Voyage du général de Gaulle à Bully-les-Mines et Mazingarbe
Notice
Le général de Gaulle en voyage dans le Nord-Pas-de-Calais s'est rendu à Bully-les-Mines afin d'étudier la situation du bassin houiller. A l'usine chimique de Mazingarbe, il a été accueilli par un Compagnon de la Libération, Yvon Morandat, alors président des HBNPC. Il s'est félicité de l'exemple de Mazingarbe dans le cadre de la reconversion. Il a ensuite visité le complexe qui permettra de produire l'eau lourde. Le Général s'est entretenu avec les ouvriers dont d'anciens mineurs reconvertis, puis avec les cadres. Enfin, il a décoré de la Légion d'Honneur un ancien résistant, le mineur René Lestienne.
Éclairage
L'atmosphère des années soixante triomphantes transparaît dans ce reportage tant par les DS noires, célébrées par Barthes dans ses Mythologies, qu'au travers du déférent "Mon Général" prononcé par certains ouvriers avec lesquels le chef de l'État s'entretient. Pourtant, si le général de Gaulle termine sa visite dans le nord de la France par une visite dans l'ouest du bassin minier, c'est pour évoquer le désormais lancinant problème du déclin de la production charbonnière, et mettre l'accent sur la "reconversion".
Si ce sujet est déjà évoqué en 1966, c'est qu'il est discuté depuis 1960, lorsque Jean-Marcel Jeanneney, le ministre de l'énergie, présente son plan de diminution de la production charbonnière. Alors que le maximum avait été atteint avec 60 millions de tonnes en 1958, la production est tombée à 53 millions dès 1965. Le bassin du Nord-Pas-de-Calais qui représente à l'époque quasiment la moitié de la production nationale est le premier concerné par ce plan.
Les raisons du déclin de l'activité charbonnière sont, selon le commentaire, doubles. Il s'agit tout d'abord de "l'épuisement partiel" des veines, qui touche surtout l'ouest du Bassin et de la "concurrence d'énergies nouvelles". Les années soixante sont en effet celles d'une explosion de la consommation de pétrole. Une troisième raison, non évoquée dans le reportage, est le prix trop élevé du charbon français, et surtout du charbon régional. Le gisement du Nord-Pas-de-Calais est particulièrement visé car il repose sur des couches minces et profondes, à l'exploitation difficile. Il est malaisé d'y implanter les technologies les plus rentables comme les haveuses, plus faciles à mette en place dans les veines larges de Lorraine.
Sur le plan géographique, c'est l'ouest du bassin minier, là où le gisement devient rapidement le moins rentable, qui est le premier concerné par le déclin. L'État et les Houillères du Bassin du Nord et du Pas-de-Calais (HBNPC), représentées ici par son président Yvon Morandat, mettent en place des politiques incitatives visant à encourager le développement d'activités nouvelles par des aides spécifiques. Ce sont les "zones spéciales de conversion" de 1959, qui touchent l'extrême-ouest du bassin, puis les "primes d'adaptation industrielle" "qui touchent un secteur élargi à Béthune, ville où s'est d'ailleurs établie la firme américaine de pneumatiques Firestone au début des années 1960. Cela explique que le Président de la République vienne à Bully-les-Mines, entre Lens et Béthune, une zone où la problématique de la reconversion est plus avancée qu'à l'est, à Douai par exemple. Charles de Gaulle réagit par ailleurs à, ce qui est désignée pudiquement, "l'incertitude angoissante" de la population face au déclin charbonnier. La référence est certainement celle de la grande grève des mineurs de 1963.
La visite se poursuit dans la commune de Mazingarbe, plus au nord. Elle accueille une usine pionnière dans la diversification des Houillères vers la carbochimie. Ouverte à la fin du XIXe, l'usine réalise dès 1922 la synthèse de l'ammoniac à partir des gaz de fours liés à l'exploitation charbonnière. L'ammoniac est ensuite utilisé pour produire des engrais, qui deviennent la spécialité du site de Mazingarbe dans les années soixante-dix. Les Houillères, nationalisées en 1944, continuent le développement de ce site, en particulier à partir des années 1960 lorsque l'impératif de reconversion s'impose. Plus généralement, les Charbonnages de France (CdF), l'entreprise-mère des HBNPC multiplient les filiales dans ce secteur, souvent en association avec d'autres entreprises du secteur chimique comme Kuhlmann et l'Air Liquide, ou encore des compagnies pétrolières.
C'est la perspective de la production d'eau lourde à Mazingarbe qui est évoquée dans le reportage. Elle tire son nom du fait qu'elle est réalisée à partir d'un isotope lourd d'hydrogène nommé deutérium. Pour le général de Gaulle, il était important que la France se dote de sa propre source de production d'eau lourde, afin de garantir l'indépendance du programme nucléaire français. Le gouvernement ayant choisi un autre système que celui de l'eau lourde (celui des réacteurs à eau pressurisée utilisé dès 1975 pour le lancement du grand programme d'équipement en centrales nucléaires), l'usine ouverte en 1967, cesse de fonctionner dès 1972. Néanmoins, c'est un Bassin minier pleinement tourné vers de nouvelles industries à technologie avancée qui est représenté dans ce reportage.