Réactions des Bretons au discours du Général de Gaulle à Quimper

06 février 1969
23m 28s
Réf. 00410

Notice

Résumé :

Suite au discours du Général de Gaulle, les Bretons de la rue et les personnalités politiques et économiques de la région réagissent. Les préoccupations des Bretons sont liées au développement économique de la Bretagne et à la régionalisation.

Type de média :
Date de diffusion :
06 février 1969
Source :
ORTF (Collection: Panorama )

Éclairage

Après la vague de mai 1968 et la victoire gaulliste aux élections législatives, le Général de Gaulle, président de la République depuis janvier 1959, et son gouvernement projettent de réaliser une réforme profonde des institutions. Cette réforme peut être analysée comme une tentative de réponse institutionnelle aux mécontentements exprimés en 1968. Dans ce projet de transformation des institutions, incluant le Sénat, une réforme régionale (ou réforme Jeanneney) est annoncée. Il s'agit de faire de la région une collectivité locale à part entière dans le cadre du découpage existant, en instituant un conseil régional, composé de conseillers "territoriaux", députés désignés par les conseils généraux et municipaux, et de conseillers socioprofessionnels désignés par les organismes dont ils font partie. L'objectif est que le conseil régional se charge de réaliser, d'entretenir et de gérer la plus grande partie des investissements collectifs (aux dépens, notamment des conseils généraux). Ses ressources proviendraient d'impôts transférés par l'Etat, de subventions, et de revenus du "domaine régional", assez mal définis. L'Etat se chargerait de mettre à la disposition des régions les moyens et le personnel nécessaires à la réalisation de leurs projets.

Pour donner le départ de cette réforme institutionnelle, Charles de Gaulle choisit de se rendre en Bretagne. Lors de ce déplacement, il souhaite également reprendre directement contact avec les Français après 1968, et rassurer les Bretons quant à leurs inquiétudes sur le plan économique Ce qu'il ne parvient d'ailleurs à faire que partiellement, comme le montre le reportage. Il arrive à Rennes le 31 janvier 1969, dans une ambiance mitigée, où il préside une réunion de la CODER (Commission de Développement Économique Régional, organisme créé en 1964). Le 1er février, il se rend à la base aéronavale du Ponant à Landivisiau, où l'on projette de baser des sous-marins nucléaires, puis à Brest et à Bénodet, où il reçoit un accueil chaleureux.

Le lendemain, il prononce un discours sur la place de la Résistance à Quimper, dans lequel il annonce le projet de réforme, ainsi que la tenue d'un référendum au printemps qui décidera de l'adoption ou non de ce projet. Il prononce également quelques vers d'un poème écrit par son oncle Charles de Gaulle en breton, après avoir rappelé la contribution de la Bretagne à la nation et à son unité. Il énonce ensuite les principaux points forts de la Bretagne, qui font d'elle une région dynamique, et qui pourront la faire sortir de son "retard du progrès", à condition d'être encouragés et développés, ce que la réforme régionale permettrait. De Gaulle insiste donc sur la restructuration et l'intensification nécessaire d'une agriculture familiale peu rentable, le désenclavement de la région, la fin de l'exode d'une population (premier excédent migratoire en 1965), la modernisation des industries et des chantiers navals, l'industrialisation pétrochimique à venir, la qualité de l'enseignement et de la formation. Autant de points qui visent à donner de l'espoir aux Bretons quant au développement économique de leur région.

Le projet de réforme ainsi annoncé et défendu est cependant rejeté au référendum du 27 avril 1969 par 53,17% des suffrages exprimés. Ce rejet, davantage dû au refus de la réforme du Sénat et à une prise de position contre de Gaulle qu'à la réforme régionale, assez peu évoquée pendant la campagne, provoque le retrait du général. L'échec du projet de réforme régionale n'empêche cependant pas la Bretagne de se développer rapidement, suivant une dynamique déjà engagée depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, que De Gaulle reprit dans son discours de Quimper. Le rejet de ce projet provoque toutefois l'hésitation des politiques pour lancer de nouvelles réformes concernant les régions. Les institutions régionales que l'on connaît aujourd'hui ont été esquissées en 1972, et leur organisation approfondie à partir de 1982, et pendant toutes les années 1980.

