Messe en langue bretonne dans les Côtes du Nord

08 décembre 1965
08m 34s
Réf. 00035

Notice

Résumé :

Le Concile Vatican II officialise l'usage des langues régionales lors des offices. Le Recteur Le Floch, prêtre à Louannec, emploie le breton durant les messes et les cérémonies religieuses telles que les mariages ou les enterrements.

Date de diffusion :
13 mai 1966
Date d'événement :
08 décembre 1965
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

L'usage de la langue bretonne par le clergé était ancien et son emploi pour le catéchisme avait fait l'objet de longues luttes entre les autorités républicaines et les autorités religieuses, du Finistère surtout. Dans les années 1950-1960, dans les régions rurales bretonnantes, les prêtres utilisaient le breton lors de la messe pour le sermon et les cantiques.

La nouveauté est que la partie de la messe jusque-là dite en latin, est dite désormais en breton. La chasuble du prêtre n'est plus bordée d'or mais blanche avec un motif symbolique, ici une broderie bretonne. La Bretagne applique les réformes du Concile qui vise à rendre plus sobre les cérémonies religieuses.

L'annonce en janvier 1959, par le nouveau pape Jean XXIII, de la convocation d'un Concile œcuménique est un véritable choc. Connu sous le nom de Vatican II, il se tient du 11 octobre 1962 au 8 décembre 1965 (sous l'égide de Jean XXIII, puis de son successeur Paul VI). Cette réunion extraordinaire, la vingt-et-unième du genre dans l'histoire ecclésiastique de l'Occident, réunit plus de 2 500 pères conciliaires venus du monde entier.

Cet aggiornamento - ou "mise à jour" - rompt avec les décennies précédentes : l'Eglise, alors, sanctionnait tout ce qui était soupçonné de modernisme, puis de progressisme. L'objectif du Concile est ainsi défini par le pape : il ne s'agit pas de combattre une erreur ou de condamner une hérésie, mais de pousser l'Église à une réflexion sur elle-même, à un retour aux sources de la foi, pour lui permettre d'engager un dialogue fructueux avec son temps.

Outre une ouverture au-delà du catholicisme (avec les chrétiens, non-chrétiens, non-croyants), Vatican II tente également une refonte de ses propres règles. Celle-ci se traduit par une modification liturgique dans le sens d'un rapprochement entre les clercs et les laïcs : les prêtres ne doivent plus tourner le dos aux fidèles lors de la messe, ils doivent quitter leur soutane pour se fondre dans dans la société. Et surtout, il y a un abandon de la messe en latin au bénéfice des langues vernaculaires, c'est-à-dire parlées par les fidèles.

Les effets au quotidien semblent importants : la messe est profondément changée ; il existe un meilleur dialogue entre les prêtres et les fidèles. Paradoxalement, la pratique religieuse s'effondre littéralement, l'unique cause n'étant pas Vatican II puisque la déchristianisation a commencé bien avant. Quels sont les échos de ce Concile en Bretagne ? Dans les années 1950/1960, face à une masse de fidèles passifs, dans le cadre des mouvements d'Action catholique, se développe tout un courant de militants, prêtres et laïcs, porteur de renouveau. Avec le Concile de Vatican II, c'est toute l'Église qui est concernée et invitée à suivre la même voie, à renouveler les pratiques religieuses, à ouvrir l'Église au monde.

En Bretagne à la fin du Concile, la pratique religieuse, qui pouvait dépasser 80% dans les campagnes mais était de 25 à 30% dans les villes pendant les années 1950, diminue considérablement. Ce déclin paraît d'autant plus spectaculaire que l'on avait affaire à une région de forte pratique religieuse jusqu'à cette période. En Bretagne, comme ailleurs et peut-être plus qu'ailleurs, l'Église, la communauté des fidèles ont été secouées par les transformations nées du concile de Vatican II qui a tenté, avec des réformes internes, de véritablement séculariser l'Église, de l'ancrer dans son temps.

