Pour en finir avec le jugement de Dieu, émission radiophonique conçue et réalisée par Antonin Artaud

28 novembre 1947
03m 31s
Réf. 00450

Notice

Résumé :

Le 28 novembre 1947, Antonin Artaud enregistre avec Paule Thévenin, Maria Casarès et Roger Blin une émission radiophonique intitulée Pour en finir avec le jugement de Dieu. Il s'agit de la dernière création d'Artaud, quelques semaines avant sa mort.

Type de média :
Date de diffusion :
11 mai 1948
Date d'événement :
28 novembre 1947
Lieux :

Éclairage

Né en 1896 à Marseille, Antonin Artaud est l'écrivain et l'homme de théâtre français dont l'apport artistique, poétique et théorique est le plus déterminant pour la modernité théâtrale. S'érigeant contre la notion d'œuvre qui dissocie l'homme de sa création, il choisit le théâtre, seul art qui les fonde en un. Il assigne à la représentation théâtrale l'objectif de matérialiser les forces obscures de l'esprit, les constructions de l'inconscient, et lance le théâtre en guerre contre l'esthétique et la pensée bourgeoises qui emprisonnent l'homme entre les bornes pauvres du connu. Il attaque donc en premier lieu les textes emblématiques de cette société hypocrite, dans un article intitulé « Pour en finir avec les chefs-d'œuvres », et se lie avec les surréalistes dès son arrivée à Paris en 1920. Il fait ses débuts au théâtre avec Lugné-Poë, Dullin et les Pitoëff, avant de fonder le Théâtre Alfred Jarry en compagnie de Roger Vitrac et Robert Aron, qui présentera quatre séries de spectacles entre 1926 et 1928. Parallèlement, Artaud se passionne pour le cinéma, dont les ressources techniques font un merveilleux instrument pour exprimer la réalité intime du cerveau, fondre les plans du rêve et du réel. Il joue dans des films d'Autant-Lara, Gance, Dreyer, Tourneur, et écrit des scénarios, parmi lesquels La Coquille et le clergyman réalisé par Germaine Dulac.

En 1931 Artaud a la révélation de ce que pourrait être ce langage propre au théâtre qu'il appelle de ses vœux, en assistant à un spectacle du Théâtre Balinais. Il découvre un art qui, mêlant la danse, le chant, et la musique au texte, parvient à une synthèse des sens et invente un langage hiéroglyphique, à la fois gestuel, vocal et verbal, qui joint le concret au symbolique. C'est alors qu'il commence à rédiger les manifestes du Théâtre de la cruauté et d'autres textes qui formeront la matière du recueil capital qui paraît en 1938 sous le titre Le Théâtre et son double. Le théâtre de la cruauté, comme la peste, doit provoquer chez le spectateur une commotion visant à lézarder l'édifice social qui lui sert de repère, et à lui faire découvrir un sens renouvelé de la vie en restituant à l'expérience dramatique sa dimension sacrée et métaphysique.

C'est cette expérience du sacré et de la transe qu'Artaud va chercher au Mexique, chez les Tarahumaras. Il s'initie aux rites du soleil et du peyotl dont il rend compte dans Pour en finir avec le jugement de Dieu. Sa vie connaît alors un tournant, avec les aggravations de son état mental. Il est arrêté en 1937 à Dublin, remis aux autorités françaises qui le font placer en hôpital psychiatrique, à Rouen, à Paris, enfin à l'asile de Rodez dont il ne sortira qu'en 1946, physiquement anéanti. De retour à Paris où il est hébergé dans une clinique à Ivry-sur-Seine, il enregistre en novembre 1947 Pour en finir avec le jugement de Dieu, émission radiophonique programmée pour le 1er février 1948, mais dont la diffusion est finalement retardée et restreinte, le directeur de la Radio l'ayant jugée scandaleuse. L'émission est créée avec Roger Blin, Paule Thévenin, et Maria Casarès dont on perçoit la voix dans l'extrait, après celle d'Artaud. On y entend les glossolalies qui envahissent les cahiers d'Artaud à la fin de sa vie, mises en musique et psalmodiées par lui-même. Artaud avait en effet élaboré à la fois une théorie et une pratique du souffle et de la voix, et avait travaillé la sienne jusqu'à maîtriser les différentes tessitures qu'il emploie dans l'extrait. Le document témoigne aussi de l'expressivité de la diction qu'Artaud avait développée, où la matérialité des voix et des sons est utilisée comme moyen dramatique à part entière. Après avoir opposé la civilisation de l'ersatz et de la destruction, symbolisée par l'Amérique, au savoir chamanique des Tarahumaras, Artaud dénonce violemment le mythe chrétien qui a instauré le divorce entre la chair et l'esprit, et formule à nouveau sa vision d'un autre ordre possible du monde.

Marion Chénetier-Alev

Transcription

Journaliste
Vous allez ent...
Antonin Artaud
J'aime mieux le peuple qui mange à même la terre. La terre, d'où il est né. Je parle des Tarahumaras mangeant le peyotl à même le sol pendant qu'il naît, et qui tue le soleil pour installer le royaume de la nuit noire. Et qui crève la croix des espaces afin que les espaces de l'espace ne puissent plus jamais se rencontrer ni se croiser. C'est ainsi que vous allez entendre la danse du TUTUGURI.
(Bruit)
Maria Casarès
Et en bas, comme au bas de la pente amère, cruellement désespérée du coeur, s'ouvre le cercle des six croix ; Très en bas, comme encastré dans la terre mère, désencastré de l'étreinte immonde de la mère qui bave. La terre de charbon noir est le seul emplacement humide dans cette fente de rocher. Le rite est que le nouveau soleil passe par sept points avant d'éclater à l'orifice de la terre. Et il y a six hommes, un pour chaque soleil. Et un septième homme qui est le soleil tout cru, habillé de noir et de chair rouge. Or, ce septième homme est un cheval, un cheval avec un homme qui le mène. Mais c'est le cheval qui est le soleil et non l'homme.