Bibliographie :

Pierre Bodineau, La Régionalisation, PUF, 1995.

Jean-Paul Ollivier, Le Général de Gaulle et la Bretagne, Éditions Le Télégramme, 2000.

Marine Guida

Transcription

Inconnu 1
Je crois qu'il y aura du changement, quoi.
Inconnu 2
Ça nous a fait plaisir d'entendre ça, quand même. Mais j'ai bien aimé la parole de la fin de ces 25 ans de libération de la Bretagne au bout de 25 ans. Ca a été fait il y a 25 ans.
Journaliste
Est-ce que vous avez été étonnée d'entendre le général parler en breton ?
Inconnue
Non, ça ne m'a pas étonnée. Il a bien fait comme les autres, quoi.
Journaliste
Et qu'il a parlé... est-ce que son accent breton est bon ?
Inconnue
Vous savez, l'accent breton, c'est l'accent du livre, un petit peu, alors ce n'est pas tout à fait comment on le parle mais c'était bien, c'était très bien.
Inconnu 3
J'ai compris mais il n'a pas tout à fait le même... Ce n'était pas pareil parce que le breton, ça change beaucoup. Il faut changer... Déjà changer de commune, ça change.
Inconnu 4
Je l'ai compris sans comprendre complètement parce ce n'est pas tout à fait le breton d'ici.
Inconnu 5
Oui, j'ai bien compris.
Yann Drezen
D'avoir parlé quelques mots en breton, c'est un effort qui est louable, mais ça ne saurait effacer cette parole d'un ministre français qui était monsieur De Monsie qui avait dit : « Pour l'unité de la France, la langue bretonne va disparaître ». Le discours du général De Gaulle, à mon avis, se présentait sous deux aspects. Il y avait l'aspect breton et l'aspect français. L'aspect breton, c'était le problème de l'économie, c'était le problème de la culture. Nous pensons d'ailleurs que dans le discours du général, aucun de ces deux problèmes n'a été résolu.
Journaliste
Monsieur le président, quelles sont les réactions du Breton que vous êtes à la suite du voyage du président de la République ?
René Pléven
Eh bien, le Breton que je suis, et je pense représenter à peu près l'opinion moyenne de la région, c'est que nous sommes contents que le général de Gaulle se soit déplacé pour se rendre compte par lui-même de ce qu'était la situation en Bretagne en ce début d'année. Voyez-vous, il y a un mot qui a touché beaucoup tous les membres de la CODER de Bretagne. Lorsqu'il a commencé la réunion de la CODER, le général s'est assis et se tournant vers moi, m'a dit : « Eh bien, je suis venu écouter ». C'est exactement ce dont la Bretagne avait envie, c'est qu'on la fasse parler et qu'on l'écoute. Et maintenant, elle a l'espoir d'avoir été entendue. Elle a été contente que le général se rende à Rennes, se rende à Brest, se rende à Quimper. Je ne vous dis pas qu'elle n'éprouve pas un peu de regret qu'il n'ait pas été possible de lui faire visiter - étant donné la courte durée du voyage -, les régions qui ont d'autres problèmes que ceux des grandes villes. Les grandes villes ont de très importants problèmes. Mais cette campagne qui se dépeuple, elle en a aussi d'autres très différents et qui agissent sur son moral.
(Silence)
Inconnu 6
Je pense que c'est un beau discours qui laisse espérer beaucoup en faveur de la Bretagne, mais à une condition : c'est que les actions que le gouvernement doit entreprendre soient entreprises dans un délai très rapide.
Inconnu 7
Les exploitations, en Bretagne, sont trop petites. Il faut supprimer ou faire partir un certain nombre d'agriculteurs. Il est sûr que c'est un problème qui va se poser à l'avenir et qui se pose déjà actuellement. Mais on n'est pas encore à la veille de le résoudre, surtout dans notre région. Il faut quand même tenir compte qu'ici, dans le Nord Finistère ou dans la région du moins où nous travaillons ici, la moyenne des exploitations fait actuellement peut-être 10 hectares. Et avec la politique actuellement engagée, avec les... étant donné l'âge des agriculteurs en place d'autre part, il est très probable qu'on arrivera assez rapidement à 20 hectares. Mais le fait d'arriver à 20 hectares ne va pas résoudre tous les problèmes. Si bien qu'imaginer que le problème de l'avenir de l'agriculture est un problème foncier, c'est quand même simplifier le problème et ne pas tenir compte d'autres nécessités telles que la nécessité de diminuer les prix de revient à la production pour pouvoir être compétitif.
