Le quartier de Cleunay à Rennes

05 novembre 1981
10m 24s
Réf. 00389

Notice

Résumé :

Cité d'urgence créée en 1954 pour loger les plus démunis, le quartier de Cleunay à Rennes a mauvaise réputation. Ses habitants apprécient différemment leur logement et le voisinage. Un collectif s'est cependant créé pour préserver le quartier.

Type de média :
Date de diffusion :
05 novembre 1981
Source :
FR3 (Collection: Terroir 22 )

Éclairage

Le 1er février 1954, suite à un hiver particulièrement rude ayant entraîné la mort de sans-abri, Henri Grouès dit l'abbé Pierre lance un appel à la radio. Celui-ci, entendu dans toute la France, suscite un important mouvement de générosité. La communauté d'Emmaüs, créée en 1949, reçoit alors beaucoup de dons. De son côté, le gouvernement répond à l'appel de l'abbé Pierre en créant les "cités d'urgence" afin de loger les plus démunis et en lançant les logements "millions", des habitations dont le coût de construction ne devaient pas dépasser un million de francs de l'époque. Le 8 février, le premier chantier est lancé au Plessis-Trévise (commune du Val-de-Marne). En quelques mois, 250 petites maisons individuelles sont construites dans la "Cité de la Joie".

En Bretagne, la municipalité de Rennes réagit elle aussi très rapidement. En 1954, une cité d'urgence de 93 logements, une des premières de France, est construite dans un quartier excentré par rapport au centre-ville, celui de Cleunay. Les logements sont réalisés selon les plans de l'architecte Georges Maillols. Conçus comme de petites maisons individuelles, ils comprennent une entrée aménagée en cellier, un séjour, une chambre et un WC. Ils sont équipés d'un évier, d'un WC à la turque, d'une douche à l'eau froide avec la possibilité d'obtenir l'eau chaude grâce à un raccordement et d'une prise de courant pour tout le logement. Parallèlement à ces habitations, 1000 logements "millions" sont construits entre 1954 et 1960 sur une surface totale de 30 hectares. Vingt cinq ans plus tard, les logements d'urgence de Cleunay, au départ provisoires, sont devenus permanents. Au cours de ces années, la cité a évolué et les logements se sont dégradés. En 1982, un projet de reconstruction par tranches est lancé sous l'impulsion de l'opération nationale "Habitat et vie sociale". Ce projet prévoit la réhabilitation de la plupart des logements devenus vétustes mais aussi de nombreuses actions encourageant l'insertion professionnelle des jeunes, effaçant ainsi l'image de délinquance que la cité a longtemps véhiculé. Désormais, dans le quartier de Cleunay, les petites maisons ont cédés la place aux appartements.

En France, la dernière cité d'urgence à Gretz-Armainvilliers (en Seine-et-Marne) est sur le point de disparaître. Sa destruction est prévue pour 2010.

