Interview des frères Boniface

05 décembre 1965
03m 56s
Réf. 00352

Notice

Résumé :

A quelques semaines du premier match du Tournoi des cinq nations, qui opposera la France à l'Ecosse, interview d'André et Guy Boniface. Les deux frères commentent le jeu de l'un et de l'autre et discutent de la prochaine sélection de l'équipe de France.

Date de diffusion :
05 décembre 1965
Thèmes :

Éclairage

Entre les frères Boniface, l'entente touche des sommets dans ce jeu de rugby. Selon André, "cette perfection, pour moi, était un culte, pour ne pas dire le sens de ma vie sportive" [1].

S'agit-il d'un lapsus ? la formule est forte : "à nous deux, nous arrivons à faire un trois-quart centre assez valable".

Les qualités de ces deux frères ne sont pas les mêmes et leur différence devient un atout s'ils l'exploitent au mieux par le travail d'entraînement : "la complémentarité indispensable dans une équipe - et plus encore dans une paire de trois-quarts centre - , entre les "artistes et les puncheurs" " [2].

Guy, parlant d'André, dit "il a lutté pendant dix ans contre beaucoup d'autres trois-quarts qui ne voulaient plus attaquer". Selon son frère, "la guerre sournoise contre le beau jeu continuait avec l'éternel alibi de l' "efficacité" " [3].

Leur morale commune est de faire marquer plus que marquer, "donner les meilleures balles possible aux ailiers, qui sont en principe les finisseurs de l'équipe", ou à n'importe lequel. Dans sa culture de "créateur d'essai" (on dirait aujourd'hui passeur décisif), André a "servi" autant des avants (en recentrant) que des ailiers, les "finisseurs naturels".

Les formes cultivées par le duo reposent sur le jeu de ligne, qui se déploie jusqu'à l'aile, avec une synchronisation dans la passe et la position de receveur qui permet de créer un décalage ; ou bien un effet de leurre, qui masque un changement de direction (par exemple, la passe croisée dans le dos), et surtout un rythme interrompu, ou, si l'on se voit bloqué à l'aile, on tapera un coup de pied de recentrage, pour faire une "passe au pied" à des partenaires engagés au centre du terrain.

Toutes ces formes supposent une vitesse d'ensemble élevée, et une vitesse instantanée d'un joueur, un "coup de reins", fourni au bon tempo, pour "percer" la ligne de défense.

Ces principes d'aller vers l'avant, de contre-attaquer à la moindre occasion, puisent dans le style lourdais des années 1950, dans le jeu perpétuel réputé bayonnais, mais aussi dans le tempérament landais dévoreur d'espace, et surtout amateur de feinte, d'esquive, ce qui apparente le goût du rugby à celui de la course landaise, où l'on écarte (on évite d'un imperceptible pivotement) la vache lancée dans sa course rectiligne.

Le beau jeu fait prendre quelques risques, par exemple l'interception d'une passe longue, car alors l'adversaire a un temps d'avance dans le sens inverse d'une équipe qui irait toute en avant. C'est ce qui est arrivé dans la rencontre France-Pays de Galles le 26 mars 1966 : après avoir marqué deux essais, la France mène par 8 à 6 ; sur une passe en cloche de Jean Gachassin à André, Stuart Watkins intercepte et marque après une longue course, en débordant l'arrière, Claude Lacaze.

C'est ce coup de vent qui décidera séance tenante le comité de sélection d'écarter définitivement les frères Boniface de l'équipe de France. Cette décision brutale suscita une forte émotion dans le pays landais et en général chez les amateurs de rugby.

Il faut aussi noter que ce comité n'a pas su tirer parti de la complicité "professionnelle" du tandem, car ils n'ont joué ensemble que 18 matchs en équipe de France, sur 48 sélections d'André [4] de 1954 à 1966 et sur 35 sélections de Guy [5] de 1960 à 1966...

[1] BONIFACE, André, Nous étions si heureux, Paris : La Table ronde, 2006, p. 97.

[2] ALBALADEJO, Pierre, Les clameurs du rugby. Ce jeu qui interdit le JE, Paris : Solar, 2007, p. 105.

[3] BONIFACE, André, Nous étions si heureux, Paris : La Table ronde, 2006, p. 176.

[4] 5 fois vainqueur du Tournoi des cinq nations : 1954, 1955, 1959, 1961 et 1962.