(Silence)
Inconnu 8
Vous savez, en l'absence de toutes informations précises, (et Dieu sait si, pour l'instant, nous n'en avons pas), que voulez-vous répondre alors qu'il s'agit d'un problème extrêmement particulier et qui ne peut être jugé et jaugé que par quelques spécialistes.
Inconnu 9
Je pense que son discours a été très bien pour les environs de Quimper, Brest, mais que la région malouine a été un peu oubliée dans son discours.
Journaliste
Vous êtes officier en retraite, vous êtes donc marin, marin par excellence. Je voudrais savoir ce que vous pensez du discours du général de Gaulle à Quimper.
Inconnu 10
Eh bien, les gens sont satisfaits et lui donnent entière confiance. C'est un homme dans lequel j'ai toujours eu confiance. Il a fait ses preuves. Elles ne sont plus à faire.
Inconnu 11
Je ne suis pas de ces idées.
(Silence)
Journaliste
Monsieur le maire, avez-vous l'impression qu'il y a moins de départs de la Bretagne que quand vous étiez plus jeune ?
Maire
Oui, beaucoup moins, parce que je trouve qu'il y a pas mal qui ont de l'emploi sur place, maintenant. Davantage que quand j'étais jeune. Quand j'étais jeune, d'ailleurs, j'ai beaucoup de mes camarades qui sont partis travailler à Paris.
Journaliste
Cela tient à l'implantation de petites industries ?
Maire
Principalement, oui, des petites industries dans les communes rurales.
Journaliste
Par exemple ici, à Landrévarzec.
Maire
A Landrévarzec, oui, nous avons eu de la chance d'avoir 3 industries, si vous voulez, 3 petites industries qui se sont créées et qui emploient largement la main-d'oeuvre de la commune.
Journaliste
Et même en dehors ?
Maire
Même en dehors, oui. Il y a au moins une vingtaine qui vient de l'extérieur.
Journaliste
Vos parents étaient agriculteurs ?
Inconnu 4
Oui.
Journaliste
Vous n'avez pas pu ou pas voulu rester à la ferme ?
Inconnu 4
J'aurais bien voulu mais c'est mes parents qui m'ont dit de partir.
Inconnu 3
Il y avait assez d'hommes à la ferme alors comme j'étais tout près, j'ai pensé venir ici.
Inconnu 12
Moi, j'avais juste une petite terre, une petite parcelle. J'avais dans les 25 journaux cultivables.
Journaliste
Ce n'est pas suffisant ?
Inconnu 12
Ca n'allait pas.
Inconnu 13
Ca ne paye pas assez. C'était trop petit.
Journaliste
Trop petit ?
Inconnu 13
Pas assez de rendement.
Journaliste
Est-ce que vous avez l'impression que la venue du général de Gaulle a amené un climat plus serein ?
Maire
Au point de vue général, oui, ça a quand même apaisé l'opinion publique, si vous voulez. Parce que justement, ce qu'on voudrait savoir, c'est s'il tiendra ses promesses.
Journaliste
Quelle impression retirez-vous de la visite du chef de l'Etat ?
Alexis Gourvennec
L'impression première que je retire (avec, d'ailleurs, je dois le reconnaître, pas mal de collègues de la région), est que le chef de l'Etat, dans le cadre de son discours de Quimper, a fortement en quelque sorte confirmé les décisions positives qui avaient été prises en conseil des ministres le 9 octobre dernier. Aussi nous avons le sentiment très net que le général a fortement confirmé les décisions concernant l'infrastructure bretonne qui sont, à nos yeux, des conditions préalables au développement. On peut dire que normalement, d'ici peu, la Bretagne sera, par conséquent, dotée d'un ensemble d'équipements lui permettant effectivement de provoquer un développement économique harmonieux. Toutefois, compte-tenu du fait que pendant plusieurs dizaines d'années successives, la Bretagne, en quelque sorte, a été relativement oubliée par l'ensemble du pays et par l'ensemble des gouvernants qui se sont succédés, on a également le sentiment que pour relancer l'expansion économique bretonne au-delà des infrastructures qui sont décidées et que nous croyons fortement avoir d'ici peu, il faudra une volonté très nette, fortement affirmée encore de l'état de provoquer une relance du développement industriel de l'Ouest d'une manière générale, et je dirais de l'extrême Ouest donc de Brest d'une manière plus particulière.
