La cohabitation au sommet européen de La Haye

27 juin 1986
03m 20s
Réf. 00096

Notice

Résumé :
Alors que les journalistes cherchent à décrypter les nuances qui existent entre le Président et le Premier ministre en matière de politique étrangère, François Mitterrand répond : « On est à La Haye et il y a la France ».
Date de diffusion :
27 juin 1986
Source :
Antenne 2 (Collection: JT 20H )

Éclairage

Le sommet européen qui se tient à La Haye du 26 au 27 juin 1986 offre une deuxième occasion, après Tokyo (voir ce document), d’observer comment la cohabitation peut affecter la politique étrangère de la France.

Jacques Chirac, qui avait finalement accepté de garder une position effacée au Sommet des pays industrialisés de Tokyo, revendique une place de premier ordre lors de la rencontre communautaire, sous prétexte que les affaires européens intéressent au premier degré la politique intérieure du pays et de ce fait, le chef du gouvernement. Comme à Tokyo, les questions protocolaires reviennent au premier plan de la préparation du sommet. Alors que la délégation française est normalement conduite par le Président, assisté par le ministre des Affaires étrangères, Jacques Chirac demande à s’ajouter à cette délégation, ce qui conduirait la France à avoir trois représentants à la table des négociations au lieu des deux habituels. Le refus de François Mitterrand est net, preuve qu’il veut éviter de singulariser la France - mais il entend surtout défendre son rôle de chef de la délégation française. Un compromis est enfin trouvé : François Mitterrand, Jacques Chirac et Jean-Bernard Raimond se rendent à La Haye, mais seulement deux d’entre eux siègent à la table des discussions, Jean-Bernard Raimond suppléant tantôt le Président, tantôt le Premier ministre quand ceux-ci quittent la table.

Les querelles françaises ne manquent pas d’intriguer les autres délégations et les journalistes présents. En conférence de presse, des questions surgissent à propos des nuances qui existent entre la position de François Mitterrand et de Jacques Chirac à propos des sanctions discutées à l’encontre du régime d'apartheid en Afrique du Sud. Mais un accord tacite existe désormais entre le Président et le Premier ministre : à l’étranger, il ne peut y avoir qu’une seule voix de la France.
Ilaria Parisi

Transcription

Bernard Rapp
Mais revenons un moment au Conseil Européen à La Haye pour détailler avec Paul Amar la conférence de presse finale, placée, cette fois encore, sous le signe de la cohabitation. Une histoire que l’on pourrait intituler deux chaises pour trois.
Paul Amar
Le suspense de La Haye, Jacques Chirac parlera-t-il, quelle place prendra-t-il dans la salle de conférence ? Réponse, La Haye ce n’est pas Tokyo, le Premier Ministre va s’asseoir à côté du Chef de l’Etat, qui aura lui-même à sa gauche Jean-Bernard Raimond, le Ministre des Affaires Étrangères, et il s’exprimera. Mais c’est François Mitterrand, fonction oblige, qui ouvre le feu, qui parle notamment de la lutte contre la drogue, elle lui tient à coeur, et de l’Afrique du Sud. Question au Président et au Premier Ministre, les deux hommes ont-ils eu la même position sur ce point ? Le Chef de l’Etat n’apprécie pas qu’elle soit posée de cette manière mais va y répondre.
François Mitterrand
Ce que je puis vous dire, c’est que avant la rencontre de La Haye, cette question avait justifié, vous le comprenez bien, une conversation sérieuse entre le Chef du Gouvernement et moi-même, ainsi que Monsieur le Ministre des Affaires Étrangères, qui a d’ailleurs en cette affaire, une connaissance particulière et une initiative constante. Et constatant que la France devait avoir une politique étrangère, nous sommes parvenu à une prise de position dont le point de départ est, ne supposait d’ailleurs aucun différend. C’est-à-dire, la condamnation de l’Apartheid, premièrement, qui est à l’origine de la violence, qui est la violence même.
Paul Amar
Tous les regards se tournent alors vers Jacques Chirac, la mise au point est laconique.
Jacques Chirac
Rien d’autre à ajouter Monsieur Amar, vous devez être parfaitement satisfait.
Paul Amar
Les journalistes insistent tout de même et reviennent, têtus, sur les nuances qui auraient existé sur l’Afrique du Sud. La réponse, cette fois, satisfait totalement leur curiosité.
François Mitterrand
Qui interrogez-vous ?
Journaliste
Vous-même et Monsieur le Premier Ministre.
François Mitterrand
Ah oui, mais toujours les doubles questions, vous voulez apporter des nuances, mais alors, bien entendu, il y en a, sans quoi la question ne se poserait pas.
Jacques Chirac
On ne vous les dira pas.
François Mitterrand
Mais, mais nous sommes à La Haye et il y a la France, et c’est le premier de nos soucis.
Paul Amar
Pas une seule fausse note donc aujourd’hui à La Haye. Une répartition parfaite des rôles entre un Président, chef de délégation, et un Premier Ministre qui souhaitait et qui a pu s’exprimer, il n’avait rien dit à Tokyo. Et surtout, une partition très bien écrite et bien jouée, impossible de les prendre en défaut ou en flagrant délit de divergence. Deux voix peut-être, mais un seul et même discours pour une seule et même raison, l’union et l’image de la France à l’étranger. Des travaux pratiques édifiants qui permettent en fait aux deux hommes de mettre au point chaque jour un peu plus précisément l’art et la manière de cohabiter. Un art qui tient aux deux principes énoncés implicitement à La Haye. Premier principe, quand ils ne sont pas d’accord sur la politique étrangère, ils tentent de trouver un compromis et ils le trouvent. Deuxième principe, quand ils ne sont pas d’accord sur la politique économique et sociale, ils le constatent simplement et préfèrent rester sur leur position. Autrement dit, consensus sur la politique étrangère, autonomie sur la politique intérieure, le livre de la coexistence vient de s’enrichir d’un nouveau chapitre à La Haye.