Maud Moulin

Transcription

(Musique)
Commentateur
Au-delà de cette procession d'entrée et des gestes rituels, les aspects extérieurs de la messe sont familiers à beaucoup. Beaucoup aussi dans les Côtes du Nord, Morbihan, Finistère, écoutent tout naturellement les offices en langue bretonne. Mais savez-vous que pour les fidèles du reste de la France, c'est très inattendu ? Or le Concile Vatican II vient d'autoriser un usage plus répandu, non plus du latin, langue universelle, mais des langues vulgaires, l'expression n'a rien de péjoratif, des langues du pays. Pour la langue bretonne, qui a t-il de changé ?
Le Recteur Le Floch
Bien sûr, cela change quelque chose en Bretagne comme ailleurs.
Journaliste
Pourtant, je crois que vous dite la messe en breton déjà depuis des années.
Le Recteur Le Floch
Depuis des années oui, en ce sens ci que tout au moins nous disions certaines parties de la messe en breton, en particulier l'Evangile. Et nos cantiques également étaient des cantiques populaires en breton, utilisant souvent les mélodies grégoriennes. Et cela depuis les recueils les plus anciens que nous connaissons de cantiques. On voit que les Recteurs avaient adapté des paroles bretonnes sur les hymnes liturgiques, latins, grégoriens. Si bien que pour nous, ce n'est pas tout de même, une innovation complète. Et en plus, la lecture de l'Evangile en langue bretonne a amené nécessairement et facilement, une homélie sur le texte ou bien sur une partie du texte tout au moins. Exactement ce que nous faisons à l'heure actuelle.
Journaliste
Et alors tout cela était d'accord implicitement d'accord avec la hiérarchie parce que il n'y avait pas...
Le Recteur Le Floch
C'est évident.
Journaliste
... il n'y avait pas de décision conciliaire.
Le Recteur Le Floch
Non, y avait pas de décision conciliaire. Mais une décision conciliaire vient souvent sanctionner des choses qui se font depuis des années et des années et des temps.
(Messe)
Journaliste
Mais alors M. le recteur, ce que vous chantiez en français, vous allez le chanter en breton maintenant, au moins certaines parties. Il va donc falloir trouver une mélodie.
Le Recteur Le Floch
Oui. Des mélodies, nous pouvons utiliser les mélodies grégoriennes assez facilement.
Journaliste
C'est-à-dire chanter en breton sur du grégorien.
Le Recteur Le Floch
Sur du grégorien. Les anciens le faisaient déjà, nous continuions tout simplement leurs traditions. Des essais viennent d'être faits utilisant des mélodies grégoriennes comme par exemple, nous avons adapté des paroles bretonnes aux mélodies de la messe des morts pour les enterrements et il semble que ça donne un résultat très satisfaisant. Mais nous pourrons également utiliser des mélodies populaires anciennes et de ce côté là, nous ne faisons que reprendre ce qu'on fait les cantiques tout au cours de leur histoire aussi. En plus, on peut inventer des mélodies nouvelles.
Journaliste
Oui, ça, ça n'a pas été jusqu'ici très heureux, semble t-il.
Le Recteur Le Floch
En Bretagne tout de même, on peut dire que ce qui a été inventé, est un peu de qualité supérieure à ce qui a été mis pour des paroles françaises et des cantiques français. Parce que nous avons une tradition musicale à nous.
(Messe)
Commentateur
Ici au prône, le recteur s'adresse aux fidèles dans la langue qu'il emploie sur la place ou dans les rues du bourg. Les avis de la semaine, les conseils, les recommandations, il demande ici par exemple de prier pour les Bretons morts chez eux, en mer, au travail. Et bien tous ces avis sont faits tout naturellement en breton.
(Messe)
Journaliste
M. le recteur, comment utilisez-vous la langue bretonne en dehors même de la messe ?
Le Recteur Le Floch
En dehors de la messe, j'ai l'occasion de l'utiliser pour à peu près tous les actes du ministère. Depuis le baptême jusqu'aux enterrements. Les baptêmes se font suivant que le désirent les gens en breton ou en français. Mais souvent, il m'arrive de faire les baptêmes en breton.
Journaliste
Les mariages aussi ?
Le Recteur Le Floch
Les mariages aussi, la même chose. Non seulement les mariages mais les enterrements. A peu près... 19 sur 20, là. Les extrêmes onctions à peu près la même chose. A peu près 19 extrêmes onctions sur 20, à peu près toutes. Egalement, les veillées des morts parce que à chaque enterrement, la veille, c'est l'habitude ici de faire une veillée dans la maison mortuaire. Les gens du quartier se réunissent, nous disons les prières traditionnelles. Puis ensuite, je lis des cantiques traditionnels ou des textes de l'écriture sainte. Et pour ce qui est des cantiques, alors les gens disent avec moi, récitent avec moi les cantiques traditionnels, en particulier, y a un cantique qui est très connu, le cantique du paradis qui a été composé sans doute par Michel Le Nobletz au 17ème siècle. Ce cantique est très connu, très apprécié des gens et souvent les gens pleurent en le récitant. Ce n'est pas, ce n'est pas...
Journaliste
Ils le récitent avec vous ?
Le Recteur Le Floch
Ils le récitent avec moi, oui. C'est une mélodie qui est très belle. Dans le Tréguier, nous la chantons de façon un peu différente du Finistère. Voici la mélodie.
(Musique)