Pollution du Prestige dans les Landes

2003
01m 31s
Réf. 00086

Notice

Résumé :

En janvier 2003, les côtes landaises sont à leur tour touchées par la marée noire du Prestige. Des boulettes d'hydrocarbure provenant des cuves du pétrolier s'échouent sur les rivages de Biscarrosse. Très rapidement, le nettoyage des plages se met en place dans des conditions rendues difficiles par les fortes marées.

Date de diffusion :
2003
Source :

Éclairage

Nunquam polluta, « jamais polluée », est la devise latine de la ville de Bayonne. Les catastrophes écologiques qui touchent les côtes françaises, depuis le naufrage du Torrey Canyon, en 1967, mettent cependant à mal cette fière assertion. La Bretagne, en dépit du rail d'Ouessant [1], mais aussi l'ensemble du golfe de Gascogne, sont en effet particulièrement affectés par des marées noires qui altèrent régulièrement et durablement l'environnement : un désastre pour l'équilibre naturel et pour l'économie touristique des régions concernées. L'affaire du Prestige en est un douloureux exemple qui vient compléter la liste déjà très longue de la trentaine d'accidents majeurs, du même genre, survenus dans le monde entier, selon les statistiques de 2003.

Quand le journal de 20 heures rend compte de la situation, le 1er janvier, les premières boulettes d'hydrocarbure d'un "bateau-poubelle" battant pavillon des Bahamas atteignent les côtes landaises : la menace se concrétise car on sait que, depuis la rupture de la coque du pétrolier, le 19 novembre 2002, les plages de tout le golfe, de la Galice à la Bretagne, ne seront pas épargnées. Depuis la terrible catastrophe du Torrey Canyon, au large de Land's Island, en Angleterre, six autres épisodes majeurs ont marqué l'histoire des trois "finisterre", de La Corogne à la Cornouaille en passant par les îles bretonnes : Amoco Cadiz (1978), Gino (1979), Tanio (1980), Aegian Sea (1992), Erika (1999) et Ievoli Sun (2000) sont désormais des noms et des dates qui demeurent dans tous les esprits car ils rappellent les dizaines de milliers de tonnes d'hydrocarbures répandus en mer, polluant régulièrement le grand arc atlantique, vulnérable car soumis aux caprices des courants.

Le premier de l'an 2003 signe donc le début d'une longue lutte contre l'infecte matière qui englue le sable, insaisissable, couvrant les rochers et tuant des milliers d'oiseaux selon un scénario d'ores et déjà bien connu. C'est l'hiver et les vents ne sont pas favorables aux hommes ; ils poussent inexorablement les nappes de fuel vers les côtes. Le 22 novembre, la Galice est menacée et les 25 millions de dollars promis par les assureurs ne changent vraiment pas la donne : en France, Roselyne Bachelot, ministre de l'Écologie et du Développement durable, annonce le pire. Les faits lui donnent raison ; la première nappe atteint l'Espagne le 30 novembre et le 1er décembre une manifestation géante se déroule dans le nord-ouest de la péninsule. Deux jours plus tard, Bruxelles dresse la liste des bâtiments dangereux et la France déclanche le plan POLMAR-mer [2]. Les pompiers sont mobilisés, efficaces les premiers jours où une escouade de 10 hommes suffit à nettoyer 1 km de plage. Mais, on ne se leurre pas : les "galettes reviendront" et les moyens devront être augmentés.

Début décembre, la mobilisation est de fait générale, de Rotterdam ou l'association Greenpeace veut empêcher le départ d'un navire jugé dangereux, le Byzancio, jusqu'au Maroc qui renforce les procédures de passage des pétroliers. Deux jours plus tard, l'Union européenne bannit les bateaux à simple coque. En Espagne la situation s'aggrave et José María Aznar, président du gouvernement, prend en charge la gestion de la crise tandis que la carcasse du bâtiment perd 125 tonnes de fuel chaque jour malgré les tentatives de colmatage opérées par le Nautile [3].

