La Puce à l'oreille de Georges Feydeau, mise en scène par Marcel Maréchal

11 mars 1985
05m 06s
Réf. 00377

Notice

Résumé :

Un extrait de la pièce, complété par une interview du metteur en scène Marcel Maréchal et de Luce Proby-Maréchal, psychiatre et conseillère dramaturgique, qui donne son point de vue sur la « folie Feydeau ».

Date de diffusion :
11 mars 1985
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Fiche CNT :

Éclairage

Raymonde soupçonne son mari, M. Chandebise, de la tromper en se fourvoyant dans des aventures galantes à l'hôtel du « Minet-Galant ». Elle entreprend de le démasquer en se faisant passer pour la maîtresse supposée et en convoquant son mari à un rendez-vous dans ce fameux hôtel. Mais Chandebise avoue à son médecin, Finache, qu'il se détourne de madame parce qu'il souffre de « pannes » et décide d'envoyer à sa place Tournel qui, Chandebise ne le sait pas, est follement épris de sa femme. Le jeu des circonstances et des prétextes fait que tous se retrouvent à l'hôtel du Minet-Galant. Cet hôtel a la particularité de disposer de chambres avec des « lits sur tournette » : au cas où la police débarquerait, il suffit aux amants surpris de presser sur un bouton pour que leur lit disparaisse derrière le mur et soit remplacé par un autre lit. On imagine bien quelles ressources Feydeau peut tirer d'un tel dispositif : disparitions derrière le mur, stratégies d'évitement... tout cela mêlé à un jeu de confusions des identités et de coups de théâtre bien servis.

La Puce à l'oreille est une pièce tout à fait remarquable dans l'exploitation de toutes les recettes qui font le succès du vaudeville : les notables qui cherchent à s'encanailler, les bourgeoises un peu trop prudes qui résistent aux assauts d'un amant, la valetaille finaude ou grossière ; en plus de ces stéréotypes, Feydeau donne largement dans les portes qui claquent, les gifles données par erreur, les substitutions identitaires, les objets qu'on égare ou qu'on retrouve et qui font basculer l'intrigue. Tout peut être propice au rebondissement et Feydeau, dans La Puce à l'oreille comme dans ses autres grandes pièces, montre une grande adresse à manipuler plusieurs actions simultanées. Les chassés-croisés des personnages dans l'espace sont complexes : on entre, on sort de tous côtés, on se cache, on surgit, on court ou on prend la pose. L'espace scénique est quadrillé dans toutes ses possibilités : tantôt c'est un vaste champ de manœuvre, tantôt un ensemble de petites boîtes dans le cadre de scène, que Feydeau se plaît, selon les besoins de l'action, à verrouiller ou à ouvrir.

La chorégraphie réglée au millimètre des corps sur le plateau et l'utilisation de ces quelques procédés sont encore renforcés par un comique linguistique tout à fait particulier : Feydeau joue la disparité des langages pour différencier ses personnages et porter le quiproquo. Le fort accent hispanique et la syntaxe contorsionnée d'Homenides de Histangua ; l'anglais de Rugby, qui ne sait pas un mot de français ; le handicap de Camille, qui a le « palais perforé » et ne peut prononcer que les voyelles à moins d'équiper une prothèse... tous ces éléments participent au comique de situation mais disent aussi la difficulté du personnage vaudevillesque à se faire bien comprendre d'autrui. Le pouvoir performatif et agissant de la parole est tel chez Feydeau, que tout se joue souvent dans les petites phrases qui n'ont l'air de rien. Mais la parole, quand elle parvient sans ambiguïté sonore ou sémantique aux autres personnages, est à même de pouvoir renverser le cours des événements.

La pièce a été créée au Théâtre des Nouveautés (alors situé sur le boulevard des Italiens), en 1907, et triomphe auprès du public parisien. Un siècle plus tard, son succès ne se dément toujours pas et Marcel Maréchal, avec les Tréteaux de France, en 2003 [1], en donne une lecture tout à fait intéressante en déplaçant la chronologie dans les années 1950. Comme on le voit dans le document présenté, Maréchal ouvre son spectacle avec le défilement des personnages sur fond blanc. Ce générique visuel expose d'emblée les personnages comme des stéréotypes rapidement identifiables pour le public et place le spectacle sous les auspices, comme le dit Maréchal dans l'interview, du grotesque élisabéthain, à la façon de Shakespeare. « "Avoir la puce à l'oreille", dit par ailleurs Maréchal, avait au XVIe et XVIIe siècle, un sens érotique qu'on retrouve entre autres dans Rabelais. La pièce de Feydeau est avant tout une pièce sur le désir. Sans en avoir l'air, avec "l'insoutenable légèreté" du burlesque, Feydeau nous dit tout sur cette faille qui est en chacun de nous et d'où naît le désir qui va se projeter dans un lieu – l'hôtel du Minet Galant, à Montretout (!) – aussi fantastique et inquiétant que la lande où erre le roi Lear... » [2]

[1] Maréchal avait déjà mis en scène cette même pièce en 1985, au Théâtre National de Marseille (La Criée).

