La catastrophe du Grand Bornand : un mois après

14 août 1987
02m 39s
Réf. 00036

Notice

Résumé :

Reportage sur la catastrophe du Grand Bornand qui a eu lieu le 14 juillet 1987. Un camping est emporté par un torrent en crue. L'enquête administrative a conclu à une imprudence mais n'a pas retenu de responsabilités. Il est difficile pour les habitants d'oublier cette tragédie qui a fait 23 morts. Les dégâts sont estimés à 16 millions de francs dans la station. Un mois après les touristes ont déserté la ville.

Date de diffusion :
14 août 1987
Source :
FR3 (Collection: JT FR3 Alpes )
Personnalité(s) :

Éclairage

Le 14 juillet 1987, un très violent orage de montagne provoque une crue détruisant un camping au Grand Bornand (Haute Savoie) avec d'importantes pertes humaines (21 morts, 2 disparus). A la suite de cette catastrophe, les autorités publiques (commune, État) sont mises en cause.

La vidéo montre comment, un mois après la catastrophe, s'effectue le « retour à la normale ». Alors qu'il y a eu des tragédies, des morts et d'importants dégâts matériels, la journaliste et les personnes interrogées semblent ne se préoccuper que d'une chose : est-ce que les affaires vont reprendre ? Est-ce que les touristes vont fuir ? Est-ce que l'image du Grand Bornand ne va pas être durablement affectée par cette catastrophe ? On peut voir là une marque d'indifférence des habitants de ce village explicable par le fait que les victimes ont essentiellement été celles du camping, autrement dit des touristes, des étrangers. Mais on peut aussi voir là, comme dans de nombreuses catastrophes, le souhait d'effacer les événements interrompant le « cours normal des choses » (1). La notion « d'effacement » est d'ailleurs très présente dans les commentaires de la journaliste comme si « passer à autre chose », oublier, était une impérieuse nécessité.

Ce reportage prend particulièrement sens lorsqu'on le rapproche d'autres vidéos plus directement en prise avec la catastrophe. Celles-ci mettent l'accent sur le caractère inimaginable de cette inondation. Tous les témoignages, surtout ceux des survivants, vont dans ce sens. L'écart soudain entre l'état normal, tel qu'il avait notamment été vécu dans le camping proche de la rivière, et la réalité catastrophique, apparaît incompréhensible. Le plus souvent, c'est la stupéfaction qui prédomine, comme si la catastrophe, malgré son évidente réalité, n'aurait pas dû avoir lieu. L'insistance sur le « retour à la normale », un mois après la catastrophe, s'inscrit dans cette logique puisqu'il est avant tout question d'effacer, sinon de cacher, un événement qui n'a pas sa place sur la « scène humaine » (qui est donc, à proprement parler « ob-scène »). On constate d'ailleurs que cet événement est alors relaté dans des termes très généraux qui lui enlèvent une part de sa réalité.

Mais ce document montre aussi comment le maire du Grand Bornand, Pierre Pochat-Cottilloux, envisage de traiter la catastrophe. S'il participe au retour à la normale, il refuse toute précipitation. Il souhaite qu'il y ait un temps de deuil et s'aligne sur des pratiques coutumières en préconisant une année de deuil. Cette prise de position peut se comprendre comme une attitude conventionnelle dictée par la situation voire comme une façon de faire preuve de compassion alors que la question des responsabilités va se poser. Mais, on peut aussi voir là comment un élu assume une fonction politique, au sens fort du terme, lorsqu'au moment du « retour à la normale » il rappelle la tragédie et invite ses concitoyens à en porter avec lui le poids le temps d'un deuil.

Avec cette vidéo, on voit que ce qui se joue autour d'une catastrophe ne se réduit pas aux problèmes liés aux pertes humaines, aux dommages matériels et à la question des responsabilités. C'est en effet le statut de l'état normal, interrompu par la catastrophe, qui est interrogé, tout comme la façon dont des élus, peuvent rendre compatibles deux nécessités contradictoires : oublier la catastrophe, avec le « retour à la normale » de façon à ne pas contrarier le développement touristique, sans pour autant en perdre (complétement) la mémoire.

(1) Cette volonté de revenir au plus vite à une situation dite « normale » est assez habituelle. Elle peut être un obstacle à l'examen approfondi des causes des catastrophes et ne favorise pas la constitution d'une mémoire des risques.

Claude Gilbert

Transcription

Isabelle Colbrant
Le Grand Bornand, 14 juillet 1987, l’horreur déferle sur la station.
(Bruit)
Isabelle Colbrant
Aujourd’hui, un mois jour pour jour après la catastrophe, on fait les comptes. L’enquête administrative a conclu à une imprudence, mais n’a pas retenu de responsabilité. Pourtant, on le comprend facilement, on a encore beaucoup de mal à effacer la tragédie. 23 morts pour quelques heures d’une folie passagère, un véritable cauchemar dont on se remet mal.
Pierre Pochat-Cottilloux
Je crois que c’était réellement imprévisible, pour nous, toute la population n’envisageait pas que les campings puissent être inondés, que les campings soient inondés et qu’il y ait ces victimes. Parce que bien entendu, des voix se seraient élevées et nous aurions pris des mesures, nous aurions fait quelque chose.
Isabelle Colbrant
Aujourd’hui la vie a repris et les travaux se mettent en place doucement. En aval, on a déjà commencé à redonner au Borne son lit originel. Dans la station même, les dégâts sont estimés à 16 millions de francs. Ils vont démarrer d’ici quelques jours. Le terrain a repris sa place mais on n’envisage pas d’y réinstaller un camping. Aujourd’hui, au-delà du drame humain, on peut aussi évoquer le secteur économique. Durant les 15 jours qui ont suivi la catastrophe, si l’on excepte l’éternel cortège des badauds en mal de sensation, la clientèle a déserté la station, les commerces ont vu baisser leur chiffre d’affaires.
Intervenante 1
Ça s’est beaucoup ressenti, disons, les 15 derniers jours du mois de juillet. Tous les gens du camping sont partis, bon ben, il n’y avait plus personne.
Isabelle Colbrant
Et au niveau du mois d’août, est-ce que vous avez le sentiment que la clientèle, au sein de la station, a baissé également ?
Intervenante 1
Je ne pense pas. Non, je n’ai pas ressenti de cette manière-là, non.
Intervenante 2
Et il y a eu peut-être au départ, des départs précipités, en fait, mais très peu d’annulations. Par contre, sur le mois d’août, on n’est pas arrivé à relouer ce qui n’était pas loué.
Isabelle Colbrant
Malgré cela, si l’on arpente les rues du Grand-Bornand aujourd’hui, on y croise encore de très nombreux touristes. Alors, reste l’avenir, ce souvenir qu’il faudra petit à petit effacer. Pour l’instant il est trop tôt, beaucoup trop tôt pour penser à redorer l’image touristique.
Pierre Pochat-Cottilloux
Actuellement, il n’est pas du tout question de faire une campagne ou une action quelconque, de façon à effacer cette image qui, qui a été. Et pendant un délai d’au moins une année, je pense, je pense que par respect des familles des victimes, nous nous devons de porter un certain deuil.