Journaliste
Comment voyez-vous ce passage de l'agriculture à l'industrie ?
Alexis Gourvennec
Nous pensons qu'il doit pouvoir se faire dans des conditions sociales et humaines acceptables car à partir du moment où, par un certain nombre de mesures, Brest deviendrait, dans notre région, un pôle de développement industriel important en exploitant au mieux en particulier les possibilités que lui offre sa façade maritime, à partir du moment aussi où écoles techniques, universités permettront aux fils de ruraux d'une manière générale et aux fils d'agriculteurs d'une manière plus particulière d'avoir la formation technique ou supérieure indispensable pour passer de ce cap par conséquent agricole à un cap industriel, je pense que tout ceci devrait se faire de façon relativement coordonnée et dans des conditions sociales parfaitement acceptables.
(Silence)
Georges Lombard
Sur le plan économique qui m'intéresse particulièrement en tant que maire de Brest, j'en retire, si vous voulez, une double impression. La première, c'est la confirmation par le chef de l'Etat des mesures qui avaient déjà été annoncées le 9 octobre à l'issue d'un conseil des ministres et par conséquent l'assurance que ces mesures se réaliseront dans les délais qui avaient été fixés. La seconde, c'est une affirmation de principe faite par le président de la République quant à la vocation de la Bretagne sur le plan maritime. Dans le discours du général De Gaulle, il y a l'affirmation de la décision prise de créer à Brest, d'implanter à Brest ou disons d'une manière plus générale à l'extrême pointe de la Bretagne une raffinerie, ça se réalisera. Mais à nos yeux, ce n'est qu'un premier élément d'une politique qui doit être beaucoup plus vaste. Il faudra non seulement la raffinerie si on veut vraiment industrialiser à partir de la mer mais il faudra également une centrale thermique. Et à partir de l'instant où nous commencerons à avoir le pétrole, nous commencerons à avoir une énergie qui sera vraiment compétitive, il est incontestable qu'une industrialisation à base de pétrochimie, une industrialisation à base même de travail de minerai, c'est-à-dire de la sidérurgie, deviendra possible. Or je crois que sans cette industrialisation, il est pratiquement impossible de résoudre vraiment comme il devrait l'être le problème breton. Que la France possède un atout qui est absolument extraordinaire avec la rade de Brest et la baie de Douarnenez. On pourrait recevoir... En utilisant ce vaste ensemble, on pourrait recevoir des navires de 600, de 700, de 800 et même d'un million de tonnes. C'est, par conséquent, pour la France, une grande chance.
(Silence)
Georges Lombard
Et nous avons une autre carte à jouer sur le plan de la recherche scientifique. Moi, je suis de ceux qui pensent que seules les régions qui ont réussi à implanter de la recherche scientifique sur leur territoire connaîtront, demain, une prospérité qui sera importante sur le plan industriel et économique. Alors tout ça joint à cette industrialisation lourde dont je parlais tout à l'heure doit permettre normalement à la Bretagne, à condition que nos cartes soient vraiment jouées, doit permettre à la Bretagne d'avoir un avenir correspondant aux chances qu'elle offre incontestablement au pays.
René Pléven
Il y avait eu des difficultés budgétaires, il y avait eu la crise monétaire et on avait un peu tendance à se demander si cela n'allait pas être encore un prétexte pour différer ce qui avait été promis. Eh bien, maintenant, après le discours du président de la République à Quimper, il nous semble que le doute est complètement dissipé. Mais naturellement, nous voulons maintenant voir un début d'exécution. Et ce que nous attendons du discours de Quimper, c'est qu'il amène le président de la République à mettre l'épée dans les reins de ceux sont chargés d'exécuter les décisions prises.
