chaises sans ouvriers, c’est parce que les ouvriers ont été assez absents. Ou alors, les ouvriers qui ont parlé, quand on les a rencontrés à droite et à gauche, c’est pour parler de rugby, on ne parlait pas leur mot. Vous savez, quand on a dit à tout le monde, c’est un peu difficile.
Paulette Scanio
Je trouvais ça intéressant, enfin, notamment la partie de rugby, dont Monsieur Loterie a parlé, ça relate tout à fait l’esprit du pays. Et j’ai entendu aussi celle de mardi, qui avait été, je crois, enregistré à Mans dans l’usine de siège de Monsieur Godard.
Journaliste
C’est un beau reflet pour vous de la vie locale ?
Paulette Scanio
Oui, particulièrement, cette émission tournée chez Monsieur Godard.
Alain Dutoya
Ces émissions ont été intéressantes, elles ont présenté une partie d’Hagetmau. Il est difficile évidemment en une semaine de présenter toute la commune. Mais il n’en reste pas moins que cela montrait un aspect d’ailleurs d’Hagetmau que seul un Hagetmautien ne connaissait pas.
Journaliste
Comment ça, vous pouvez préciser ?
Alain Dutoya
Ben, si vous voulez, quand on est l’acteur, quand on est l’auteur si vous voulez d’une ville, et tous les habitants sont l’auteur d’Hagetmau ; c’est comme si nous écrivions un livre et nous voyons quelqu’un qui maintenant en a fait un film. Il y a toujours une différence entre le film et le livre. Certains sont déçus, certains au contraire sont emballés, trouvent que le livre a pris beaucoup plus de valeurs qu’il en avait réellement. C’est vrai que la partie peut-être culturelle, la partie peut-être apparente d’Hagetmau a pris le pas sur la partie plus profonde. Je pense qu’Hagetmau ne peut se découvrir qu’on est vivant. Je ne veux pas dire que tous vos techniciens doivent venir vivre à Hagetmau pour connaître un peu mieux cette commune. Mais je crois que ce serait l’idéal.
(Musique)
Journaliste
Vous savez qu’il y a une radio installée en ce moment à Hagetmau ?
Julie Duclos
Comment ?
Journaliste
Vous savez qu’il y a une radio installée en ce moment à Hagetmau ?
Julie Duclos
Je ne sais pas, oui, ça se peut, je ne sais pas moi. Vous savez, je ne sors plus moi.
Journaliste
Vous avez écouté la radio ?
Julie Duclos
Très peu.
Journaliste
Pourquoi ne l’écoutez-vous pas ?
Julie Duclos
Oh, qu’est-ce que vous voulez, il n’y a pas assez de temps quoi.
Journaliste
Et vous lisez le journal ?
Julie Duclos
Oui, quelque peu.
Journaliste
Qu’est-ce que vous lisez dans le journal ?
Julie Duclos
Dans le journal, je regarde tout de suite les accidents, les décès, c’est comme ça. Vous me faites causer.
Journaliste
Alors, si à la radio, on vous parlait des décès et aussi des accidents dans la radio, vous l’écouteriez plus ?
Julie Duclos
Oh, certainement, mais qu’est-ce que vous voulez ? Vous savez, nous les campagnards, les paysans, on ne peut pas écouter chaque fois qu’on en aurait besoin. Et nous avons le boulot toujours, qu’est-ce que vous voulez ?
Journaliste
Mais vous trouvez bien le temps de lire le journal.
Julie Duclos
On le passe un peu.
Journaliste
C’est plus une habitude.
Julie Duclos
Oui, une habitude pour savoir à peu près les affaires de la région.
Journaliste
Et vous trouvez qu’à la radio, on ne parle pas assez des affaires de la région.
Julie Duclos
Oh, certainement, il y a plus des choses plus intéressantes.
Journaliste
Comme quoi, plus intéressant ?
Julie Duclos
Je ne sais pas, quelque chose ce plus intéressant.
(Bruit)
Journaliste
C’est autour d’une table, chez des hôtes hagetmautiens que s’est faite l’une des dernières émissions de cette radio landaise.
(Bruit)
Journaliste
Tout au long de ce repas en direct, le téléphone chez ces agriculteurs n’a cessé de sonner. Parents, amis, voisins, tout le village en un mot était à l’écoute et voulait le dire. Comme dans la plupart des petites villes de France, les gens ici se connaissent. Ils se connaissent bien, trop bien peut-être. C’est ce qui explique en partie la réticence de certains habitants à parler devant un micro ou une caméra, crainte du qu’en-dira-t-on ; une notion non négligeable dans une petite ville de province.
(Bruit)
Journaliste
4 700 habitants, c’est une petite ville, mais c’est une grande famille. D’aucuns disent même que la radio locale ici existe depuis bien longtemps, elle s’appelle le bouche-à-oreille.
Inconnu 3
On essayait justement de nous donner la possibilité d’augmenter des fois autre chose, et j’aimerais bien rester, oui. Mais tout seul, j’ai peur.
Robert Marquebielle
Vous savez ici, je ne sais pas si vous l’avez fait ou si vous l’avez montré dans certaines émissions, mais tout le monde connaît tout le monde. Un gars qui est arrivé à Hagetmau, on ne connaît pas son nom, c’est un étranger d’Hagetmau. Bon, les histoires, toute sorte d’histoires d’individus, au bout de 8 ou 15 jours, tout le monde le sait.
Journaliste
La radio locale, vous la voyez un peu comme ça ?
(Silence)
Alain Dutoya
Oui, mais c’est humoristique. Mais je pense effectivement que la radio locale doit être très locale, extrêmement locale, et doit rester faite par les habitants.
Journaliste
Vous aimerez qu’une radio s’installe en permanence à Hagetmau ?
Alain Dutoya
Alors, ce serait l’idéal.
(Musique)
Journaliste
Si l’on en croit les bruits de la rue ou d’une fenêtre à l’autre, les transistors se renvoyaient les programmes de l’émission d’Hagetmau ; les auditeurs ont été à l’écoute, à l’écoute de leur pays. Et si l’image de ce pays est apparue à certains, déformée ou déformante, on peut se demander s’ils n’ont pas eux-mêmes joué le rôle de miroir déformant. En tout cas, la rencontre entre radio et autochtones s’est faite à n’en pas douter à Hagetmau ; en témoignent ces interventions d’auditeurs qui venaient spontanément parler ou chanter au micro de cette radio qui pendant 8 jours, a tenté d’être la leur.
(Musique)