La cohabitation au sommet de Tokyo

06 mai 1986
04m 18s
Réf. 00095

Notice

Résumé :
Au Sommet des pays industrialisés de Tokyo, la France est représentée par le président François Mitterrand et son Premier ministre Jacques Chirac. Cette situation inédite suscite nombre de questions sur la gestion de la politique étrangère de la France, d'autant que les deux hommes appartiennent à deux familles politiques différentes. Des rumeurs auxquelles Mitterrand répond : « Il n’y a qu’une voix de la France ».
Date de diffusion :
06 mai 1986
Source :
Antenne 2 (Collection: Midi 2 )

Éclairage

La tradition de la Ve République veut que le Président définisse les orientations de la politique étrangère du pays. Une pratique que la cohabitation met à rude épreuve dès la première rencontre internationale qui suit le 16 mars, le Sommet des pays industrialisés de Tokyo, du 4 au 6 mai 1986.

A cette occasion, ce sont les questions protocolaires qui reviennent au premier plan. Alors que le Président est normalement accompagné par le ministre des Affaires étrangères et le ministre des Finances, le Premier ministre Jacques Chirac exprime son souhait de participer aux consultations entre les chefs d’État et de gouvernement des Sept. Pour François Mitterrand, il n’est pas question que la délégation française compte un membre de plus : s’il est d’accord pour que Chirac y participe, il demande au Premier ministre de choisir lequel des deux ministres ne sera pas présent dans la capitale japonaise. Edouard Balladur, ministre des Finances, restera finalement à Paris.

Autre question qui se pose, celle de la présence de Jacques Chirac aux événements réservés aux chefs de délégation. Le Premier ministre souhaite côtoyer François Mitterrand lors des réunions restreintes et au dîner du dimanche, mais le Président n’est pas du tout du même avis. Aux événements restreints, c’est au Président qui revient la tâche de représenter la France, alors qu’aux réunions élargies le Premier ministre a tout à fait sa place. La même hiérarchie est respectée lors de la conférence de presse qui a lieu à la fin de la rencontre : Mitterrand parle, seul, au nom de la France, alors que Chirac siège au deuxième rang avec les autres représentants des délégations nationales.

Si la politique étrangère est d’habitude considérée comme le domaine réservé du chef de l’État, la cohabitation oblige à réviser cette pratique pour s’adapter à la nouvelle situation politique. Au sommet de Tokyo, Mitterrand accepte que le Premier ministre soit impliqué dans les rencontres internationales, mais il affirme aussi sa prééminence quand il s’agit de parler au nom du pays.
Ilaria Parisi

Transcription

Hervé Claude
Deuxième titre du journal, le Sommet de Tokyo, c’est fini. Et décidemment, tout va pour le mieux entre les Sept. Après l’accord sur le terrorisme, après l’accord sur la sécurité nucléaire, c’est maintenant l’accord économique qu’il faut souligner ; il est intervenu la nuit dernière. Côté français, ce sommet était une véritable curiosité avec la présence du Président et du Premier Ministre, une première très suivie à l’étranger aussi. Au cours de la conférence de presse qu’il a tenue pour commenter le sommet avec Jacques Chirac à ses côtés, Monsieur Mitterrand a reçu beaucoup de questions à propos de cette cohabitation ; d’autant que selon un haut fonctionnaire japonais, Jacques Chirac aurait tenu des propos acides à l’égard de François Mitterrand lorsque Monsieur Chirac a rencontré son homologue japonais, Monsieur Nakasone. Alors tout de suite, nous faisons le point à Tokyo avec Paul Amar.
Paul Amar
Surprise, le Président et le Premier Ministre semblent être moins détendus qu’hier. Ils savent pourtant que les caméras tournent et filment le début de la réunion. Les journalistes se posent déjà la question, l’attitude des deux hommes est-elle liée au fait que Jacques Chirac ait fait allusion hier à la cohabitation avec Nakasone ?
(Bruit)
Paul Amar
Pour avoir la réponse, il suffit de guetter la seconde apparition du Président et du Premier Ministre. L’occasion se présente, Ronald Reagan les reçoit tous les deux, François Mitterrand arrive le premier, il sourit.
(Bruit)
Paul Amar
Jacques Chirac arrive quelques secondes plus tard.
(Bruit)
Paul Amar
Il va sourire lui aussi.
(Bruit)
Paul Amar
Confirmation spectaculaire au cours de la conférence de presse du Chef de l’État, François Mitterrand tient à dissiper toute ambiguïté, la France n’a tenu à Tokyo qu’un seul discours.
François Mitterrand
C’est tellement évident, les représentants de la France sont d’abord des patriotes en tant que citoyens. Ensuite, ils représentent un grand pays, ils en sont fiers. Et s’ils avaient besoin de faire appel à la notion du devoir, ils s’imposeraient déjà à eux-mêmes cette discipline. Mais ils ne sont pas obligés de recourir à la notion de devoir, parce que c’est un mouvement naturel que de représenter la France comme il convient. Il n’y a qu’une voix de la France, ceci est dit une fois pour toute.
Paul Amar
Tout de même, la présence du Président et du Premier Ministre qui n’ont pas les mêmes conceptions en politique intérieure, ne constitue-t-elle pas un handicap pour la France à l’étranger, le Chef de l’État ne le pense pas.
(Bruit)
François Mitterrand
Là où il y a novation dans, je vais dire pas dans la qualité mais peut-être, en tout cas dans la responsabilité, c’est le fait que ce soit le Premier Ministre qui soit à mes côtés à Tokyo. Cela se reproduira dans d’autres capitales. Mais si cela ajoute du, du poids et c’est le cas, à la délégation française, tant mieux pour la France. De toute façon, euh, le lien gouvernement-Président de la République et j'emploie cet ordre, c’est la politesse qui l’exige, euh, ce lien-là, il est établi depuis toujours. Alors, au-delà des personnes, ayez la bonté de considérer que c’est une règle que nous respectons. Maintenant, n’oubliez pas les personnes et considérez que la délégation française à Tokyo était particulièrement importante.
Paul Amar
Symbole de l’image, François Mitterrand, seul à la tribune pour la conférence de presse, Jacques Chirac à ses côtés, discret mais souriant. La signification n’aura échappé à personne, le Président de la République et le Premier Ministre font la même lecture de la constitution dans la conduite de la politique étrangère. C’est le Chef de l’État qui représente la France à l’étranger, c’est le Chef de l’État qui parle au nom de la France. Jacques Chirac ne remet absolument pas en cause cette règle, cette tradition de la Cinquième République. Mais Jacques Chirac n’est pas mis pour autant devant le fait accompli. Le Sommet de Tokyo l’a confirmé, les décisions ou les initiatives sur ce point précis, la politique extérieure sont prises en commun, la notion de domaine réservé a ainsi disparu. C’est cela le changement du 16 mars, mais un changement dans la continuité.