Inconnue 2
Moi, vous savez, je ne connais pas grand-chose. On n'est plus à la page.
Journaliste
Vous savez que le général De Gaulle a annoncé la régionalisation. Qu'est-ce que vous en pensez ?
Inconnue 2
Qu'est-ce que vous appelez régio...
Inconnue 3
Je sais pas... Dans des maisons, on était 12 ou 15, alors si c'est [incompris], on sera comme des Chinois. Qu'est-ce que vous voulez que je vous dise ? Ah ah ! Alors c'était bien ou ce n'était pas bien ?
André Monteil
La Bretagne toute entière est régionaliste. Je ne sais pas séparatiste mais passionnément régionaliste. Cela signifie que nous sommes partisans d'une véritable décentralisation administrative qui donnerait plus d'initiatives et plus de responsabilités aux élus des collectivités territoriales, qu'il s'agisse des collectivités territoires existantes (les communes et les départements) ou des collectivités à créer (les régions).
Joseph Martray
Jusqu'ici, vous le savez, nous avions une assemblée, déjà, qui s'appelle la CODER, la Commission de Développement Economique Régionale. Mais la CODER proposait des solutions. Et quand elle avait fini de donner son avis, elle attendait le résultat de Paris. Maintenant, les conseils régionaux, c'est grande différence, les conseils régionaux disposeront des moyens qui leurs permettront de réaliser. Par exemple, s'il s'agit d'une route ou de l'installation du téléphone, eh bien, nous aurons les ressources, du moins je l'espère, et c'est là tout le problème.
Journaliste
De tradition, lorsque les Bretons n'étaient pas contents, ils descendaient dans la rue et prenaient à partie le gouvernement. Alors maintenant qu'est-ce qu'il va se passer ?
Joseph Martray
Alors croyez-vous que ça serait un mal s'ils ne le faisaient plus ? Il est évident que c'est cela, la responsabilité. A partir du moment où nous avons les moyens financiers de faire notre politique régionale nous-mêmes, nous n'avons plus à nous en prendre à l'Etat. Seulement, il faut ces moyens. Et je considère par exemple qu'un certain nombre d'impôts actuellement perçu par l'Etat devraient être perçu par la région. On a même cité la vignette automobile comme exemple d'impôt qui serait perçu par la région. Et la région, alors, disposerait de la possibilité de réaliser elle-même son programme. J'ajoute tout de suite, bien sûr, un rectificatif. Ça sera dans le cadre de l'ensemble national, de la solidarité nationale. Il est évident que les régions riches auraient plus de ressources que les régions pauvres et qu'il appartiendra toujours à l'Etat d'assurer un certain équilibre. Mais enfin, cette réforme régionale prendra tout son sens dans la mesure où elle se traduira aussi par une décentralisation financière, une décentralisation fiscale.
Journaliste
Mais qui sera chargé d'exécuter les décisions de cette assemblée ?
Joseph Martray
Ecoutez, je crois qu'il faut bien admettre que pour le moment, c'est le préfet de région qui sera chargé d'exécuter les décisions de l'assemblée. Mais qui aura le mandat obligatoire de le faire. Mais cela aussi c'est une étape et il y en a bien d'autres. Quand on veut surmonter 180 ans de centralisation, on ne peut pas le faire en quelques années. Il y a eu l'expérience des CODER dont je vous parlais tout à l'heure. Nous allons faire maintenant le pas en avant considérable vers les conseils régionaux élus pas encore, semble-t-il, au suffrage universel, et je le regrette, mais je suis convaincu que dans 5 ans, dans moins ou dans plus, nous aurons les conseils régionaux élus au suffrage universel et peut-être ce que vous venez de dire, l'exécutif alors entre les mains de l'assemblée elle-même. Je crois que ça serait une grande imprudence de le faire maintenant car la réforme régionale, c'est un bouleversement complet, bouleversement complet dans les habitudes administratives aussi. Alors n'ajoutons pas la disparition des préfets à cette opération qui est déjà très difficile.
