Allocution prononcée lors de l'inauguration de l'usine marémotrice de la Rance

26 novembre 1966
13m 38s
Réf. 00262

Notice

Résumé :

Le 26 novembre 1966, le général de Gaulle inaugure la nouvelle usine marémotrice de la Rance. Une visite officielle des installations est suivie des discours de Pierre Massé, président d'EDF, et du président de la République.

Type de média :
Date de diffusion :
26 novembre 1966

Éclairage

Le 26 novembre 1966, le général de Gaulle inaugure l'usine marémotrice de la Rance, située à l'embouchure du fleuve, entre Dinard et Saint Malo. Première usine marémotrice au monde (centrale électrique qui tire son énergie de la force des marées), elle symbolise l'âge d'or de la technologie française et marque la modernisation du pays.

Le reportage débute sur des images de l'arrivée du général de Gaulle à Dinard, où il est accueilli par Yvon Bourges (ministre de l'Information et maire de la ville), Edgar Pisani (ministre de l'Équipement) et le préfet de la région, Alexandre Stirn. Après avoir coupé le ruban qui inaugure le barrage (mais qui produit déjà de l'électricité depuis le mois d'août), le président visite les installations avec le directeur de l'EDF, Pierre Massé. Ce dernier prend ensuite la parole pour souligner cet " heureux progrès " que constitue l'usine marémotrice. À sa suite, le général de Gaulle prononce une allocution où il rappelle le rôle d'EDF dans la modernisation du pays, et souligne l'importance des grandes réalisations françaises visant à l'indépendance énergétique de la nation.

