Le plan neige pour l'aménagement de la montagne

29 décembre 1977
03m 32s
Réf. 00065

Notice

Résumé :

Reportage sur la mise en place du plan neige visant à construire des équipements et logements adaptés aux besoins des touristes. Le plan prévoyait la construction de 150 000 lits en montagne entre 1971 et 1975. 23 stations nouvelles et 20 stations anciennes en ont bénéficié. Les promoteurs immobiliers sont indispensables pour l'aménagement des stations nouvelles. Aucun ne reconnaît le problème architectural que posent les immeubles de montagne qui s'insèrent mal dans le paysage.

Date de diffusion :
29 décembre 1977
Source :

Éclairage

Le reportage, diffusé en 1976 sur FR3 Alpes, met l'accent sur une période cruciale de l'aménagement touristique de la montagne : les années 1970 et la mise en œuvre du plan neige. Ce plan neige, véritable doctrine d'aménagement de la montagne, entend créer une réelle filière de sports d'hiver en France et ainsi assurer la renommée internationale des stations et la constitution d'un véritable secteur économique.

Ce plan neige (1) vient consacrer le modèle des stations intégrées. Pensées dans les années 1960, les Arcs, la Plagne, deviennent dans les années 1970 les emblèmes de ce modèle. C'est le règne de la modernité, des emplois créés, de la valeur ajoutée générée ; le journaliste parle ainsi des stations comme de « pièges à devises ».

Ces stations intégrées vont aussi déifier la figure du « promoteur unique », sorte de sauveur qui va assurer globalement la création de la station. Ce promoteur est aménageur, gestionnaire de domaine skiable, constructeur... il assume l'intégration de toutes les fonctions d'une station. Roger Godino, interviewé et présenté comme le créateur des Arcs en Tarentaise, illustre bien cette vision de l'entrepreneur. D'un côté, il donne à voir une lecture du développement touristique plus nuancée, loin de la vision d'un aménagement des stations uniquement porté par des acteurs extérieurs au territoire. La réalité est ainsi plus complexe, avec une forte imbrication entre acteurs locaux, acteurs extérieurs au territoire, acteurs économiques et acteurs politiques. Mais de l'autre, Roger Godino conserve une vision un peu condescendante du territoire, de sa population, qui aurait « mis sa peau sur la table » pour que s'initie un développement touristique et à laquelle il a apporté sa capacité managériale qui faisait localement défaut.

Pourtant, ce modèle de station ex-nihilo fait déjà, en 1976, l'objet de vives critiques de la part notamment des écologistes mettant en exergue et stigmatisant les impacts sur la société locale, les expropriations, la confiscation des choix de développement. L'architecture est particulièrement visée avec des choix d'urbanisation réellement nouveaux en montagne. Sont ainsi successivement filmés l'immeuble penché de la Cascade aux Arcs, des logements à Tignes, une architecture portée et prônée à l'époque du plan neige, et laquelle dans la foulée du cabinet d'architecture de montagne créé à Courchevel avec Denys Pradelle, vise à amener la modernité urbaine à la montagne. Face à cette critique du bétonnage de la montagne, la faible consommation d'espace des stations ex-nihilo est mise en avant, ainsi que l'émergence d'une réelle expertise française s'exportant à l'étranger pour accompagner le développement de nouvelles destinations.

Reste que l'aménagement touristique associé à ces stations intégrées du plan neige, malgré le nombre de stations effectivement bénéficiaires de ce plan d'envergure bien plus restreint et spatialement limité, fut performant avec 150 000 lits touristiques créés, sur une période courte de 1971 à 1975. Il a surtout permis de freiner la dépopulation de ces territoires montagnards, voués au déclin économique consécutivement au déclin des activités économiques traditionnelles telles l'agriculture.

Le reportage diffusé en 1976 se termine à l'aube d'un changement radical dans l'aménagement touristique de la montagne, avec en 1977 la directive nationale de l'aménagement de la montagne qui va marquer un tournant important en mettant en avant la fragilité de cet espace montagnard et in fine la nécessité d'articulation entre développement économique et protection de l'environnement, une posture que la loi Montagne va consacrer en 1985. Ce sera alors une nouvelle évolution des principes de développement des stations, avec l'avènement d'une quatrième génération représentée par Valmorel, selon la typologie des stations en générations (2) véhiculée par Georges Cumin en 1970.

(1) Portant une logique de planification d'un État français surfant sur les Trente Glorieuses, le plan neige consacre les stations intégrées créées ex-nihilo. Devant initialement bénéficier à 43 stations des Alpes et des Pyrénées, il vise à encourager la rationalisation de l'aménagement touristique, s'inscrivant alors bien loin des démarches ponctuelles et progressives menées dans les stations pionnières d'avant la Seconde Guerre mondiale.

