Voyage à Roanne

07 juin 1959
12m 22s
Réf. 00032

Notice

Résumé :

Discours du général de Gaulle à Roanne lors d'un voyage en province. Le Général est accueilli par une foule enthousiaste et prononce un discours en forme d'hommage à la solidarité des Français et à la grandeur de la France dans le monde. Une partie du discours est consacrée à l'Algérie. Il clôt son intervention en chantant "La Marseillaise" reprise en choeur par la foule.

Type de média :
Date de diffusion :
07 juin 1959

Éclairage

De février 1959 à juin 1965, le général de Gaulle réalise un gigantesque tour de France qui le conduit d'un bout à l'autre de la métropole, dans toutes les provinces, dans toutes les régions. C'est pour lui l'occasion de créer un contact direct avec les Français, de "récolter des moissons d'impressions et de précisions pratiques" sur les grandes questions de l'heure. Après le Sud-ouest, le Centre, le Berry et la Touraine, le quatrième voyage officiel se déroule dans le pays minier du Massif central, une région qui n'est pas acquise (certains maires - élus ou réélus trois mois plus tôt - ont annoncé qu'ils ne se déplaceraient pas).

Le 7 juin 1959, après avoir visité le Puy-de-Dôme, le Général arrive dans la Loire. Sortant de l'Hôtel de Ville de Roanne, de Gaulle prend la parole, entouré d'un cortège d'officiels parmi lesquels on reconnaît Pierre Lefranc, le maire centriste Paul Pillet, Pierre Chatenet (le ministre de l'Intérieur) ou Max Fléchet (le secrétaire d'État aux Affaires économiques).

Le Général, comme à son habitude, commence par remercier les Roannais pour l'accueil magnifique que la ville lui fait. Il évoque ensuite le redressement économique et social de la France, auquel son gouvernement oeuvre en métropole (tentative de stabilisation du franc, IIIe Plan intérimaire) comme en Algérie (Plan de Constantine), et qui doit permettre d'ouvrir grand les portes d'un avenir fécond et prospère. Il appelle ensuite à la nécessaire union nationale qui doit se former tout autour de lui, ("je vous vois, bonnes Françaises, bons Français, pour un instant réunis, réunis dans l'âme") et autour de sa politique algérienne (le "coup de tonnerre" de l'autodétermination ne se produira que 2 mois plus tard, en septembre). Sans cela, de Gaulle prophétise un bien sombre avenir ("des dominations extérieures viendraient s'abattre sur nous"). De la solution du conflit algérien dépend la grandeur de la France dans le monde, et tout d'abord, de son indépendance vis-à-vis des deux blocs qui s'affrontent. Dès le lendemain, 8 juin 1959, le gouvernement annoncera d'ailleurs le refus de stockage d'armes atomiques américaines sur le territoire français et l'OTAN décidera du retrait de ses chasseurs-bombardiers. Ainsi évoque-t-il l'idée d'une Europe "de l'Atlantique à l'Oural" qui condamne la politique des blocs et encourage l'émergence d'une troisième voie.

Le président rappelle ensuite la vocation naturelle de la France et de l'oeuvre humaine qu'elle est appelée à accomplir, notamment avec les pays sous-développés (quelques jours plus tôt, une loi ouvrait la voie à l'indépendance des États africains sans toutefois les obliger à quitter la Communauté). Très acclamé, le général de Gaulle quitte la tribune pour prendre un de ces étranges bains de foule avec lesquels les Français commencent à se familiariser.

Ce document, diffusé au journal télévisé du soir, donne à voir et à ressentir la communion et l'unité entre les Français et leur président : "Au total, il se produit autour de moi, d'un bout à l'autre du territoire, une éclatante démonstration du sentiment national qui [. . .] apparaît ensuite partout grâce à la télévision." (Mémoires d'Espoir - Le Renouveau).