Jennifer Gassine

Transcription

(Silence)
Journaliste
On l'appelle Pierrot le facteur. C'est familier, c'est bonhomme, c'est tout à fait dans l'esprit de la cité. Remarquez, 16 ans de service dans le même quartier, cela tisse pas mal de liens. Donc, pour les gens d'ici, Pierrot fait partie des meubles.
Pierrot
Monsieur [incompris], ça va bien ?
Habitant
Ça va.
Pierrot
La petite dernière de France, on va se mettre à tricoter maintenant ? Hé, pourquoi pas, et Ouest-France !
(Musique)
Journaliste
A dire vrai, l'histoire de cette cité débute avec les hivers 1953 et 1954. Durant ces deux saisons, le thermomètre va geler partout en France, plongeant ainsi les mal-logés dans un habitat de courants d'air glacés. Les journaux de l'époque parlent de bébés mordus par les rats et de vieux qui meurent de froid. L'opinion va s'émouvoir. A Rennes, la municipalité, les commerçants, l'Eglise avec, en tête, le fameux Abbé Pierre lancent une opération de relogement en faveur des plus déshérités. La cité d'urgence est née. Elle sera installée en périphérie de Rennes, dans le quartier de Cleunay.
(Bruits)
Journaliste
Depuis, 25 années ont passé. Les 140 logements que l'on disait provisoires sont toujours debout. Les maisons n'ont pratiquement pas changé d'allure. Le confort, dans l'ensemble, demeure rudimentaire, spartiate : pas d'isolation et des douches installées au-dessus des WC à la turque. La cité tout de même possède deux atouts non négligeables, surtout à la belle saison. D'abord, un habitat de plain-pied, quasiment individuel. Mais également un jardinet qui sert, selon les cas, de débarras, de potager, de basse-cour ou encore de chenil.
(Silence)
Journaliste
Il y a beaucoup de bêtes en effet à la cité de Cleunay. A croire que c'est le paradis des animaux, à défaut d'être celui des hommes. Pour les 250 habitants, la cité, ce peut être le meilleur ou le pire. Chacun, comme l'on dit, voit midi à sa porte, et vous allez constater que le soleil ne brille pas de la même façon pour tous. Chez les Lievy, c'est la grisaille qui l'emporte.
Josiane Lievy
En chauffage, c'est désastreux et dans les cheminées il pleut, il n'y a pas de prise de terre, peut-être éventuellement un chauffage électrique qui coûterait les yeux de la tête. Autrement je ne vois pas du tout par quel moyen chauffer parce que tout est pourri là-dedans et puis c'est très humide. Je vois dans ma chambre, il pousse même des champignons le long du téléphone. Il y a des tuiles qui s'en vont, il pleut à la maison régulièrement.
Journaliste
Alors si je comprends bien l'intérieur ici, bon, est déplorable. C'est ce que vous dites. Alors est-ce que votre voisinage, vous le jugez de la même manière ?
Josiane Lievy
En règle générale, en ce qui me concerne, oui, personnellement oui. Je trouve que l'entourage est vraiment spécial.
Journaliste
Qu'est-ce que vous entendez par spécial ?
Josiane Lievy
Spécial, c'est-à-dire pas bon à fréquenter. Les histoires, trop de copinage, ce genre chose. Les gens aiment, ici, se retrouver entre eux. Il n'y a pas mal de gens qui boivent. Le chômage sévit beaucoup dans la cité. Alors ces gens-là se retrouvent entre eux. Ca se termine souvent avec descente de panier à salade parce qu'il y a des bagarres. Et puis après, ils se battent ensemble puis après ils redeviennent copains et ce n'est pas du tout mon genre d'ambiance. Et je ne fréquente strictement personne.
Journaliste
La cité ou la rue. C'était en 1955. Armel et Virginie Luton cherchaient à se loger. Cleunay ne les emballait mais ils n'avaient pas le choix. Aujourd'hui, après avoir eu 6 enfants, ils nous ont avoué qu'ils ne voudraient plus en repartir car c'est dans cette maison qu'ils ont bâti leur vie.
Armel Luton
A l'intérieur, on a été obligé de faire quelque chose à l'intérieur parce que, vraiment, le travail n'était pas fini quoi. Et l'extérieur, il y a [incompris].
Journaliste
A l'intérieur, qu'est-ce que vous avez fait vous, monsieur ?
Armel Luton
C'est-à-dire on a plâtré, on a refait le ciment dans le couloir, alors on a tapissé, on a modifié bien des trucs. Le plafond, on a mis de l'isorel mou.
Journaliste
Et tout ça à votre charge ?
Armel Luton
Tout ça à notre charge, peinture à notre charge, tout à notre charge, tout l'intérieur à notre charge.
Journaliste
Alors sur le plan du voisinage, comment vous vous êtes intégré ici dans la cité ? Aujourd'hui vous avez de bons voisins, vous vous entendez bien ?
Virginie Luton
Pour l'instant on n'a pas ici, en face il n'y a plus personne.
Journaliste
Je veux dire dans la cité en général ?
Virginie Luton
Ah, dans la cité oui. Parce que, vous savez, nous, on ne fréquente pas beaucoup. Si, bonjour, bonsoir, nous sommes bien avec tout le monde mais enfin pas pour fréquenter les gens beaucoup. Il y a surtout depuis que je je fais partie du membre des collectifs que je fréquente davantage les gens du coin. A un moment, je ne connaissais même pas les gens surtout [squaracoufra]. Je ne connaissais pas beaucoup de gens.
Journaliste
Et du temps ou vos enfants étaient un peu plus jeunes, donc ils avaient des copains ou des copines ici, est-ce que ça défilait à la maison ? Comment ça se passait ?
Virginie Luton
Non, jamais. On a toujours un peu aimé la tranquillité. Ils avaient leurs amis mais alors en dehors.
Journaliste
