François Chalais
Jean Giono, je sais bien qu'un membre du jury, à plus forte raison, un Président n'a pas le droit de parler de dire ce qu'il pense des films qu'il va voir.
Mais je pense, malgré tout, qu'en vous posant certaines questions, nous pouvons nous faire une idée sur la façon dont vous allez juger les films.
D'abord, cette question : qu'est-ce que le cinéma représente pour vous ?
Jean Giono
Le cinéma, jusqu'à présent, représentait, pour moi, une sorte d'art nouveau qui pouvait se permettre de faire des images plus rapidement que l'écriture.
Mais, depuis un certain temps, j'imagine une autre chose : j'imagine que le cinéma est surtout une industrie.
François Chalais
Depuis quand est-ce que vous allez au cinéma ?
Jean Giono
Oh, je vais au cinéma depuis ma plus tendre enfance et même je suis allé au cinéma au commencement même du cinéma.
Je me souviens qu'à ce moment-là, le cinéma n'était encore qu'une petite boîte ambulante qu'on promenait de village en village et le cinéma était venu à Manosque.
On avait vidé une épicerie de tous ses bocaux, de tous ses bocaux d'épices et on avait installé, là, l'appareil de projection qui était rudimentaire.
Et on faisait voir "L'Arroseur Arrosé", "La Locomotive arrivant en gare de Saint-Tropez", en gare de je ne sais pas quoi.
François Chalais
De La Ciotat
Jean Giono
De La Ciotat, oui c'est ça.
Et c'est à ce moment-là que j'ai vu le premier film de cinéma.
François Chalais
Quel genre de film aimez-vous ?
Jean Giono
J'aime surtout les films d'action, les films d'aventure. Je suis très amateur de westerns.
François Chalais
En somme, pour vous, vous n'attendez pas un message d'un film ?
Jean Giono
Certainement pas. J'attends une distraction, un motif d'évasion, des paysages, de l'action surtout.
François Chalais
Vous ne pensez pas qu'un film puisse apporter une connaissance particulière ? Vous pensez qu'il faut la trouver dans d'autres sources d'inspiration ? On ne peut pas faire mieux qu'un livre par exemple ?
Jean Giono
Je pense qu'il faut que le livre collabore avec le cinéma.
Je crois que, actuellement, il y a une certaine habitude à se servir des moyens mécaniques pour se cultiver, par exemple la radio, la télévision, le cinéma et on abandonne un peu le livre.
Je crois qu'il faut que tout collabore, qu'on ait, en même temps, le désir de voir de la peinture, qu'on ait le désir de voir de la sculpture, de l'architecture et qu'on lise en même temps.
Alors, le cinéma collabore à ce moment-là.
Mais il ne peut pas, seul, créer une culture.
François Chalais
Votre oeuvre a inspiré de très beaux films, de très grandes fresques cinématographiques, par exemple "Regain" ou bien "La Femme du boulanger", mais c'était justement des gens qui tiraient des film de vos livres.
Aujourd'hui, vous voulez les faire vous-même.
Vous venez de le faire avec "Crésus".
A quoi est-ce que cela correspond ? Vous n'étiez pas content de ce que l'on faisait de vous ou bien...
Jean Giono
Oui. Pas content, évidemment, on n'est jamais content.
Dès qu'il y a une adaptation sur une oeuvre déjà créée, quand on l'a créée, on a eu un rythme, on a eu une discipline, on a voulu faire une certaine chose.
Dès qu'une autre intelligence s'occupe de ces choses déjà créées, elle est forcément en désaccord avec vous.
Même si le livre ou si le film tiré d'un livre est admirable pour le public, l'auteur n'est jamais satisfait.
Car la création du film est à côté de la création du livre.
Et quand même, elle se sépare un peu de la création du livre.
Ne serait-ce qu'une toute petite séparation c'est déjà suffisant pour créer une sorte de malentendu entre l'auteur du livre et l'auteur du film.
François Chalais
Quel genre de juré serez-vous ? Vous serez un juré discret, bavard ?
Jean Giono
Je serais un juré consciencieux.
François Chalais
Ils disent tous ça, avant. En général, ils le sont, d'ailleurs. Ils sont à tous les repas et à tous les films.
Jean Giono
Mais moi, je ne serai pas aux repas.
François Chalais
Mais de nouveau...