Madeleine Pennec, la ouessantine

23 décembre 1982
12m 15s
Réf. 00426

Notice

Résumé :

Madeleine Pennec est une ouessantine de 86 ans. Elle observe les changements de son île. Les femmes n'entretiennent plus les champs comme autrefois. Elle, continue cependant à bêcher, cultiver sa terre, filer sa laine et se rendre à pied au bourg.

Type de média :
Date de diffusion :
23 décembre 1982
Source :
FR3 (Collection: Terroir 22 )

Éclairage

Ce portrait haut en couleur de Madeleine Pennec, une habitante de l'île d'Ouessant, constitue un véritable témoignage de la rupture opérée dans la société traditionnelle bretonne quand celle ci accède à la modernité. Un fossé se creuse entre l'ancienne génération encore profondément ancrée dans les traditions d'une société rurale stable depuis des décennies et une nouvelle génération qui a intégré une culture et un style de vie plus citadin. Le témoignage de Madeleine Pennec confirme cette rupture entre deux styles de vie qui n'ont désormais plus grand chose en commun. Dans ce cas précis il faut aussi souligner la situation particulière des populations insulaires, ici les Ouessantins, qui plus encore que d'autres ont été tenus éloignés de la modernisation jusqu'au début des années 1960.

Cette interview de Madeleine Pennec, qui file la laine tout le long du tournage, permet donc de mesurer les évolutions qui ont secoué l'île d'Ouessant. Elle évoque l'exode des jeunes et notamment des jeunes filles "parties chercher un mari à Brest", l'émigration définitive à la ville, la retraite à cinquante ans ou encore les congés payés des marins d'aujourd'hui. Face à toutes ces évolutions, elle évoque sa vie et celle de nombreuses personnes de sa génération qui continuent à vivre selon les traditions. L'attachement à son île d'Ouessant et notamment à la terre, l'évocation du travail agricole - dont la coupe du gazon qui alimentait autrefois les fours de l'île et la culture des pommes de terre - qui rythme l'année ou encore le refus de la voiture témoignent bien de cette volonté de se raccrocher à des repères stables qui ont toujours rythmés son existence. Le décalage de certaines des déclarations de cette femme âgée au fort accent, qui mêle français et breton, représentante d'une société et d'une manière de pensée aujourd'hui quasiment disparues, peut parfois prêter à sourire. Elles nous permettent néanmoins d'approcher la façon dont cette femme et beaucoup d'autres ont vécu et ressenti les nombreuses évolutions successives de la société rurale bretonne dans la seconde moitié du XXe siècle.