La télé ronronne doucement. Dans leur cage, les oiseaux jouent à pigeon-vole. Sur le tapis, le chien se fait un brin de toilette. Et sur une banquette, deux enfants regardent les émissions du mercredi. Ce jour-là chez Antonio et Pierrette Anselmi, la maison est bien paisible, chacun apprécie son chez soi. Est-ce que vous êtes accoutumé, j'allais dire, à l'inconfort de votre habitation ?
Pierrette Anselmi
Oh oui. Moi, c'est pareil : j'ai connu ce que mon mari a connu, pas dans le même quartier mais c'est pratiquement la même chose. Moi j'habitais au camp des nomades, mon mari habitait au camp [incompris] vous voyez ? Alors, on a retrouvé quand même, sensiblement la même chose.
Journaliste
Mais avouez tout de même que ce n'est pas très pratique pour nettoyer le linge, pour les petites commodités quotidiennes ?
Pierrette Anselmi
Non, bien sûr mais il y a autre chose à côté de ça. On s'y habitue de toute façon.
Journaliste
Cette autre chose dont vous parlez, qu'est-ce que c'est alors ?
Pierrette Anselmi
Le voisinage, l'encadrement. On est bien, on n'est pas comme en HLM.
Journaliste
Vous avez vécu, je crois, en HLM quelques années ?
Pierrette Anselmi
Oui, on a vécu quelques années en HLM. C'est sûr que le confort était là. Nous, ça nous apportait beaucoup parce que les enfants étaient petits. Dès que les enfants ont commencé à marcher, mon mari me dit... On n'était pas d'accord au début de retourner dans la cité, c'est vrai, et puis j'avais fait une demande comme ça, à tout hasard, et puis ça a marché. J'ai dit à mon mari : "Ca y est, on a une maison, on est accepté dans la cité", et depuis, on ne la donnerait pas pour tout l'or du monde.
Antonio Anselmi
Je ne sais pas ce que vous appelez délinquance, étant donné qu'il n'y a eu jamais de cas comme il se passe en ce moment à Lyon par exemple. Il n'y a jamais eu de ces problèmes là. Si, il y a eu quelques disputes, il y a eu, entre jeunes, entre anciens, ça, ça a toujours existé ça.
Pierrette Anselmi
Oui, mais la délinquance, elle-même, non.
Antonio Anselmi
Il n'y a jamais eu de délinquance. Effectivement, disons qu'ils sont un peu plus calmes à l'heure actuelle qu'on l'était.
Pierrette Anselmi
Parce qu'il n'y a plus de jeunes, il y a beaucoups moins de jeunes, c'est tout.
Journaliste
C'est vrai qu'il y a moins de jeunes aujourd'hui dans la cité. Le vieillissement des habitants, les départs vers des horizons plus dorés, tout cela fait que le quartier est beaucoup plus calme que dans les années 65, les années chaudes comme on nous a dit. L'amélioration de cette situation, on le doit, en partie, à l'environnement des travailleurs sociaux. Qu'ils viennent de la MJC, du centre social, de la Maison des familles, du Relais, tous ont contribué à effacer cette image de délinquance qui a si longtemps collé à la peau de la cité.
Jean-Yves Richaudeau
Ça fait 10 ans que je suis ici, je n'ai jamais eu d'histoire avec qui que ce soit. Je pense qu'on se trouve en face de gens qui n'ont pas eu beaucoup de chance et puis qui subissent peut-être plus que d'autres la vie sociale actuelle. Je pense que, par exemple, il y a beaucoup de jeunes au chômage et puis ce qu'on fait avec eux, c'est les aider à trouver un boulot qui corresponde à ce qu'ils peuvent faire.
Journaliste
En un quart de siècle, la cité d'urgence s'est également forgée une mémoire, une histoire ou du moins, des histoires. Cette proximité sociale a fait naître une conscience de classe très vive. Ce qui fait que Cleunay est devenu un point d'enjeu idéologique. Que fallait-il faire, en effet, des habitations qui se délabraient ? Fallait-il tout raser, et reconstruire ailleurs, au risque de déchirer le tissu social ? Ou bien fallait-il réhabiliter les logements au risque, cette fois-ci, d'enfermer une population qui cumule déjà pas mal de handicaps ? Finalement, c'est une solution intermédiaire qui a été prise. La cité sera reconstruite par tranche et sur place, du moins pour une grande part.
Louis Gruel
Je crois que le risque plutôt, si cette population était dispersée, c'est qu'elle continue d'avoir les difficultés, par exemple, financières qu'elle peut avoir actuellement, mais qu'en se trouvant dans des logements plus chers avec une population qui est différente, des gens qu'elle va trouver, je crois, plus fiers, des gens qui n'apprécieront pas la façon dont les enfants jouent ou font du bruit, avec une sorte de rapport de force entre des groupes qui n'ont pas la même culture, qui n'ont pas eu la même histoire, qui ne se connaissent pas, qui sont d'abord des étrangers, cela aggrave peut-être les problèmes plutôt que de contribuer à les résoudre.
Danièle Vandergucht
On essaie d'établir avec les gens aussi... on essaie de recenser toutes les questions qui se posent au sujet de leur groupe d'habitation ou bien au sujet du quartier plus en général, et on essaie de résoudre ça avec eux, et directement auprès des offices.
Journaliste
Sans vous, l'opération n'aurait pas pu se faire ?
Simone Guillout
Si, elle aurait pu se faire sûrement. Pas dans le même contexte.
Line Bouter
Je crois que, déjà, le fait que déjà en tant que collectif, on a demandé, la fameuse étude sociologique qui s'appelait écho d'un village ouvrier, je crois que cette étude, elle a contribué, quand même, à faire connaître la municipalité, un petit peu le mode de vie des habitants etc.
Danièle Vandergucht
Et puis, il y a encore une autre chose qu'il faut dire, c'est que le rôle du collectif justement, il est surtout de faire que dans cette opération HVS, enfin opération Habitat et Vie Sociale, les habitants ne soient... enfin la dimension humaine du problème ne soit pas mise de côté.