Aude Vassallo

Transcription

Commentateur
C'est à Dinard Pleurtuit que s'est posée cet après-midi la Caravelle présidentielle. Le Général de Gaulle était attendu par messieurs Bourges, ministre de l'information et maire de Dinard, Pisani, ministre de l'équipement, par le préfet de la région de Bretagne, monsieur Stirn. La construction de l'usine marémotrice de la Rance, entre Dinard et Saint-Malo, dans une région de forte marée, où les différences de niveau sont élevées, remonte à 1961. Cette usine est la première au monde à utiliser l'énergie des marées pour la production d'énergie électrique à l'échelle industrielle. Elle a été inaugurée cet après-midi, par le Général de Gaulle, qui, en compagnie de monsieur Marcellin, ministre de l'industrie, de monsieur Massé, président de l'EDF, de messieurs Pisani et Bourges, et de plusieurs personnalités, visitaient ce barrage de 750 mètres de large, avec une écluse pour la circulation des bateaux, bien entendu. Le Chef de l'Etat saluait les gens venus nombreux assister à cette inauguration, inauguration dans la tradition, avec cette jeune fille en costume breton. C'est, il est vrai à la Bretagne, qu'est destinée cette production inédite d'électricité. L'usine proprement dite forme une digue creuse en béton de 390 mètres dans laquelle sont logées 24 groupes bulbes de 10.000 kilowatts chacun. Le groupe bulbe ressemble à un petit sous-marin, il y en a un par cavité, il fonctionne, soit en turbine, soit en pompe, et dans les deux sens d'écoulement du flux. Le temps est, bien entendu, trop court ici pour développer longuement les explications sur cet ensemble technique, aboutissement de 20 ans de recherche, qui est visité par des techniciens venus du monde entier, notamment des Soviétiques et des Canadiens, particulièrement intéressés. Voici la grande salle dans laquelle sont logées les cavités des 24 groupes, devant lesquelles le Chef de l'Etat se faisait expliquer le fonctionnement de ces ogives qui contiennent l'alternateur et la turbine et dans lequel passe le flot dans les deux sens. Dans la salle de commandement, le Général de Gaulle, en tournant un bouton, vous allez le voir dans un instant, devait mettre en charge un premier bloc de 4 groupes. 20.000 kilowatts étaient ainsi injectés dans le réseau, qui desservira aux heures de pointe, Brest, Landerneau, Rennes Belle-Epine et Flers. 554 millions de kilowatts / heure pourront être produits quand les 24 groupes fonctionneront, ce que le Chef de l'Etat se faisait expliquer devant les maquettes des différentes réalisations, des différentes étapes. En remontant sur le barrage qui sera bientôt une très belle route reliant Dinard à Saint-Malo, le Chef de l'Etat a pu constater que la construction de l'ouvrage n'avait pas altéré la beauté de ce site magnifique de la Côte d'Emeraude. A propos de cette inauguration, monsieur Massé devait rappeler la place importante de l'Electricité de France dans la vie économique du pays.
Pierre Massé
Electricité de France a été créée il y a 20 ans, dans la ligne de décisions arrêtées par le gouvernement provisoire de la République, que vous présidiez. Que de chemin parcouru en ces 20 années ! La France venait alors de retrouver tout juste son niveau de production d'électricité d'avant-guerre, 21 milliards de kilowatts / heure. Elle en a produit l'an dernier 102 milliards. Et ces kilowatts / heure ont été produits et distribués, en grande majorité, par l'Electricité de France. Pour situer notre établissement public dans l'établissement, dans l'économie nationale, il suffit de dire qu'en valeur, la production totale de l'économie française pourrait être assurée par moins de 100 entreprises de sa dimension. Production et distribution d'électricité sont, d'autre part, la seule grande industrie qui doive investir, chaque année, plus de la moitié de son chiffre d'affaire. On aurait pu craindre que cet effort, si important, commandé par l'expansion des besoins d'électricité du pays, qui obligent à créer, pendant chaque décennie, c'est-à-dire pendant deux de nos plans, un équipement équivalent à celui créé au cours de toutes les périodes précédentes, ne conduise à un prélèvement insupportable sur l'épargne nationale. Mais ç'aurait été oublier la productivité en constant et heureux progrès.
Commentateur
Le Général de Gaulle prenait alors la parole.
Charles de Gaulle
Au milieu de l'évolution qui transforme l'économie de la France, la cérémonie d'aujourd'hui apparaît comme un épisode assurément exceptionnel. Et pourtant, il est lié directement à ceux qui l'ont précédé et à ceux qui le suivront pour former la trame de notre progrès national. Car si en fait d'électricité, l'usine marémotrice de la Rance revêt le caractère sans précédent d'utiliser sur une large échelle les mouvements de l'océan dans son flux et dans son reflux, elle ajoute, d'autre part, une puissante centrale à l'ensemble de nos moyens de production. C'est pourquoi l'extraordinaire réussite représentée par le barrage de cet estuaire où la marée se fait sentir plus fortement qu'en aucun point des côtes de toute l'Europe continentale, ainsi que par l'invention et l'emploi de groupes tout nouveaux, que l'on appelle les groupes bulbes, tout cela est une grande victoire technique. Mais c'est aussi un anneau ajouté à une chaîne qui ne cesse de se forger. C'est à ce double titre que je suis venu la saluer au nom de notre pays. Et cela d'autant plus volontiers que j'y trouve l'occasion de reconnaître les efforts et les mérites d'une entreprise nationale, celle qui a conçu, proposé, et réalisé ce travail. Oui, l'Electricité de France qui fut, dès le lendemain de la Libération, érigée en établissement public, a progressivement assumé un rôle tel, qu'aujourd'hui elle nous paraît littéralement comme l'expression et comme la condition de notre avance économique. Depuis 20 ans, la distribution du courant a quintuplé, répondant à mesure au besoin de notre industrie dont la production, en même temps, a triplé, et de la consommation domestique, dans nos foyers, dont le niveau de vie moyen a doublé. Quelle est donc notre satisfaction quand nous constatons tout ce qui a été déjà fait chez nous, et tout ce qui continue de l'être, pour capter l'énergie dégagée, ou bien par la combustion du charbon et du pétrole, ou bien par le cours des fleuves et des rivières, ou bien par la fission de l'atome, ou bien, c'est pour la première fois le cas, par la poussée de l'océan. Désormais, le fait est que cette distribution de la force et de la lumière partout commande, on peut le dire, l'activité, et par conséquent, la vie même de notre peuple. C'est dire que le vaste ensemble de recherches, d'études, de production, de distribution que constitue l'Electricité de France revêt ou atteint, par sa concentration et par sa dimension, une importance qui est capitale. Et c'est dire aussi que ceux qui en font partie, les ingénieurs, les techniciens, les ouvriers, portent une responsabilité. Que cette responsabilité les engage, non pas seulement, à l'égard de la collectivité, mais à l'égard de chaque Français, qui a besoin des moyens de travail, de transport, de chauffage, d'éclairage, de guérison, que comporte l'électricité. C'est donc un grand devoir qui est le leur, un devoir qui s'appelle : le service public. En célébrant, aujourd'hui et ici, l'achèvement d'une des réalisations les plus impressionnantes de ce siècle, nous sentons tous combien l'événement est symbolique, en raison du moment et du lieu où il se produit. Voici en effet que l'usine marémotrice de la Rance prend sa place sur le sol de notre pays, tandis que, sans détruire sa nature ni déchirer sa figure, mais en vertu de plans bien arrêtés, et d'un grand effort national, il devient une puissance industrielle de premier ordre. Voici que cet instrument tout nouveau de la production s'installe dans notre Bretagne, dont le développement est largement commencé et sera activement poursuivi, jusqu'à en faire une des régions essentielles de l'expansion, mais qui demeure fidèle à ses traits traditionnels. Voici qu'à proximité de villes, aussi anciennes et en même temps vivantes, que Dinard, Saint Servan, Paramé, d'une cité, aussi marquée que Saint-Malo, par la capacité, l'audace, la gloire maritime de la patrie, d'un monument aussi expressif de sa grandeur et de sa splendeur qu'est le Mont Saint-Michel. Cet ouvrage moderne par excellence, s'encadre dans un des sites géographique et historique les plus émouvants qui soient, sans en briser aucunement l'harmonie et la signification. Comme, comme la Rance coule vers la mer parce que sa source l'y envoie, ainsi la France est fidèle à elle-même lorsqu'elle marche vers le progrès. Vive la République, vive la France !
Commentateur
Le Général de Gaulle serrait de nombreuses mains dans la foule avant de quitter l'usine marémotrice de la Rance qui pourra tourner à son plein régime dès 1967.