[2] Marcel Maréchal à propos de La Puce à l'oreille, programme des Tréteaux de France pour la saison 2003-2004, p. 1.

Voir un document sur La Puce à l'oreille, mise en scène par Stanislas Nordey (2004).

Céline Hersant

Transcription

Marcel Maréchal
Eh, dites-moi, ces gens-là, ces gens-là, ils ne sont pas, ils ne sont pas un peu marteaux ? Ah, il fallait me prévenir, il fallait me glisser tout bas, ils sont louftingues ! Oh, je sais ce que c’est. Va avec les braques, faut toujours dire comme eux. Ils sont marteaux, ils sont un peu marteaux, comme Feydeau, quoi.
(Bruit)
(Musique)
Luce Proby-Maréchal
Feydeau avait fini sa vie dans l’asile de Rueil-Malmaison. Entre 40 et 50 ans, il a été interné là-bas et bon. Bon, il se prenait pour un oiseau, il se prenait pour Napoléon III ; enfin, c’est ce qui s’est dit. Mais bon, il y a quelque chose que je voudrais dire parce que moi, ça fait, ça me… un de ses amis Sacha Guitry allait le voir là-bas et disait qu’en fait, Feydeau n’était pas du tout fou, qu’il avait simplement choisi de faire le fou, choisi de faire l’oiseau, choisi de se prendre pour Napoléon III. Pourquoi ? Pour s’isoler, pour rester à l’abri.
Comédien 1
Vous me connaissez ?
Comédien 2
Non.
Comédien 1
Ah, bon, ah, bon, bon, bon ! Et bien, moi, je suis le docteur, le bon docteur, c’est moi qui soigne. Bobo, malade, tisane, diète. Le bon docteur.
Comédien 2
Bon, ben, t’es t’es docteur, quoi. Je ne suis pas gâteux.
Comédien 1
Voilà.
Comédien 2
Mais, mais qu’est-ce qu’il a comme ça à faire l’idiot ?
Luce Proby-Maréchal
Dans toutes ses pièces et surtout La Puce à l’oreille, on trouve ce qui est vraiment l’essentiel de l’humanité, c’est-à-dire un voisinage constant entre le drôle, le grotesque et le terrifiant.
Marcel Maréchal
Je ne sais pas si vous le savez mais aux Etats-Unis, par exemple, dans la plus grande bibliothèque théâtrale de New-York, il y a plus d’ouvrage de Feydeau que de Shakespeare. Ce qui prouve que ce génie un peu loufoque, un peu, un peu, un peu, un peu… oui, hors du commun, est proche quelque part des élisabéthains.
Luce Proby-Maréchal
Feydeau aussi est amoureux du langage, mais en même temps, c’est-à-dire qu’à côté de métaphores somptueuses, il le distord, le langage. Et c’est là, c’est là où on peut se dire qu’il était peut-être un peu, il était peut-être un peu fou.
Comédien 2
Il est fou, c’est un fou, c’est un fou, il… il… il est fou, c’est un fou, ah, ah. Il est, Il est fou.
Luce Proby-Maréchal
Dans cette pièce, il y a plusieurs langages. Il y a d’abord le langage de Camille. Alors Camille est un jeune homme qui souffre d’un handicap vraiment terrifiant. C’est-à-dire qu’il ne peut prononcer que les voyelles, pas de consonne.
Comédien 1
Aaaaaaaaah !
Comédien 3
Aaaaaaaaaah !
Comédien 1
La voûte du palais n’a pas eu le temps de se former alors, les sons, au lieu de trouver cette cloison naturelle qui les fait rebondir en dehors, vont se perdre dans le masque.
Comédien 3
Eh ah.
Comédien 1
Et bien, c’est cette cloison que je vous apporte. Hé, hé, Et regardez comme c’est joli, bien présenté.
Comédien 3
Eh oh!
Comédien 1
Un palais d’argent, mon cher, comme dans les contes de fées.
Comédien 3
Oh !
Comédien 1
Oh ! Et dans un écrin madame, avoir son palais dans un écrin, ce n’est pas à la portée de tout le monde.
Comédien 3
Et e ouhai aher ?
Comédien 1
Quoi ?
Comédien 3
Et e ouhai aher.
Comédien 1
Non pas comme ça. Mettez-le d’abord à tremper dans de l'eau avec de l’acide borique. On ne sait pas dans quelle main ça a passé.
Comédien 3
Vous avez raison, vous avez raison. Ah, je disais, et je pourrais parler ?
Comédien 1
Comment si vous pourrez parler ? C’est-à-dire que si même vous avez du talent, vous pourrez entrer à la Comédie-Française.