André Halimi
François Nourissier, vous faites partie du jury, n'est-ce pas ?
François Nourissier
Je fais partie du jury.
Donc je suis muet.
C'est le personnage sous la forme duquel je suis muet.
André Halimi
Alors, pourquoi avez-vous accepté ce qui ne me semble pas être une partie de plaisir ?
François Nourissier
C'est, d'une certaine façon, une partie de plaisir.
Vous savez, un écrivain, ça passe son temps devant une feuille de papier, tout seul.
Et puis, brusquement, on me met avec des gens, devant de la couleur, devant des paysages.
Moi, j'ai quinze jours de bonheur, au contraire.
Alors, ça, je ne me plains pas du tout.
André Halimi
Il n'y a pas une sursaturation de films ?
Un milieu ambiant un peu fatigant, un peu lassant ?
François Nourissier
C'est quand j'étais comme un pauvre journaliste que j'avais un sentiment de saturation parce que je voyais trois ou quatre films par jour.
Là, je me contente à peu près raisonnablement de voir les films sélectionnés pour la compétition.
André Halimi
Vous faites partie, d'ailleurs, du comité de la direction du film français ?
François Nourissier
Oui. Alors, à ce titre là, moi, je peux m'expliquer.
Nous étions une dizaine qui choisissions les films français pour tous les festivals internationaux, et nous sommes donc co-responsables, je dois dire, à peu près à l'unanimité du choix de la sélection française qui a été ratifiée, d'ailleurs, par le conseil d'administration du festival.
André Halimi
Alors, cette sélection, elle est, encore cette année, contestée.
On est tombé, peut-être, dans l'excès inverse.
L'année dernière, on a trouvé qu'elle était un peu timorée.
Et cette année, on trouve qu'elle est, au contraire, un peu trop audacieuse.
François Nourissier
Vous savez, moi, j'avais encore dans les oreilles, je dirais, les silences navrés qui ont accueilli les films français l'année dernière et il y a deux ans.
Mais surtout, l'année dernière.
Et c'était seulement parce qu'on avait envoyé une sélection peu faite pour résister aux grands films de prestige, qui sont des films de festival à Cannes.
Et nous avons essayé, devant l'absence, d'ailleurs, de ces grands films de prestige en production française, qu'on nous a montrés, nous avons choisi, au contraire, d'envoyer des films un peu difficiles, un peu provocants.
Si vous voulez, plutôt un cinéma de rupture qu'un cinéma de tradition aussi dans la mesure où le cinéma de tradition n'avait pas donné grand-chose, en France, apparemment, en 72-73.
André Halimi
Il y a une sorte de délire pour le film de Bergman.
Est-ce que vous partagez cette passion pour ce film ?
François Nourissier
Non, j'ai d'autant plus honte de le dire qu'on vient de délirer, encore, au début de cette émission.
Moi j'avoue que j'ai été un petit peu mal à l'aise.
Bergman fait des films... Là, c'est un film en costumes.
Il fait des films en symbole comme d'autres font des films en costume.
Moi, j'ai le sentiment que pour un spectateur de vingt ans, il ne doit pas être très touché par "Cri et chuchotement".
Bien sûr, c'est un sujet fondamental et superbe.
Bien sûr le film est magnifique.
Bien sûr, s'il était en compétition, il aurait sans doute écrasé tous ses concurrents.
Mais cela, on le sait que Bergman est un très grand personnage.
Tout cela étant dit, je ne partage pas tout à fait le niveau d'effervescence qui se manifeste, ici.
André Halimi
Vous restez calme sur ce film ?
François Nourissier
Je reste calme.
Il y a des gens qui étaient prêts à éclater en sanglots.
Moi, je trouve ça formidable de pouvoir mettre des larmes dans les yeux des spectateurs.
Il n'y a pas de plus belle aventure.
Moi, j'avais les yeux secs, donc je le dis, c'est tout.
André Halimi
Vous connaissez bien les milieux littéraires puisque vous êtes écrivain.
Vous êtes également directeur littéraire.
Est-ce que les milieux du cinéma sont aussi fréquentables que les milieux littéraires ?
François Nourissier
Je ne les fréquente pas beaucoup, vous savez.
Dans la littérature, on peut fréquenter les livres.
Au cinéma, on peut fréquenter les films.
Il n'y a pas tellement une question de personne.
Comme ça, c'est très bien.
Avec les oeuvres, moi, je m'entends très bien.
André Halimi
Mieux qu'avec les gens ?
François Nourissier
Ce n'est pas la peine de toujours mettre des gens derrière les oeuvres.
André Halimi
Avez-vous vu, François Nourissier, le film d'Yvan Lagrange, qui s'appelle "Tristan et Iseult" ?
François Nourissier
Oui, je l'avais vu, en effet, à Paris, il y a quelques semaines.
André Halimi
Le réalisateur est là, et nous allons d'abord voir un extrait de ce film.