Eccentric abstraction
Introduction
En 1966, Lucy Lippard publie un article dans la revue Art International qui commente et accompagne une exposition dont elle est commissaire, à la Fischbach Gallery à New York : " Eccentric Abstraction ". Les termes du titre sont soigneusement choisis et n'ont pas perdu de leur efficacité. " Excentrique " : déviant, différent, selon des règles qui ne sont pas elles-mêmes réductibles à un principe... " Abstraction " : un des " canons " de la modernité qu'une nouvelle critique d'art nous propose alors de relire... L'argument du projet démontre à posteriori que les artistes femmes ont été et sont essentielles dans la redéfinition et l'ouverture des catégories visuelles et théoriques au XXe siècle. Entre l'abstraction et la figuration, l'organique et le systémique, le conceptuel et le sensuel, à la fois " visuelles, tactiles et viscérales ", elles réalisent des œuvres avec de nouveaux matériaux, à partir de nouvelles stratégies pour peindre, sculpter, photographier et bâtir. Des gestes, parfois simples, comme plier, accumuler, mordre, malaxer, prendre, faire et laisser faire [...] révèlent d'extrêmes tensions qui jouent souvent sur l'imperceptible, ouvrant sur de nouveaux questionnements du réel, de nouveaux espaces singuliers de la pensée.
Chronologie
**1966 ** : Lucy Lippard conçoit l'exposition " Eccentric Abstraction " à la Fischbach Gallery¸ New York. Dans un article publié dans la revue Art International, elle expose parallèlement ses théories et défend une abstraction autre que minimale, incluant des paramètres liés aux émotions, à la sensualité. Plusieurs artistes femmes, dont Louise Bourgeois, Eva Hesse, Alice Adams, sont engagées dans cette tendance. 1975 L'exposition " Fundamental Painting " au Stedelijk Museum, Amsterdam, propose une vision européenne de l'art minimal. Y participent Agnes Martin, Edda Renouf, Marthe Wéry.
**1976 ** : Aline Dallier organise l'exposition " L'espace cousu " à l'Unesco, Salles des Actes, Paris, consacrée aux œuvres sur tissu réalisées par des artistes femmes. Autour d'Aline Dallier et de Françoise Eliet, psychanalyste et peintre, se crée le groupe Collectif Femmes/Art (1976-1980).
**1977 ** : Le premier numéro de la revue Heresies publie " Feminist Abstract Art. A Political Viewpoint ", un article de Harmony Hammond qui témoigne des difficultés des artistes femmes dans un monde très masculin.
**1979 ** : L'Exposition " Grids. Format and Image in 20th Century Art " à la Pace Gallery de New York, proposée par la critique et théoricienne de l'art Rosalind Krauss, souligne la récurrence du thème de la grille dans l'art du XXe siècle. Cette exposition contribue de manière fondamentale à l'histoire critique de l'art.
**1994 ** : Le MoMA de New York présente " Sense and Sensibility. Women Artists and Minimalism in the 1990s ". La commissaire Lynn Zelevansky met l'accent sur l'importance de l'engagement des artistes femmes dans le post-minimalisme.
**1996 ** : Susan L. Stoops, avec la contribution de Kate Linker, Lucy Lippard et Anne M. Wagner, organise l'exposition " More Than Minimal. Feminism and Abstraction in the ‘70's " au Rose Art Museum, Brandeis University, Waltham (MA). L'exposition démontre l'influence de la production et de l'activisme des artistes femmes sur l'évolution de l'abstraction.
Grande galerie
Salle 12. Espace cousu
En 1976, Aline Dallier organise dans la salle des Actes de l'Unesco à Paris une exposition baptisée "Espace cousu", qui présente les œuvres d'artistes femmes autour du "travail d'aiguille" : "C'est la convergence dans les années 1960 de mouvements féministes à la recherche d'une culture de femme et des mouvements en faveur d'une valorisation du travail manuel qui fit des tisseuses, brodeuses, tricoteuses et couturières, des femmes culturellement visibles qui auraient désormais leur place dans une histoire des femmes. Dans le même temps, de jeunes plasticiennes à la fois actrices et témoins de cette situation opéraient une reprise historique des techniques et des matériaux artisanaux employés quotidiennement par les femmes, contribuant ainsi à assouplir la traditionnelle opposition entre culture et sub-culture, art et artisanat. Si les deux notions existent toujours séparément, elles sont désormais plus flexibles et c'est au lieu même de leur articulation que l'on commence à voir apparaître les marques d'une perception et d'une créativité “femme”." (Aline Dallier, octobre 1976).