Yann Drezen
Vous aurez toujours le super préfet, ici, qui mettra des bâtons dans les roues à l'assemblée régionale qui sera simplement une assemblée délibérante mais qui ne sera pas une assemblée exécutive.
André Monteil
Derrière le vocabulaire, derrière de mot de régionalisation, on peut mettre beaucoup de choses et même des choses contradictoires. Si la réforme régionale aboutissait finalement à renforcer l'action du pouvoir central, ce ne serait pas une véritable régionalisation. Je ne veux pas faire de procès d'intention et j'attends que les textes soient soumis pour me prononcer. Mais je dis d'ores et déjà que la réforme régionale serait un leurre si elle aboutissait à déposséder les collectivités de base (communes et départements) de leurs moyens d'action, si elle transférait aux institutions régionales des charges et des responsabilités sans leur donner des moyens financiers correspondants, si elle tournait le dos au principe démocratique de l'élection et favorisait la confusion du politique et du socioprofessionnel.
(Silence)
André Monteil
En ma qualité de président de la commission des affaires étrangères et de la défense qui est une commission politique, je me sens particulièrement visé par toute réforme qui aurait pour finalité de transformer la deuxième chambre du parlement en une sorte de grand conseil consultatif dont on demanderait l'avis uniquement sur les problèmes économiques et sociaux. Ce qui m'inquiète précisément dans les réformes qui nous sont annoncées, c'est que je crains que la réforme régionale ne soit une sorte d'enrobé trompeur destiné à faire absorber aux citoyens la pilule d'une réforme constitutionnelle fondamentale qui, supprimant le rôle politique et législatif du sénat, aboutirait à détruire l'équilibre des pouvoirs et à renforcer le caractère autoritaire du régime. A cet égard, la procédure du référendum par laquelle les citoyens devront répondre par oui ou par non à deux questions de nature juridique différente soulève de graves objections sur le plan constitutionnel et suscite la méfiance des démocrates bretons.
Edmond Michelet
Naturellement, les sénateurs ne peuvent pas être d'accord dans la mesure où ils prennent un risque. Mais il m'apparaît que cette réforme du sénat, ça sert dans un ensemble, ce n'est qu'un aspect des choses. Le général l'a annoncé à Quimper - je suis très fier qu'il ait choisi Quimper pour l'annoncer - ce qu'il appelle l'avènement de la région et en même temps que l'avènement de la région, la création de conseils régionaux qui seront, je l'espère, constitués par les éléments nouveaux, des éléments neufs qui, jusqu'ici ne s'intéressaient guère à la chose publique autrement que sur le simple plan de leurs préoccupations professionnelles. Désormais les choses vont changer. Le général, qui est un réaliste, l'a compris. C'est une sorte de révolution qu'il demande aux Français de bien vouloir accepter. La réforme nécessaire du sénat, sa transformation n'est qu'un aspect de cette très grande réforme qu'il souhaite voir adopter. Je n'arrive pas à comprendre que l'on veuille absolument mettre à part cet aspect des choses.
Journaliste
Eh bien monsieur le ministre, cette nouvelle assemblée qui remplacera le sénat n'aura pas un rôle législatif et n'aura qu'un rôle consultatif.
Edmond Michelet
On ne sait pas exactement d'avance ce que sera ce nouveau sénat. Ce que je crois savoir, quant à moi, c'est qu'il aura - et de cela, je suis à peu près sûr en me basant sur les éléments que je crois connaître - qu'il aura une autorité beaucoup plus grande, beaucoup plus grande que le sénat actuel qui, rappelons-le, n'a guère d'autorité. Dès lors que l'assemblée souveraine ne pourra prendre ses décisions qu'après s'être assurée d'un avis éventuellement conforme du sénat, que le pays sera témoin d'une éventuelle opposition entre les deux assemblées, je pense que le crédit moral du sénat sera, et de loin, beaucoup plus grand demain qu'il ne l'est aujourd'hui.