Les rampes V1 du Ponthieu

04 juin 2011
07m 12s
Réf. 00427

Notice

Résumé :

Page découverte consacrée aux bombes volantes, les V1 qui avaient été mises au point en 1943 sur demande d'Hitler avec comme objectif la destruction de Londres. 67 bases de lancement ont été construites dans la Somme. C'est du Ponthieu que sont partis les premiers V1 en juin 1944. Dans la région de Crécy-en-Ponthieu, on peut encore voir de nombreuses traces de ces installations. Dany Dupré , guide du musée de Crécy-en-Ponthieu décrit les sites, Ghislaine Dailly, enfant à l'époque, Georges Delpierre qui avait été réquisitionné pour la construction, se souviennent. Patrick Mitoire (président de l'Association du musée de Crécy-en- Ponthieu) explique les parades trouvées par les anglais pour contrer ces bombes volantes.

Date de diffusion :
04 juin 2011
Source :

Éclairage

Les traces de la Seconde Guerre mondiale en Picardie et, plus largement, dans toute la zone littorale de la Manche, depuis la Normandie jusqu'au Pas-de-Calais, comptent les bases de lancement des V1 (Vergeltungswaffe c'est-à-dire arme de représailles), installées en très grande nombre en raison de la proximité du sud de l'Angleterre et de la ville de Londres. C'est une des spécificités du poids de la guerre sur ces régions maritimes.

Les V1 ont touché de plusieurs façons les populations locales. Tout d'abord, par leur construction, qui a nécessité de recourir à de la main d'œuvre locale réquisitionnée. Ensuite, par la terreur qu'ils ont semée chez les habitants à l'occasion des lancements. Beaucoup s'écrasèrent peu après et avant même d'arriver sur la mer. Le bruit provoqué par le V1 avertissait les populations de son passage proche et du risque qu'elles encouraient s'il s'écrasait rapidement. Dans les zones rurales, les habitants avaient parfois creusé dans les cours des fermes des petits abris où ils se précipitaient alors pour s'en protéger. Ainsi, avant de provoquer des dégâts en Angleterre, les V1 faisaient naître la panique chez les habitants du littoral de la Manche, panique qui n'est pas sans rappeler celle que déclenchèrent les Stuka sur les populations de l'exode lors des combats de mai- juin 1940.

Les V1 participèrent ainsi du paroxysme de la peur qui, avec l'abattement et l'attente d'un débarquement des Alliés, marque l'atmosphère du printemps 1944 chez les Français et particulièrement ceux du littoral nord du pays.

Ces régions, et singulièrement la Picardie, redevinrent donc des zones de front entre les belligérants. Zone de front en raison des lancements de ces V1 ; zone de front également car ces bombes volantes illustrent la course de vitesse entre les Allemands et les Alliés au sujet des armes spéciales. Une course de vitesse perdue par l'Allemagne nazie. Les premiers V1 ne tombèrent sur le sol anglais qu'après le débarquement du 6 juin 1944 (le 12 juin exactement) et sur les 35 000 engins fabriqués, 9 000 seulement furent lancés. Quant aux V2 (fusées), aucun ne fut lancé de France. C'est des Pays-Bas qu'ils atteignirent Londres à partir de septembre 1944.

