Bernard Lambert, porte-parole du syndicat des Travailleurs Paysans

19 janvier 1983
02m 50s
Réf. 00096

Notice

Résumé :

Bernard Lambert dénonce la politique agricole menée depuis la Seconde Guerre mondiale. Les élections des Chambres d'Agriculture sont pour lui l'occasion de donner la parole aux paysans et de remettre en question ce système.

Date de diffusion :
19 janvier 1983
Source :
FR3 (Collection: Rennes soir )
Personnalité(s) :

Éclairage

Orateur, homme de contact, idéaliste et batailleur, Bernard Lambert est une figure du syndicalisme paysan français, d'abord en tant que secrétaire général de la FDSEA en 1965, puis après son éviction, en tant que leader du syndicat des Paysans-travailleurs et de la Confédération nationale des syndicats de travailleurs paysans (CNSTP). Plus qu'une figure, son itinéraire incarne l'évolution d'une fraction de la paysannerie bretonne du catholicisme social vers le socialisme. Avec son ouvrage Les Paysans dans la lutte des classes, publié en 1970, il devient l'un des porte-parole et théoricien de l'agriculture socialiste et de la lutte des classes dans la paysannerie.

En savoir plus :

Fils de métayer, il est né en 1931 dans le département de Loire-Atlantique. Vers 1948, il entre à la JAC (Jeunesse Agricole Catholique) et devient rapidement responsable départemental. Fondée au début des années 1930, la JAC est d'abord vouée à une élite spirituelle et missionnaire. Largement associée au processus de modernisation, tant des équipements que des mentalités agricoles, la JAC se mue en organisation de masse, au cours des décennies 1940 et 1950. En 1951, Lambert reprend la ferme familiale, associé à son frère. À partir de 1954, il devient le responsable national de la JAC. En 1956, à l'instar des principaux animateurs nationaux de la JAC, il décide d'entrer au CNJA (Centre national des jeunes agriculteurs) et devient secrétaire général adjoint (1956-1958) de ce groupe paysan très efficace en Bretagne.

Il est élu député sous l'étiquette MRP (Mouvement républicain populaire) de la circonscription de Châteaubriant de 1958 à 1962. Il est battu aux élections législatives de 1962 par une large coalition de droite. Aussi en 1963, il intègre la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d'exploitants agricoles) de Loire-Atlantique, entre à son bureau en 1964 et en devient le secrétaire général en 1965. Le syndicalisme agricole en Bretagne est encore au milieu des années soixante un syndicalisme unanime. Cependant, face aux difficultés d'une agriculture en modernisation accélérée et en restructuration permanente, la période de mai-juin 1968 laisse des traces dans l'unanimisme syndical. En effet, en quelques années l'agriculture bretonne a opéré une véritable révolution. Or, à la fin des années 1960, le bilan ne répond pas à tous les espoirs. Les écarts sociaux se creusent au sein même du monde paysan. En analysant la nouvelle situation économique et sociale, certains dirigeants syndicalistes restent fidèles au modèle productiviste et favorables à une concentration rapide des exploitations, en accord avec la FNSEA. Bernard Lambert, qui adhère au PSU (Parti socialiste unifié) en 1966, incarne quant à lui le modèle agricole social et respectueux de l'environnement. Avec son ouvrage Les Paysans dans la lutte des classes, écrit en 1969, il devient l'un des porte-parole et théoriciens de l'agriculture socialiste et de la lutte des classes dans la paysannerie.

Évincé du conseil d'administration de la FNSEA, il fonde un nouveau courant syndical, original et radical, celui des Paysans-Travailleurs. S'organisant en syndicat autonome, loin de la tutelle de la FNSEA, celui-ci se structure progressivement entre 1969 et 1972. L'action revendicative de ces derniers est virulente (manifestations, marches, grèves...). Dans l'ensemble, le courant des Paysans-Travailleurs ne représente cependant qu'une minorité du monde agricole. Les espoirs révolutionnaires s'estompant vers la fin des années 1970, les Paysans-Travailleurs esquissent un rapprochement avec d'autres formations syndicales voisines, ce qui aboutit à la création le 4 juin 1981 de la CNSTP (Confédération nationale des syndicats de travailleurs paysans). Minoritaire dans le collège des exploitants lors des élections aux différentes Chambres d'Agriculture bretonne en 1983, on constate que le courant contestant le mode de production dominant, dont Bernard Lambert s'était fait un des chantres, ne va cesser de s'amplifier dans les années suivantes.

Ce dernier, décédé accidentellement en 1984, ne pourra assister à la réunification en 1987 de la CNSTP et des FDSEA contestataires qui vont dorénavant constituer la Confédération paysanne. Trouvant ses origines dans des syndicats contestataires et minoritaires créés au cours des années 1970-1980, la Confédération paysanne est aujourd'hui le deuxième syndicat agricole représenté dans les Chambres d'Agriculture française.

Fabien Lostec

Transcription

Louis Marie Davy
Bernard Lambert, ces élections à la chambre d'agriculture, aux chambres d'agriculture de 83 représentent-elles un enjeu nouveau par rapport aux précédents scrutins ? Assurément, elles représentent un enjeu nouveau, je pense principalement pour les paysans.
Bernard Lambert
Finalement, les paysans dans ce pays depuis 1940, la création des syndicats locaux par Vichy, la corporation paysanne, les paysans n'avaient pas la possibilité de s'exprimer. Ils étaient contraints de subir finalement le déménagement de la campagne et dieu sait s'il y en a eu des paysans déménagés et pour ceux qui restaient d'entrer dans le cycle infernal, endettement, surtravail, travail 365 jours par an sauf une fois tous les 4 ans. Il y en a un de plus. Et d'être non pas au paradis du progrès technique mais au bagne des travaux forcés quasiment. Aujourd'hui, ils vont pouvoir au travers des organisations qui présentent des listes, dire «non», on en veut plus, il y a une autre politique possible et s'exprimer en votant.
Louis Marie Davy
Les chambres d'agriculture, c'est un outil important à conquérir pour vous, travailleur paysan ? La conquête interne des chambres d'agriculture est une chose, ce n'est pas négligeable, assurément, on y insufflerait une autre orientation. Mais, l'essentiel, je prends le développement, le productivisme à outrance, qui est anti-économique très souvent, l'essentiel comme les chambres d'agriculture y jouent un grand rôle, c'est de remettre ça en cause. Il est probable que le lait, par exemple, avec davantage de production de notre sol, et moins de soja qu'on importe... bien sûr des Etats-Unis mais aussi du Tiers Monde, en affamant le Tiers Monde. L'Europe, pour nourrir ses veaux, ses vaches, ses cochons et ses couvées, accapare dans le Tiers-Monde 13 millions d'hectares à l'heure actuelle, mais, soja, manioc, etc… Est-ce que ça peut durer ? Je pense à tout ça. On est capable de porter un souffle nouveau et les paysans peuvent dire à ceux qui ont dirigé l'agriculture depuis 20 ans, ça toujours été les même dans les départements et plus ça change et plus c'est pareil jusqu'à maintenant... Peuvent dire, «non», cette politique qui nous conduit à un cul-de-sac, on en veut une autre. C'est l'occasion de s'exprimer, s'exprimer autrement et nous de dire ce qu'on est.
Inconnu
Il y en a peut-être quelques uns qui n'oseront pas faire le choix dans le premier temps mais les idées qui sont semées germeront et je suis sûr que les paysans réclameront une autre politique que celle qu'ils ont subie ou qu'ils n'ont pas construit, ils l'ont subie, elle leur a été imposée.