François Mitterrand face à la guerre du Golfe

16 janvier 1991
07m 35s
Réf. 00157

Notice

Résumé :
Le 16 janvier 1990, François Mitterrand délivre un message télévisé pour annoncer que la guerre pour libérer le Koweït est désormais inévitable. Après les tentatives de médiation, « les armes vont parler ». Le Président demande à la Nation de se rassembler autour de ses soldats, qui vont combattre au nom de la défense des valeurs de paix et de respect du droit.
Type de média :
Date de diffusion :
16 janvier 1991
Source :
FR3 (Collection: 19/20 )
Personnalité(s) :

Éclairage

Les origines de la guerre du Golfe s’inscrivent dans la suite du conflit qui a vu l’Irak de Saddam Hussein s’opposer à l’expansion de la révolution islamiste initiée par l’Iran de l’Ayatollah Khomeiny. Huit ans de conflit, de 1980 à 1988, ont épuisé les ressources et détruit une grande partie des structures économiques de l’Irak, qui demande alors à ses créditeurs une remise des dettes pour pouvoir procéder à la reconstruction. Néanmoins, les conditions accordées par les créanciers arabes ne correspondent pas aux demandes du dictateur irakien ; surtout, ces mêmes pays se refusent à hausser le prix du pétrole au niveau demandé par Saddam Hussein, ce qui lui aurait permis de récupérer du capital. Le Koweït fait partie de ce groupes d’États hostiles aux conditions demandées par le dictateur et il devient la cible de sa revanche : sa petite taille, ses réserves pétrolières importantes et un vieux contentieux territorial qui date de sa création en 1961, donneront le prétexte pour l’invasion et l’annexion du pays le 2 août 1990.

Face à cette violation évidente du droit international, et d’un État membre de l’ONU contre un autre État de la même organisation, François Mitterrand n’a pas l’intention de rester à la marge de la résolution de la crise. Dès les premiers jours, il fixe sa position sur une voie parallèle. D’une part, il affiche sa détermination à s’engager militairement si les forces irakiennes ne se retirent pas du Koweït. Preuve en est l’opération Daguet, décidée à la mi-septembre et renforcée en hommes et en moyens quelques semaines plus tard ; à noter aussi, l’approbation de la résolution numéro 678 du Conseil de sécurité, datée 29 novembre, qui autorise l’usage de tous les moyens indispensables pour résoudre la crise. D’autre part, le Président français veut donner toutes ses chances à la négociation. Par le discours qu’il prononce à l’ONU le 24 septembre 1990, François Mitterrand demande à Saddam Hussein un engagement à se retirer du Koweït, premier pas pour y rétablir un gouvernement démocratique et envisager, le moment venu, une solution pour réduire l’instabilité dans la région.

Cet appel, comme d’autres, seront ignorés du dictateur : ni l’envoi d’émissaires au Moyen-Orient, ni une déclaration de l’ONU qui intervient tout juste avant la fin de l’ultimatum, fixé au 15 janvier, ne pourront fléchir la position de Saddam Hussein et éviter le conflit.
Ilaria Parisi

Transcription

Paul Amar
Je vous le disais tout à l’heure, il est 19 heures 59 minutes et 47 secondes, le Président de la République va s’adresser à la Nation à 20 heures précisément. Je rappelle simplement sa phrase ce matin, c’était un message au Parlement, "le recours à la force est légitime", écoutons.
(Silence)
François Mitterrand
Françaises, Français, mes chers compatriotes, lorsque je vous ai adressé mes voeux le 31 décembre, je ne vous ai pas caché la gravité de la situation créée par le refus obstiné de l’Irak d’évacuer le Koweït et de respecter le droit international qu’il avait approuvé, comme nous, en signant la charte des Nations Unies. Je vous ai dit alors quels étaient les devoirs de la France, quelles propositions nous avions faites en son nom, notre action au Conseil de sécurité et ailleurs, pourquoi nous avions appliqué les résolutions des Nations Unies, notamment par l’envoi d’une force armée dans la région du Golfe. Je vous ai dit aussi que rien ne serait négligé par la France pour tenter de sauver la paix. Or, depuis ce matin, la crise internationale est entrée dans une phase décisive. Depuis ce matin, le délai accordé par les Nations Unies à la réflexion et autant que possible au dialogue entre ceux qui pouvaient infléchir le destin est maintenant dépassé. Sauf événement imprévu, donc improbable, les armes vont parler. Comme je m’y étais engagé, tout ce qu’il était raisonnable d’entreprendre pour la paix l’a été. Hier encore, tout le long de la journée, où sont arrivés de partout, de la plupart des pays d’Europe, du monde arabe, de l’immense majorité des pays neutres, de plusieurs pays d’Amérique, les encouragements, les soutiens pour notre ultime initiative auprès des Nations Unies, appelée par beaucoup le plan de paix français. Hélas, comme je l’ai déclaré il y a quelques heures dans mon message au Parlement, pas un mot, pas un signe n’est venu de l’Irak qui aurait permis d’espérer que la paix, au bout du compte, l’emporterait. Puisqu’il en est ainsi, je vous demande, mes chers compatriotes, de faire bloc autour de nos soldats et pour les idéaux qui inspirent notre action. Il y faudra du courage, de la clairvoyance, de la persévérance. Du courage, cela va de soi, la guerre exige beaucoup d’un peuple, nous le savons d’expérience. Même si n’est pas en jeu notre existence nationale, même si les 12 000 des nôtres, qui prendront part sur le terrain aux opérations militaires, ont choisi le métier des armes, c’est la Nation toute entière qui doit se sentir engagée, solidaire de leurs efforts et de leur sacrifice. C’est la France toute entière qui doit les entourer de sa confiance et de son affection. De la clairvoyance, les résolutions adoptées par les Nations Unies que nous avons votées représentent à mes yeux la garantie suprême d’un ordre mondial fondé sur le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. De ce droit, nous avons le plus grand besoin. Nos libertés, notre indépendance, notre sécurité sont à ce prix, il faut que vous en soyez sûrs. Protéger le droit dans le Golfe, au Moyen-Orient, aussi loin de nous qu’il semble sur une carte de géographie, c’est protéger notre pays. Ne laissons jamais à la loi du plus fort le soin de gouverner le monde; un jour ou l’autre, elle s’installerait chez nous. De la persévérance, nous traverserons cette épreuve sans haine pour personne, sans jamais perdre espoir, sans oublier que viendra nécessairement le jour où des peuples aujourd’hui divisés, devront se retrouver. En gardant toujours à l’esprit que l’ordre des nations l’emportera sur la violence. À quelque moment que ce soit, nous répondrons à tout appel, nous saisirons toute occasion qui rendra ses chances à la paix dans le respect du droit. Comme elle aura été présente dans la guerre, la France écoutée, respectée de tous côtés, je vous l’assure, sera présente au rendez-vous quand le dialogue reprendra pour mettre enfin un terme au déchirement du Moyen-Orient. Nous savons bien que le Koweït évacué, rien ne sera réglé au fond, tant qu'une conférence internationale ne se sera pas attachée à résoudre par la négociation les graves problèmes de cette région, c’est-à-dire, tout ce qui tourne autour du conflit israélo-arabe, sans oublier le drame libanais, ni les Palestiniens. Tout repose désormais sur les soldats des 29 Nations alliées dont les forces sont en place dans le Golfe et pour ce qui nous concerne, sur notre cohésion nationale. La patrie fera face aux heures difficiles qui s’annoncent en préservant son unité. Je compte sur vous tous, vive la République, vive la France !
(Silence)