David Bellamy

Transcription

Flore Fenouillet
La seconde Guerre mondiale toujours avec notre page découverte. Cette semaine, retour sur ces bombes volantes, les célèbres V1. En 1943, elles sont mises au point sur demande d’Hitler avec un objectif : détruire Londres. 76 bases de lancement sont construites dans la Somme. Dans la région de Crécy-en-Ponthieu, on peut encore voir de nombreuses traces de ces installations. Voyez ce reportage signé Jean-Paul Delance et Gérard Payen.
Jean-Paul Delance
Bonsoir à tous et bienvenue à Crécy-en-Ponthieu. Crécy-en-Ponthieu où je ne vais pas vous parler de la célèbre bataille du Moyen-âge mais du V-I. Le V1, c’est une arme secrète développée à la fin de la guerre par Hitler. Son but : détruire Londres. Et ces V1 étaient envoyés d’ici. Je vous raconte tout. 1943, l’implacable machine de guerre allemande s’enraye. C’est le temps des premiers revers. Depuis l’année précédente, les alliés ont débarqué en Algérie et au Maroc. Rommel et son Afrika korps ont été battu dans les déserts de Lybie et de Tunisie. Encore plus inquiétant pour Hitler : sa 6ème armée commandée par le maréchal Paulus capitule à Stalingrad. Devant l’urgence de la situation, le IIIème Reich ordonne aux ingénieurs allemands de développer de nouvelles armes. La société Fieseler qui fournit déjà la Lutwaffe en avions de combat met au point une bombe volante, le V1. C’est un avion sans pilote qui mesure 8 mètres de long et 6 mètres d’envergure. A l’intérieur, on trouve une charge explosive et un moteur alimenté par un réservoir de 680 litres de carburant. Le tout représente un poids total de plus de 2 tonnes au décollage. Sa portée est d’environ 280 kilomètres et sa précision d’impact, très approximative. Pour décoller, il doit être placé sur une rampe de lancement. L’objectif est de terroriser les habitants de Londres. Des Flandres au Cotentin, les Allemands construisent des centaines de bases, le plus souvent dans les bois pour éviter d’être repéré.
Dany Durpé
C’est une base tout en béton. Même les chemins sont bétonnés. Avec divers bâtiments pour construire le V1 et le stocker avant les tirs sur Londres.
Jean-Paul Delance
Sur une base lourde, il y a combien d’allemands ?
Dany Durpé
A peu près une cinquantaine.
Jean-Paul Delance
Et ce sont des sites très sécurisés ?
Dany Durpé
Très sécurisés.
Jean-Paul Delance
C'est-à-dire que les habitants du Ponthieu n’ont absolument pas le droit d’approcher ce genre de site ?
Dany Durpé
Non, non. C’est top secret. C’est interdit à la population.
Jean-Paul Delance
A Ligescourt, les travaux débutent en mars 43. Les va-et-vient de camions intriguent les habitants de communes environnantes. Un détail important à l’époque impressionne encore Guilaine.
Ghislaine Dailly
Les Allemands ont conduit de l’eau et de l’électricité dans des voies en plaine, alors que dans les villages, on en était encore à tirer l’eau au seau, tandis qu’eux, ils avaient déjà l’eau courante, quoi.
Jean-Paul Delance
Parce que ?
Ghislaine Dailly
Parce qu’il fallait de l’eau pour faire le béton.
Jean-Paul Delance
A 20 ans, George qui habite Machiel est réquisitionné pour la construction d’une base dans le Pas-de-Calais. Amené en car sur le site, il ignore tout du projet des Allemands.
Georges Delpierre
Au départ, on ne savait pas. On s’en est aperçu une seule fois et assez tard, dans les travaux, déjà. C’est quand ils ont, disons, montré, enfin, pour eux, pour eux, le plan de la… disons de la plateforme, quoi, avec la ville de Londres au bout. C’est là qu’on s’est aperçu que ces travaux étaient destinés pour, disons, bombarder Londres.
Jean-Paul Delance
Commence alors un long travail pénible de terrassement.
Georges Delpierre
Tout se faisait à la main. Alors les fondations qui se font à 90, les gros blockhaus que vous avez là, ils se font en 90 de profondeur et environ 80 de largeur. Ça, on les creuse et on met des pierres au fond et après du béton.
Jean-Paul Delance
A l’automne, et alors qu’aucun V1 n’a encore décollé, les services de renseignement anglais repèrent les installations. C’est le début d’intenses bombardements. Les Allemands réagissent et mettent en oeuvre des rampes mobiles facilement démontables. C’est du Ponthieu que s’envole le premier V1 qui s’abat sur Londres en juin 44.
Intervenant
Les bombes volantes tombent sur l’Angleterre sans interruption depuis le 16 juin. Elles sont loin de faire les ravages que la propagande leur prête. Mais là où elles tombent, elles démolissent des maisons, tuent ou blessent des civils.
Jean-Paul Delance
Les autorités anglaises ont toujours cherché à minimiser le bilan de ces destructions. Elles ont pourtant fait plus de 8000 victimes. Et plusieurs milliers de bâtiments ont été réduits en cendres.
(Musique)
Jean-Paul Delance
Tous les V1 tirés n’arrivaient pas en Angleterre. Certains ne parcouraient même que quelques kilomètres.
Intervenant 2
Il y avait un qui est tombé aussi à Boufflers. Et il y a des jeunes qui se sont faits tuer bêtement. Ils ont couru, ils l’ont vu tomber dans le bois. Ils ont couru immédiatement. Tant que l’allumage s’est… il s’est déclenché.
Jean-Paul Delance
Explosion ?
Intervenant 2
Explosion. Ils étaient tous autour. Il y en a 6 ou 7, je crois.
Jean-Paul Delance
Dès les premiers bombardements, les Anglais développent des parades. Vous pouvez nous expliquer ?
Patrick Mitoire
Il s’agissait de câbles avec des ballons qui barraient la Manche. Deuxième parade, c’était les chasseurs anglais, les Spitfire, qui avaient une vitesse à peu près équivalente et qui essayaient d’abattre les V1 avant qu’ils n’arrivent sur leur objectif.
Intervenant
Un homme contre un monstre. Et bien souvent, c’est l’homme qui gagne. Une arme nouvelle n’est jamais nouvelle bien longtemps.
(Bruit)
Jean-Paul Delance
Et parfois, même, certains pilotes étaient devenus des experts ?
Patrick Mitoire
Oui, et certains très très héroïques s’approchaient du V1, déstabilisaient du bout de leurs ailes le V1 pour le faire plonger en Manche. Les Allemands avaient trouvé une parade assez terrible : c’est qu’ils avaient posé des charges explosives sur le bout des ailes du V1. Et donc, le V1 et le Spitfire explosaient en même temps.
Jean-Paul Delance
Le V1, armes psychologique plus que tactique, n’a pu faire infléchir le cours de la guerre. Dans le Ponthieu, les terribles blockhaus d’hier sont reconvertis en hangar agricoles. Anecdote savoureuse pour finir : un Amiénois, André Jumelle, présente, en 1937, un projet de bombe volante au ministère de la guerre. L’état major ne donne pas suite. En 1941, après avoir écrit au maréchal Pétain, on lui signifie que son dossier a disparu. Ici s’achève cette page consacrée à un épisode méconnu de la Deuxième Guerre mondiale. J’espère qu’elle aura su vous intéresser. Pour ma part, je vous dis bonne soirée et à bientôt.