Les années 70 : l'aisance conquise et l'ouverture sociale
Introduction
Après les années de recherche et de théorisation, c'est l'euphorie de la composition qui domine, favorisée par le développement récent des synthétiseurs. En France, les grandes révisions de 68 tombent à point. Elles ont comme conséquence en musique un profond appétit de nouveauté. Des classes sont créées, des studios s'ouvrent dans les régions; les amateurs peuvent composer; l'éveil musical fait entrer la création concrète dans les écoles.
L'ouverture sociale
Son Traité des objets musicaux à peine achevé, Schaeffer consacre son énergie à l'audiovisuel et à la communication au sein du Service de la Recherche de l' ORTF, service qu'il a créé en 1960. Les compositeurs du GRM, dirigé alors par François Bayle, se sentent libres de composer à leur guise, déchargés de leur tâche de solfégistes du sonore. Ils produiront beaucoup dans cette décennie, et des œuvres marquantes et novatrices. Les dispositifs de synthèse – et au GRM les équipements de synthèse du studio 54 étudiés par Francis Coupigny – offrent la possibilité de créer des flux sonores continus que la main contrôle, mais ne produit pas. La musique des décennies précédentes était dominée par les techniques du montage et du mixage. On voit apparaître davantage de processus évolutifs, et des œuvres plus longues (comme l' Expérience Acoustique de François Bayle).
Mais c'est peut-être sur le plan social que cette période apporte l'ouverture la plus visible. Depuis déjà plusieurs années le public, avide d'une vraie nouveauté, afflue aux concerts de musique électroacoustique. 68 renforce cette vague porteuse. Tout devient possible : le concert couché de Pierre Henry au Sigma de Bordeaux ; la Nuit Blanche avec le GRM, où se côtoient musiques sur bande, improvisées, ethniques... Depuis déjà quelques années la musique pop emprunte certains outils et procédés à la musique électroacoustique; mais c'est réciproque : Pierre Henry a composé sa Messe de Liverpool avec les Spooky Tooth . Bayle fera It, etc. Rapprochement qui se confirmera jusqu'à la Techno.
François BAYLE, L'expérience acoustique : It
L'expérience du titre est à entendre dans le double sens d'expérimental et d'épreuve. Il s'agit d'explorer la richesse des perceptions sonores, et de jouer sur les différents registres de ces perceptions. À ce titre, le questionnement qui sous-tend toute l'entreprise est celui de la correspondance entre l'extériorité et le pouvoir des phénomènes sonores et l'intériorité de l'écoute (disponibilités et comportements face à eux).
Ce n'est certainement pas au Conservatoire de Paris que la tempête de mai 68 aura été la plus violente, mais elle aura facilité la création d'une classe de musique électroacoustique, confiée à Schaeffer et au GRM . Après deux ans de stage, les étudiants rejoignent leurs provinces ou leurs pays respectifs et certains fondent des studios, qui eux mêmes accueillent des apprentis compositeurs. Leur nombre croît exponentiellement, à la faveur de l'apparition sur le marché de synthétiseurs et magnétophones accessibles à des associations. La création, réservée jusque-là à un petit nombre, s'ouvre aux amateurs, et même aux enfants, sous forme "d'Eveil musical"; on constate qu'explorer concrètement des sources sonores, c'est ce qu'ils font depuis le berceau !
En France notamment, l'aide publique favorise le développement de centres de Recherche Musicale : Bourges, Marseille, le CEMAMu de Iannis Xenakis ... Le dernier mais non le moindre est l' Ircam, créé par Pierre Boulez, Institut qui stimulera considérablement la recherche en informatique musicale qui vient d'atteindre sa maturité et dominera la décennie suivante.
(date de rédaction : 1999)