Le 13 décembre, l'Aquitaine demande un soutien économique pour lutter contre la pollution de ses plages ; 27 000 tonnes d'hydrocarbure sont récupérées en mer et sur le littoral mais la matière qui vient s'échouer ne se solidifie pas rendant les opérations très difficiles. Le 20 du même mois, une troisième marée noire atteint la Corogne entraînant le désarroi des pêcheurs et l'immense nappe qui flotte dans le Golfe de Gascogne commence à polluer les Landes où les "galettes noires" souillent le sable fin. La Gironde et la Charente maritime sont vite concernées et l'Élysée ouvre une information judiciaire le 3 janvier. La bataille s'engage : interdiction de consommer des huîtres à Arcachon, intervention de plus de 700 personnes - militaires et civils - qui oeuvrent, du Pays basque à l'île d'Yeu. Déjà on sait que l'opération coûtera 1 milliard d'euros à l'Espagne.

À la mi-février, trois mois après le naufrage, "ça n'en finit pas". Les moyens mécaniques ont été augmentés, les détenus mobilisés : la pollution immonde est l'affaire de tous. Et le bilan est consternant ; sur les 10 000 tonnes de déchets ramassés lors de ces manœuvres de grande ampleur, on relève 30 % de fuel auquel s'ajoutent quelque 70 % de macro-déchets (plastiques, troncs d'arbres, bouteilles...). Malgré les mesures prises à Bruxelles, bien décidé à punir les coupables, c'est bien une question d'éco-citoyenneté, au niveau international, qui sourd au-delà de cette terrible pollution ponctuelle.

Et si un monument a été érigé à O Grove, en Galice, en hommage aux volontaires venus aider à effacer l'injure faite à la nature, ce n'est pas pour autant que les navires-poubelles, occultant leur véritable identité sous pavillon de complaisance, ont adopté à ce jour une attitude responsable puisque les autorités compétentes rappellent que "dégazages et déballastages réguliers correspondent à 20 Prestige par an »...

[1] Les géographes appellent rail d'Ouessant un dispositif de séparation du trafic maritime, au large de l'île la plus occidentale de la Bretagne. C'est un des passages les plus fréquentés du monde avec 54 200 navires en 2003, soit une moyenne de 148 passages par jour et un transit quotidien de 700 000 tonnes, dont 285 000 de pétrole et 90 000 de produits dangereux.

[2] Les plans POLMAR constituent des plans d'intervention en cas de pollution accidentelle des milieux marins, permettant la mobilisation et la coordination des moyens de lutte.

[3] Sous-marin de poche de l'IFREMER spécialisé dans les interventions à grande profondeur.

Bénédicte Boyrie-Fénié

Transcription

Journaliste
Les premières traces d’hydrocarbures sur le littoral français. Le résultat des analyses ne laisse aucun doute, ces boulettes sur une plage de Biscarrosse proviennent bien des cuves du Prestige. Trois engins de nettoyage sont entrés en action ce matin mais les conditions du ramassage ne sont guère favorables.
Robert Llano
Le problème c’est que là, avec les fortes marées on ne peut travailler que sur sable mouillé et qu’on a des machines adaptées pour du sable sec.
Journaliste
Le sable se mélange au produit, un produit collant et fragmenté plus facile finalement à ramasser à la main. Mais il faut aller vite, les boulettes se disloquent rapidement. Cet après-midi, l’hélicoptère de la gendarmerie a survolé le secteur, même constat qu’hier, 4 zones de pollution sur 8km entre Biscarrosse et le Cap Ferret.
Philippe Malizard
Pour l’instant c’est en volume assez faible. On a traité une zone ce matin, qui faisait à peu près 1km de front, avec une dizaine de personnes, on a réussi à nettoyer la plage à 80-90%.
Journaliste
Le colonel Christian Paulin est chargé de coordonner les opérations sur le terrain. Il fait la navette entre les plages et le poste de commandement avancé, les réunions permettent de déployer les moyens les plus adéquats d’autant que d’autres galettes sont attendues.
Christian Paulin
La marée en ramènera d’autres et surtout elle va brasser ce qui est déjà arrivé mais elle en ramènera forcément d’autres, je pense.
Journaliste
Les opérations reprendront dès demain matin à marée basse. D’autres techniques devraient être testées, notamment la pose de filet pour tenter de récupérer le maximum de boulettes.