Aude Vassallo

Transcription

(Applaudissements)
Charles de Gaulle
Merci, merci, merci... Le premier mot que je dois dire, c'est tout simplement merci. Merci pour l'accueil magnifique de Roanne qui m'est profondément émouvant, réconfortant et qui, je dois le dire, pour quelqu'un qui a quelques responsabilités nationales, est un concours direct extrêmement utile. Merci Roanne de tout mon coeur.
(Applaudissements)
Charles de Gaulle
D'autant plus que ce que vous manifestez, ce n'est pas seulement des sentiments à l'égard de quelqu'un, c'est aussi une preuve, une preuve de l'unité française. Je vous vois, mes chers concitoyens, mes chers compatriotes, ici comme en bien des endroits, mais ici en particulier. Je vous vois, bons Français, bonnes Françaises, pour un instant réunis, réunis dans l'âme. Et si vous ne l'étiez pas, vous ne seriez pas ici, autour de moi, aujourd'hui, et moi, je ne serai pas là pour vous le dire et pour le remarquer. En vérité, voyez-vous, où que nous soyons, qui que nous soyons, nous sommes un seul peuple, un seul grand peuple, le peuple français.
(Applaudissements)
Charles de Gaulle
D'autant plus remarquable, cette manifestation, qu'elle vient d'une ville comme la vôtre, extrêmement laborieuse et industrieuse, dont je n'ignore pas qu'elle a traversé, et qu'elle traverse encore, des soucis, des difficultés, dans les familles, dans les professions. Et cependant, je sens et nous sentons tous, planer au-dessus de nous cette atmosphère de confiance, je dirais même de certitude qui prouve que la France est vivante et qu'elle s'élève au-dessus de qu'elle était hier, et que chaque jour qui passe la voit plus grande, plus forte et plus résolue. Il faut que la France soit un grand pays. Si elle ne l'était pas, que feraient les Français, sinon de se battre les uns contre autres en attendant que quelque domination extérieure vienne s'abattre sur nous ? Etre grand pour nous-mêmes, nous le méritons et nous sommes faits pour cela. Et puis être grand pour le monde car nous avons une vocation française dans le monde, la vocation que tout simplement, on peut qualifier d'humaine. Vocation qu'il nous faut suivre à l'intérieur de notre pays. Il faut qu'à partir de la stabilité que nous sommes en train d'établir dans nos finances, dans notre économie, dans notre monnaie, il faut que l'activité qui ira et qui va déjà, se développant à partir de cette base, soit au profit de chaque Française et de chaque Français. Il faut aussi que notre oeuvre en Algérie soit une oeuvre humaine. C'est l'essentiel dans ce que nous avons à faire, dans cette douloureuse région. Il faut que nous y portions pour toutes et pour tous, et que nous y pratiquions et fassions pratiquer la liberté, l'égalité et la fraternité.
(Applaudissements)
Charles de Gaulle
Il faut que par un grand effort national, avec les Algériens, nous élevions le niveau de ces hommes et de ces femmes pour que tous et toutes accèdent à la dignité. Et quant à l'avenir de l'Algérie, je vous dirai que je ne suis pas inquiet. La France et l'Algérie feront leur avenir ensemble. Et si, dans le monde, certains voudraient empêcher notre pays de faire son oeuvre, ils perdent leur temps, qu'ils passent leur chemin.
(Applaudissements)
Charles de Gaulle
Enfin, nous avons, nous, la France, une oeuvre humaine à remplir dans le monde, la masse des hommes qui appartiennent à des pays, comme on dit, " sous-développés ", qui ont à peine tout juste de quoi ne pas mourir et encore. Cette masse d'hommes, c'est un devoir du siècle, c'est un devoir de la terre entière de faire en sorte qu'ils accèdent, eux aussi, à la dignité et à la fraternité. Qui peut y les aider, ces deux milliards d'hommes-là, sinon les huit cent millions qui ont les moyens matériels, techniques, de leur prêter secours, de leur prêter leur concours ? Ces huit cent millions qui habitent l'Europe, depuis l'Atlantique jusqu'à l'Oural, et qui habitent l'Amérique du Nord, depuis le Pacifique jusqu'à l'Atlantique. Que tous ces peuples-là, malgré leur régime, les ambitions de certains, les prétentions des mêmes, que ceux-là, à la fin des fin, prennent contact entre hommes de bonne volonté pour accomplir, ensemble, le devoir qu'ils ont envers la masse de leurs semblables. Qu'ils le fassent, qu'ils concourent, qu'ils coopèrent, et la paix sera établie. Et en outre, les hommes de notre génération n'auront pas perdu leur vie et ceux des générations qui suivent, par exemple la magnifique, la nombreuse jeunesse française dont vous me montrez tant d'enfants à Roanne, aura une grande tâche à remplir qui vaudra la peine tout au long de leur existence. Voilà la tâche...
(Applaudissements)
Charles de Gaulle
Voilà la tâche de la France. Vous en savez aussi long que moi, mes chers compatriotes de Roanne, sur l'inspiration, on pourrait dire sur la philosophie de la politique de la France. Faisons-la ensemble. J'ai toute confiance que nous sommes d'accord pour cette grande tâche et vous me le montrez ce matin d'une manière éclatante et émouvante. Alors...
(Applaudissements)
Charles de Gaulle
Nous allons nous séparer. Je tiens à dire quelle impression profonde j'emporte de notre contact, et je ne peux mieux résumer ce que nous pensons tous et je ne peux mieux le faire, je ne peux le faire d'une manière simple qu'en disant tout simple nos vieux mots, nos grands mots : " Vive la République, vive la France ".
(Applaudissements)
Charles de Gaulle
Roanne, s'il vous plaît, ensemble, chantons la Marseillaise.
(Applaudissements)
Charles de Gaulle
[La Marseillaise]
(Applaudissements)
(Silence)