Salle 13. Rouge est la couleur
> Rouge est la couleur du sang
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Rouge est la couleur de la douleur*
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Rouge est la couleur de la violence*
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Rouge est la couleur du danger*
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Rouge est la couleur de la honte*
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Rouge est la couleur de la jalousie*
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Rouge est la couleur des reproches*
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Rouge est la couleur des ressentiments*
Louise Bourgeois
Décapiter Méduse, poser sa tête sur le manteau de la Vierge. Ouvrir la terre, retrouver l'incandescence du feu, immoler des sorcières. Le sang coule, brûle, impur, putride, comme une humiliation, une damnation. À une époque où les femmes artistes interrogent l'identité du corps, face aux forces sociales, politiques ou psychologiques qui menacent son intégrité, le rouge est une puissance pouvant écorcher toute image, toute représentation du réel : depuis le trouble du désir le plus strident devant la beauté jusqu'à la plus déconcertante des cruautés, le rouge est la couleur.
" La forte présence des artistes femmes dans le monde de l'art contemporain est aujourd'hui un fait reconnu. Il est pourtant important de situer sa genèse dans le contexte des vastes révolutions sociales et culturelles menées par les Noirs, les gays, au nom du féminisme ou du postcolonialisme, qui se déroulent depuis les années soixante-dix et sont loin d'être terminées. "
Linda Nochlin, After the Revolution. Women Who Transformed Contemporary Art, Munich & London, Prestel, 2007
Salle 14. Géographie intérieure
La tension entre figuration et abstraction ainsi que leur point de rencontre sont particulièrement visibles dans les phénomènes naturels. Un paysage vu de loin ou au contraire le zoom sur un objet ; un mouvement décomposé, ralenti ou accéléré ; la construction par accumulation de cellules ; le rythme à la fois régulier et irrégulier d'une respiration, sont à la fois réels et abstraits. Croisement entre le monde extérieur et intérieur, l'œuvre d'art traduit souvent cette indétermination particulière ; ici elle la prend pour objet et la révèle : empreinte photographique, tracé du dessin, hasard de la tache peinte, tous ces gestes artistiques reposent sur un mélange de hasard et de calcul qui manifeste les structures profondes du monde qui nous entoure. Entre le sériel et le matériel, la représentation du monde passe par une répétition sans système que l'artiste se contente parfois de rendre visible .
" L'universalisme n'existe pas encore ; c'est un projet. Et sa réalisation passe par la dénonciation du faux universalisme : le principal obstacle à la réalisation de l'universalisme est constitué par ceux qui prétendent qu'il existe déjà. "
Christine Delphy, Classer, dominer. Qui sont les " autres ", Paris, La fabrique, 2008
Salle 14 bis. Grilles
Rosalind Krauss, dans la préface au catalogue de l'exposition "Grids", présentée à la Pace Gallery de New York en 1978, définit la grille comme un emblème de la modernité. Par son caractère géométrique, ordonné, la grille est anti-naturelle, anti-mimétique. Paradigme de l'anti-narratif et de l'anti-historique, elle est une structure minimale du sensible et de l'infini variable. Agnes Martin réalise dès le début des années 1960 des grilles régulières, constituées de lignes horizontales et verticales se croisant à angle droit, matière à une réflexion sur l'absolu. Hanne Darboven, lors de son séjour à New York entre 1966 et 1968, dessine aussi une série de grilles géométriques sur papier millimétré, fondées sur une stratégie de séquences et progressions. D'autre part, l'usage systématique d'une grille orthogonale caractérise le travail d'Aurélie Nemours.
" Peut-être est-ce une coïncidence, ou peut-être pas : de nombreuses femmes figurent parmi les artistes qui ont mis à profit les contraintes spécifiques de la grille pour en tirer une interprétation singulière. "
Lucy Lippard, "Top to Bottom, Left to Right", Grids, Institute of Contemporary Art, University of Pennsylvania, Philadelphie, 1972
Salle 34. Extrême tension
" L'abstraction est un vecteur de l'insolite beaucoup plus puissant que la figuration, et la sensation érotique se repaît de l'insolite. Bien qu'il soit trop tôt pour le dire, il est tout à fait possible que le courant de l'abstraction excentrique, ou quelque chose dans ce genre, soit le premier style à supplanter le surréalisme, au lieu de se contenter de développer les champs des arts plastiques où il a connu un relatif échec. L'avenir de la sculpture réside peut-être dans ces styles non sculpturaux. "
Lucy Lippard, "Eccentric Abstraction", Art International X/9, novembre 1966
Liste des artistes exposées
- Amer Ghada
- Asse Geneviève
- Bächli Silvia
- Baker Kristin
- Bontecou Lee
- Bour Bernadette
- Bourgeois Louise
- Celmins Vija
- Clark Lygia
- Darboven Hanne
- De Feo Jay
- Donovan Tara
- Fanchon Sylvie
- Frydman Monique
- Guilleminot Marie-Ange
- Hesse Eva
- Hessie
- Horn Roni
- Jaffe Shirley
- Jouve Valérie
- Khedoori Toba
- Kolárová Bela
- Kusama Yayoi
- Maglione Milvia
- Martin Agnes
- Méhadji Najia
- Mendieta Ana
- Molnar Vera
- Nemours Aurelie
- Soria Claude de
- Szapocznikow Alina
- Wéry Marthe
- Woodman Francesca
- Xenakis Mâkhi