[5] 2 fois vainqueur du Tournoi des cinq nations : 1960 et 1961.

Hubert Cahuzac

Transcription

Journaliste
Début 1966, c’est le Tournoi des cinq nations. C’est France-Ecosse. André et Guy Boniface, qu’est-ce que vous pensez de ce match ?
André Boniface
Et bien je vais parler un peu avant Guy. Je pense que ce match sera très très important pour la suite du Tournoi des cinq nations et que tout ce tournoi se déroulera là-bas à Murrayfield et cela va être vraiment le grand départ du tournoi.
Journaliste
Et vous Guy ?
Guy Boniface
Moi, je crois que le match France-Ecosse sera très dur et parce qu’il pleut souvent en Ecosse. Alors on est désavantagé si le terrain est lourd. Et alors ce sera un test pour les avants et ce sera un match très dur.
Journaliste
Qu’est-ce que vous pensez de l’équipe de France qui va rencontrer l’Ecosse ?
Guy Boniface
C'est-à-dire l’équipe de France, on ne la connaît pas. Il faut attendre le match de sélection mais je crois que si on garde le, si les sélectionneurs font confiance à l’ossature presque à la majorité des quinze joueurs qu'ont joué la Roumanie, je crois que cela ira très bien. Parce qu’il y a eu de très très bonnes choses, je crois pour France-Roumanie.
Journaliste
André, que pensez-vous de la méthode, de la façon de jouer de votre frère Guy ?
André Boniface
J’aime beaucoup sa manière et puis surtout son état d’esprit qui est proche du mien. Je pense que lorsque nous rentrons sur le terrain nous avons tous les deux le même état d’esprit. Et ensuite, physiquement, chacun a sa manière. Et je crois que la manière de l’un et de l’autre se complète beaucoup. A nous deux, nous arrivons à faire un très bon, un trois-quarts centre assez valable.
Journaliste
Guy vous êtes le plus jeune. Que pensez-vous de votre aîné ?
Guy Boniface
Moi, c'est mon aîné et puis, d'abord j’ai beaucoup d’admiration pour lui, pour son jeu, pour l’amour qu’il a mis dans le rugby, toute cette volonté car il a lutté pendant dix ans contre beaucoup d’attaquants qui ne voulaient plus attaquer, beaucoup de trois-quarts qui ne voulaient plus attaquer. Et je crois que cela a été le seul trois-quarts centre à le vouloir jouer au rugby. Les résultats sont là. C’est très bien pour lui. Et moi, comme j’étais le petit, j’ai suivi.
Journaliste
Si tant est que les sélectionneurs gardent la même équipe que pour France-Roumanie, que pensez-vous plus précisément de la ligne d’avants ?
André Boniface
Je pense que nous avons une ligne d’avants comme peut-être il n’y en a jamais eu en équipe de France. Il faut voir la qualité physique, musculaire de tous les gars qui sont des athlètes vraiment. Et malgré peut-être quelques lacunes dans le match qu’on a pu voir dans le match France-Roumanie, c’est le premier match de la saison et ces lacunes-là peuvent être facilement remédiées. Je crois que la France a un grand pack d’avants, très très grand et il serait dommage de dissocier ces joueurs qui vraiment forment le pack le plus homogène que j’ai connu depuis que je joue en équipe de France.
Journaliste
André, combien de points le tandem Boniface va-t-il marquer lors de France-Ecosse ?
André Boniface
Et bien le nombre de points que nous allons marquer n’est pas du tout dans notre objectif. Et on peut vous dire que lorsque nous rentrons sur un terrain, il ne nous arrive jamais de penser à marquer des points, mais au contraire de faire marquer le plus possible un autre ailier qu’il soit ailier gauche ou ailier droit. Et tout notre rugby dans un match est basé là-dessus, donner les meilleures balles possibles à ces ailiers qui sont en principe les finisseurs de l’équipe. Evidemment il nous arrive de marquer des points, en particulier Guy qui est un finisseur dans son jeu, mais je peux vous assurer que le plus grand plaisir que nous puissions avoir, c’est de donner une très bonne balle d’essai à nos camarades, à n’importe lequel. Et en particulier cette année, nous serions très heureux de faire marquer enfin le vingtième essai à notre grand ami Christian Darrouy qui deviendrait alors le meilleur marqueur de tournoi depuis tous les temps.