Soline Billon

Transcription

(Bruits)
Journaliste
Mme Pennec, quel âge avez-vous ?
Madeleine Pennec
Oh ! Moi je ne sais pas au juste mon âge, même. Paul, t'es là ? Viens ici donc, peu donc.
Paul
Ouais, qu'est-ce qui t'arrive encore ?
Madeleine Pennec
Moi je ne me rappelle pas, je sais au juste mais... Mais dis-donc s'il te plaît.
Paul
Ouais.
Madeleine Pennec
Mais j'ai quel âge maintenant alors ? Quel âge ?
Paul
T'es dans les 86 non ?
Madeleine Pennec
Ah c'est pas vieille ça encore.
Paul
Ce n'est pas vieille ça et non tu rentres dans les 87.
Madeleine Pennec
Eh ben, ben, ben.
Paul
Alors.
Journaliste
Et vous êtes née à Ouessant?
Madeleine Pennec
Boh bien sûr. Ici c'est un pays moderne vous savez.
Journaliste
Vous avez toujours vécu à Ouessant ?
Madeleine Pennec
Comment ?
Journaliste
Vous avez toujours vécu ici ?
Madeleine Pennec
Ah toujours. Voilà, là c'est une maison de ma mère et nous sommes d'ici depuis 37, la maison de 37. Oui...
Journaliste
Vous avez toujours vécu dans cette maison ?
Madeleine Pennec
Toujours, toujours.
Journaliste
Vous êtes née ici, dans cette maison ?
Madeleine Pennec
Oui, oui, oui.
(Silence)
Madeleine Pennec
Autrefois, c'était pas l'habitude d'aller à Brest, ni rien mais maintenant, les femmes, maintenant les jeunes ils vont à Brest voir leur maris et y en a qui vont habiter même. Oui. Ils ont leur mari et leur commerce et alors quand leur bateau arrive à Brest, ils vont voir leur mari quoi. Oui.
Journaliste
Vous n'êtes jamais allé à Brest vous même ?
Madeleine Pennec
Comment ?
Journaliste
Vous êtes déjà allé à Brest ?
Madeleine Pennec
Ah j'ai été à Brest et j'ai été à [Tresinien], au pardon aussi, pardon de [Tresinien] oui, mais j'ai fait toutes ces côtes là-bas des fois, mais pas souvent. Pas souvent
Journaliste
Combien de fois ? Une fois ?
Madeleine Pennec
Oui d'abord nous avons pas d'occasion non plus d'aller, nous n'avons pas des parents par là non plus. Alors, voilà comment que c'est.
Journaliste
Vous connaissez quand même donc un peu Brest, alors ?
Madeleine Pennec
Ah oui, oui. Je ne connais pas trop Brest mais j'ai été autour [incompris] quoi. Oui, oui, oui.
(Silence)
Journaliste
Et que faites vous de vos journées ici ?
Madeleine Pennec
Ben, ici c'est le moment maintenant. Bientôt on va commencer bêcher avec des pelles. Il y en a qui ont des charrues aussi. Comme autrefois, oui, oui.
Journaliste
Encore des charrues ?
Madeleine Pennec
Oui les charrues, mais ici, on ne travaille pas tellement parce que les femmes, ils ont des bons maris et donc des navigateurs et alors, ben ils travaillent presque pas. Vous ne voyez pas tous les terrains qui sont là sur la [incompris] c'est pour ainsi dire avant, et les gazons pour faire du feu on les coupait aussi. Alors pour faire du feu, la lande, la fougère et tout ça, il y avait une saison aussi pour tout cela. Et on le faisait tandis que maintenant les jeunes, il n'y a rien à faire maintenant avec les jeunes. Les jeunes ne travaillent pas ça comme nous autres on était obligé de le faire.
Journaliste
C'était dur autrefois ?
Madeleine Pennec
Ben, ben, ben. Bien sûr. Et les parents alors qui n'étaient pas forcément riches non plus, ça fait que nous autres qu'est-ce que vous voulez, on était obligé de, de travailler. Il y avait des vaches, ils y avait des chevaux. Maintenant, alors on n'a pas de vaches ici et d'abord nous sommes trop vieux maintenant pour garder des vaches maintenant aussi. Il y avait des voitures aussi, il y avait des chevaux, il y avait de tout quoi. Tandis que maintenant les jeunes, ils n'en ont pas, ils n'en ont pas. Les jeunes se modernisent quoi. Ils ont leurs maris qui sont des navigateurs alors par moment alors ils vont à Brest pour voir leurs maris ou bien leurs maris viennent à la mer en congé. Alors, ils sont payés aussi bien sûr quand ils viennent en congé, ils sont payés aussi n'est ce pas ? Vous voyez et puis alors ils retournent à la compagnie quoi.
Journaliste
Et vous travaillez encore ?
Madeleine Pennec
Voilà, et puis alors ils naviguent jusqu'à... à 50 ans, ils prennent leur retraite alors, à 50 ans, un homme !
(Silence)
Journaliste
Et alors, que faites vous de vos journées, vous travaillez ou quoi ? Vous travaillez la terre ?
Madeleine Pennec
Oh mais ce n'est pas le moment de travailler la terre. Si vous voulez pour mettre des choux, si vous voulez dans le jardin, mais autrement non. Alors, c'est à partir de Noël, là on commencera à mettre des patates. Alors, dans les champs...
Journaliste
Vous travaillez encore la terre ?
Madeleine Pennec
Ah oui, oui. Les jardins et puis la terre entre ça encore quoi. Et autrefois tout ici, c'était travaillé [incompris]. Et maintenant, la jeunesse ne se met pas à travailler ça, ils ont des bons maris alors ben et des bons prix.
Journaliste
Vous n'êtes pas trop fatiguée quand même pour faire tout ça ?
