Ilse et Pierre Garnier, poètes créateurs de la poésie spatiale

15 novembre 2011
02m 54s
Réf. 00722

Notice

Résumé :

Ilse et Pierre Garnier produisent depuis de longues années une poésie expérimentale baptisée "poésie spatiale". Après avoir longtemps publié dans l'ombre de son mari, Ilse publie une anthologie de ses poèmes Jazz pour les yeux. Rencontre avec le couple, chez eux à Saisseval.

Date de diffusion :
15 novembre 2011
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

Dans le numéro 22 de la revue Chiendents paru en 2012 (1), Ilse Garnier rappelle quelques dates essentielles de son propre parcours. "Je suis née à Kaiserslauten en Rhénanie-Palatinat" commence-telle. Puis elle raconte son enfance, le rôle joué par ses grands-parents, les leçons de géographie avec son grand-père, les visites estivales à une tante pianiste à Munich. Ilse a douze ans lorsque la guerre éclate. Intégrée dans l'Union des jeunes filles allemandes, elle échappe de peu au bombardement de la gare de Munich en 1943, constate la destruction de la rue où vivaient ses oncle et tante. Kaiserslauten est à son tour bombardée et détruite en 1944, les habitants cherchant abri dans les carrières. En 1945 elle assiste au spectacle des unités allemandes revenant, la tête basse, dans leurs foyers. Elle commence des études de "germanistique" à l'université de Mayence, obtient un visa pour la France en 1950 rendant visite à une tante qui y vit depuis 1923. Elle rencontre et épouse le jeune poète et futur professeur d'allemand Pierre Garnier (2). "Année zéro", dit-elle, "rupture avec l'Allemagne" confirme-t-elle, expliquant son recours à une forme nouvelle de poésie. "En Allemagne la langue avait été tellement politisée, violentée, qu'on avait un grand besoin de s'en défaire... Au fond une nouvelle langue... Nous avions besoin d'une poésie en correspondance avec notre époque, la société moderne, supranationale, qui ne regardait plus seulement la terre mais regardait l'Espace". D'où le spatialisme, conçu et pratiqué avec son époux Pierre Garnier. En 1962 le couple fonde la revue Les Lettres aux éditions André Silvaire, dans laquelle ils présentent leur Manifeste pour une poésie nouvelle, visuelle et phonique. Entrant en contact avec des groupes de poésie expérimentale autrichien, allemand, tchèque brésilien, japonais etc. , ils accueillent entre autres les poètes de Sao Paulo Haroldo et Augusto de Campos. En France ils travaillent à distance amicale des poètes Henri Chopin (poésie sonore) Bernard Heidsieck (poésie action) Julien Blaine (poésie performance). Installés à Saisseval, près d'Amiens, Pierre et Ilse sont auteurs d'une production poétique continue abondante, dans laquelle la part d'Ilse (qui s'est progressivement affirmée) se révèle presque unanimement spatialiste. Signalons parmi une bibliographie très nourrie, Blason du corps féminin (André Silvaire, 1979) La Meuse (André Silvaire 1991) Jazz pour les yeux, Anthologie de poésie spatiale (L'Herbe qui tremble, 2011)

(1) Ilse Garnier - Le chant de l'espace. Chiendents N° 22, Editions du Petit Véhicule, Nantes, 2012.

(2) Pierre Garnier, né le 9 janvier 1928 à Amiens et mort le 1er février 2014.

Jacques Darras

Transcription

Dominique Patinec
Culture toujours. Connaissez-vous la poésie spatiale ? Cette forme littéraire a été inventée par un couple de poètes franco-allemands à la fin des années 50. Leur nom : Pierre et Ilse Garnier. Après avoir fréquenté l’avant-garde littéraire et artistique, ils ont pris leur retraite en Picardie l’esprit toujours vif. Une anthologie des poèmes d’Ilse Garnier vient de paraître aux éditions de l’Herbe qui tremble. Son nom : "Jazz pour les yeux". Reportage à Saisseval de Marie Roussel et Aurélien Barège.
(Musique)
Marie Roussel
Souvent dans l’ombre de son mari, Ilse Garnier est pourtant un auteur inspiré. Son amour des lettres lui vient sans doute de son grand-père bavarois qui l’emmenait se promener en forêt en lui récitant des poèmes. Douceur de la vie de famille mais aussi rigueur de la seconde guerre, quelques années plus tard. Les bombardements, la peur, l’embrigadement pour la jeune allemande. Elle en sortira décidée à tourner la page.
Ilse Garnier
On s'est lancés dans une poésie expérimentale parce qu’on voulait une rupture.
Marie Roussel
Parce que le passé était trop difficile ?
Ilse Garnier
Parce que le passé était… s’est terminé, s’est terminé assez mal. Et un renouveau semblait nécessaire.
(Musique)
Marie Roussel
Des mots qui dansent sur les pages, libérés des formes traditionnelles, une musique pour les yeux. C’est cela, la poésie spatiale. Un terme inventé par Pierre Garnier en 1963, en pleine euphorie de la conquête de l’espace.
(Musique)
Pierre Garnier
J’ai simplement posé des mots sur la page en état de tension et puis mettre un titre. Si je fais un cercle et que je mets eau (E. A. U) au-dessous, il est certain que l’esprit du lecteur doit mêler le cercle à l’eau, l’eau au cercle. Et donc, il apparaît une image où le cercle est l’eau et le l’eau est le cercle.
Marie Roussel
Ilse et Pierre, Pierre et Ilse, on pense souvent à eux comme le couple Garnier. Pourtant, il y a bien longtemps qu’ils n’écrivent plus à 4 mains.
Pierre Garnier
Au début, quand on publiait quelque chose sous les deux noms, c’était toujours sur moi que ça retombait.
Ilse Garnier
C’était normal parce que Pierre était connu.
Pierre Garnier
Oui, mais ce n’était pas cela du tout.
Ilse Garnier
D’autre part, d’autre part, la société est quand même restée très machiste.
Marie Roussel
Aujourd'hui, l’équilibre est rétabli avec la sortie, pour la première fois, d’une anthologie des poèmes d’Ilse. Elle accepte l’hommage simplement, consciente que les honneurs sont fugaces et que c’est uniquement le temps qui la fera peut-être un jour passer à la postérité.