(2) Alors qu'il est directeur du SEATM, Service d'Études et Aménagement Touristique en Montagne, Georges Cumin a établi une typologie des stations distinguant initialement 3 générations : la première génération de stations (dont Méribel, Alpe d'Huez) est construite dans et autour de villages existants ; la deuxième génération, avec l'exemple emblématique de Courchevel en Savoie, met en relief les prémices de la station rationnelle et fonctionnelle ainsi que le rôle central de la collectivité et une réflexion en termes d'aménagement ; la troisième génération, celle des stations dites intégrées, avec les Arcs, la Plagne, vise à une station rationnelle et fonctionnelle pour les touristes, avec des immeubles localisés en bord de domaines skiables. A posteriori, une quatrième génération sera rajoutée à cette typologie : des stations à l'image de Valmorel, situées à moindre haute altitude, de moins grande taille et visant à une meilleure intégration dans l'environnement naturel.

Pour aller plus loin :

- Blanc-Eberhart Claudie (2010) Rêve de bergers : Robert Blanc et ses frères dans l'aventure de la création des Arcs. Éditions Edelweiss, 296 p.

- Cumin Georges (1970) Les stations intégrées. In : revue Urbanisme, n°116. p. 50-53.

- Wozniak Marie (2006) L'architecture dans l'aventure des sports d'hiver - Stations de Tarentaise 1945-2000. Chambéry : Comp'Act (Fondation pour l'Action Culturelle Internationale en Montagne/Société Savoisienne d'Histoire et d'Archéologie), 239p.

Emmanuelle George-Marcelpoil

Transcription

(Silence)
Claude Francillon
Exploiter rationnellement les gisements d’or blanc, c’est-à-dire, équiper la montagne en remontées mécaniques, construire suffisamment de lits pour accueillir les skieurs, faire de la neige un piège à devises, tels furent les objectifs du plan neige. Politique très empirique d’aménagement de la montagne, politique élaborée au cours des années 60 et mise en oeuvre à partir de 1970. Le plan prévoyait la construction de 150 000 lits nouveaux en montagne entre 71 et 75. 23 stations anciennes et 20 stations nouvelles des Pyrénées, des Alpes du Sud et des Alpes du Nord, devaient bénéficier de ce plan. Dans les stations nouvelles, le rôle des promoteurs fut souvent déterminant.
Roger Godino
Il est faux de croire que ce sont des hommes individuels qui sont venus, et qui ont tout fait, et qu’il y a, n’est-ce pas, cette espèce de complexe du promoteur, que l’on prend d’ailleurs, ou tout en mal, ou tout en bien, n’est-ce pas ? Ou bien, c’est un affreux monsieur qui est venu exploiter la vallée, capitaliste sordide ; ou alors c’est une espèce de sauveur grâce à qui, tout est devenu possible. Non, ça ne se passe pas comme ça. En réalité, il y avait dans cette vallée un potentiel de développement. Il y avait dans cette vallée un désir de développement. Et c’est parce que il y a eu désir de développement, et même, je dirais presque début de développement avant que je ne vienne, que je m’y suis intéressé. Et c’est parce que j’ai senti que la majorité des gens de ce pays voulait qu’il se passe quelque chose ; parce que j’ai ressenti que la commune d’Hauteville-Gondon le voulait, parce que j’ai ressenti que la commune de Bourg-Saint-Maurice le voulait ; ce sont des gens qui ont, je dirais en langage vulgaire, presque mis leur pot sur la table pour que ça se fasse ! Alors, j’ai compris que c’était possible. Et qu’est-ce que j’y ai apporté ? Si vous voulez, en langage un peu savant, une capacité managériale, en quelque sorte, qui effectivement, n’existait pas dans le pays. Bon, or je suis un enfant presque du pays, étant né à Chambéry, bon j’ai fait mes études à Paris et je suis revenu ici pour apporter, finalement, ce métier qui est le métier de manager. Et en prenant tous les éléments qui sont ici, j’ai réussi à les mettre en valeur, à attirer les capitaux qui étaient nécessaires, et à faire que le rêve qui existait déjà ici, se fasse.
Claude Francillon
L’une des principales critiques avancées contre les stations nouvelles concerne les agressions du paysage. Il est incontestable que la transposition en montagne des architectures urbaines contemporaines, heurte la sensibilité actuelle. Au nom de la rentabilité et de la rationalité, certains promoteurs refusent encore ces critiques.
Pierre Schnebelen
Nos conceptions sont des conceptions parfaitement intégrées, qui s’harmonisent le mieux possible à la montagne, qui occupent un minimum de terrain. Je pense que c’est là une conception qui, d’ailleurs, est copiée par tous les pays du monde. Il y a des projets en Russie, les Américains nous copient très largement depuis cinq ou six ans. De même maintenant, l’Argentine et tous les pays qui ont des massifs montagneux, même la Suisse et l’Autriche finissent par nous copier.
Claude Francillon
Les objectifs du plan neige ont été respectés. On a effectivement construit 150 000 lits entre 71 et 75. Aujourd’hui, les gisements de neige français sont parmi les meilleurs d’Europe. En créant près de 10 000 emplois, les stations ont, d’autre part, contribué à enrayer la dépopulation constatée partout ailleurs en montagne. Ce sera le thème de notre second magazine consacré au plan neige.