Madeleine Pennec
Oh, mais quand on sue trop, on retire ses effets. Et après on remet ça de retour. Ah oui, oui et alors et couper encore des gazons comme on dit pour faire du feu. Vous n'avez jamais vu des gazons si ?
Journaliste
Oui.
Madeleine Pennec
Eh ben, nous autres on faisait 5, 6 voiturées comme ça.
Journaliste
Aujourd'hui encore, vous pouvez faire ça ?
Madeleine Pennec
Aujourd'hui, non, non, non. A présent, je ne fais pas, pour ainsi dire non. Ah mais couper des gazons, je pourrais encore faire quoi, pour faire du feu.
Journaliste
Vous êtes en bonne santé ?
Madeleine Pennec
Ah oui. Et mais autrement comme santé, j'ai toujours eu la santé.
(Bruits)
Journaliste
Vous allez au bourg tous les jours ?
Madeleine Pennec
Je ne vais pas au, je ne vais pas tous les jours par exemple au bourg. Ah non alors j'achète mes provisions quoi. Mon café, mon sucre, tout ça, il n'y a que le pain, le pain alors on cherche au bourg, le pain parce que là les boulangers sont là.
Journaliste
Et là, vous y allez à pied, c'est loin ?
Madeleine Pennec
A pied toujours. Aller et retour. Du moins qu'une voiture quelconque arrive alors il dit : "Alors Mme Pennec, rentre dans la voiture". "Je peux marcher" - "Rentre dans la voiture". Alors, on vous prend dans la route, ils sont très gentils pour les voitures là aussi.
Journaliste
Sinon à pied ça fait loin ?
Madeleine Pennec
Ah ben, oui, oui, oui.
Journaliste
Vous pouvez marcher encore ?
Madeleine Pennec
Je marche, toujours pour aller à pied. Je marche toujours et pour retourner à la maison du moins quand il y a une occasion quelconque alors on me dit : "Allez, Mme Pennec, rentre dans la voiture" - "Mais je peux marcher" - "Mais venez donc, vous ferez plus vite quand même". Moi je trace au bourg pareil, comme un oiseau.
Journaliste
Même quand il pleut comme aujourd'hui, il pleut souvent en ce moment.
Madeleine Pennec
Quand on a trop besoin des épiceries, alors je vais vite, de moins que je fasse une commande pour m'envoyer. Alors on fait d'après les moyens. Si on est riche, riche, on fera une commande, et sinon on y va au bourg.
(Bruits)
Madeleine Pennec
Ah pour ça j'ai toujours été leste pour marcher. Vous pensez, ici, pourtant on était assez éloigné du bourg, mais quand j'étais à l'école, j'étais obligé d'aller, de venir à la maison manger mon dîner, à pied et retourner à pied encore après à l'école. Parce que les parents c'était pas des archimillionnaires comme il y en a maintenant. Avant c'était pas si riche que ça non plus, il faut pas dire, maintenant bien sûr, tout le monde, ils sont dans leur aise quoi, pas tout le monde mais il y en a quand même, il y en a, il y en a , oui, oui, oui, et ici, c'est pas pareil bien sûr. Oh, on a suivi quand même, lire et puis écrire, c'est déjà beau.
(Bruits)
Journaliste
C'est bientôt les fêtes de fin d'année, qu'allez-vous faire ?
Madeleine Pennec
Ah la fin de l'année, voilà la Noël qui [incompris] bientôt. Eh ben nous on va commencer à bêcher, à bêcher, à bêcher alors quoi vous autres, si peut-être au continent, il y a des champs qui sont restés des années, des années, qui ont pas été travaillés, alors on recommence de retour pour avoir des bonnes pommes de terre alors, de ce champ là alors.
Journaliste
Et vous allez faire la fête là ?
Madeleine Pennec
Ah.
Journaliste
Le jour de Noël, vous allez manger ?
Madeleine Pennec
Ah mais là c'est la fête.
Journaliste
Oui, qu'allez-vous faire ?
Madeleine Pennec
Ah ben mais aller à la messe au bourg là, la messe de minuit. Ah oui, oui, oui, ici il y a beaucoup de monde qui vont à la messe.
Journaliste
Vous allez faire un petit repas, amélioré ?
Madeleine Pennec
On y va et la route.
Journaliste
Vous allez faire un repas également, vous allez manger ?
Madeleine Pennec
Ah mais à minuit quand on arrive à la messe, on fait un [incompris] ou bien alors on fait un [incompris] comme on dit. Et alors on met du far dans le feu et quand vous retournez à la messe, et ben bon, vous le mangez et vous vous mettez à table quand la messe du bourg est finie à minuit.
Journaliste
Vous allez recevoir des cadeaux ?
Madeleine Pennec
Oh non les cadeaux ici c'est pas trop connu.
Journaliste
Non, vous n'aurez pas de cadeaux ?
Madeleine Pennec
Oh non, non, alors là pour ça.
(Silence)
Madeleine Pennec
C'est mon frère celui-là, qui est là. Et voilà, et tout ça alors, c'est mes 2 frères ça, l'autre là le grand là, celui-là il est mort. Oui, celui-là est mort, et ici si vous n'irez pas au paradis, vous n'irez jamais parce qu'il y a deux Notre Dame de Lourdes, et je sais pas combien de saintes. Ah oui, oui, oui. Vous allez mettre ça après monsieur en carte postale, pour faire la livraison, tout, partout dans les villes où vous allez. Voilà [incompris] les autres. Voilà Ouessant, les Ouessantines, et tout.
(Bruits)