Allocution du 24 mai 1968

24 mai 1968
07m 51s
Réf. 00142

Notice

Résumé :

Le 24 mai 1968, le général de Gaulle, revenu de Roumanie le 18, s'adresse aux Français. Dans cette allocution annoncée depuis plusieurs jours, il présente les "événements universitaires puis sociaux" en cours comme l'expression d'une mutation de société, nécessitant de profondes réformes. Pour mener à bien ces réformes, et notamment celle de l'Université, il demande aux Français de lui confier un "mandat" par voie de référendum, dont le résultat décidera de son maintien au pouvoir ou de son départ.

Type de média :
Date de diffusion :
24 mai 1968
Type de parole :

Éclairage

Déclenchée dans les premiers jours du mois de mai 1968 pour ce qui concerne sa phase universitaire, la crise qui secoue la France s'est incontestablement aggravée à partir du 13 mai lorsque se déclenche une vague de grèves avec occupation de locaux qui concerne progressivement 10 millions de salariés dans tous les secteurs d'activité et paralyse le pays. Le général de Gaulle qui ne semble pas avoir pris la mesure de la situation a néanmoins quitté la France pour une visite officielle en Roumanie du 14 au 18 mai, laissant le Premier ministre Georges Pompidou gérer la crise au quotidien. De retour de Roumanie le 18 mai, il livre son analyse de la situation dans une formule lapidaire : " La réforme, oui, la chienlit, non".

L'allocution prononcée le 24 mai 1968 livre à la fois la lecture des événements faite par le président de la République et les solutions qu'il propose pour y porter remède. Il voit dans la crise un effet des profondes mutations de tous ordres subies par la société française, qui exigent une adaptation des structures de celle-ci, en particulier dans le monde universitaire où une jeunesse inquiète pour son avenir a manifesté son impatience.

Il se déclare prêt à opérer les réformes nécessaires autour de la notion de participation de tous aux activités qui les concernent, dans le monde universitaire comme dans celui de l'entreprise ou de la société, répondant ainsi à une aspiration manifestée par une large partie de la population durant la crise.

Et, comme il l'avait fait pour les institutions ou la fin de la guerre d'Algérie, il demande au peuple de lui donner, par référendum, le mandat d'accomplir cette nouvelle tâche, conditionnant son maintien au pouvoir à une réponse positive de l'électorat.

En fait, contrairement aux attentes du Général, l'annonce du référendum, qui reste au niveau de la proclamation de principes généraux, est impuissante à mettre fin au mouvement et le Général reconnaîtra lui-même avoir "mis à côté de la plaque". La crise se poursuit donc et prend même un tour politique à partir du 27 mai.

Serge Berstein

Transcription

Charles de Gaulle
Tout le monde comprend, évidemment, quelle est la portée des actuels évènements, universitaires, puis sociaux. On y voit tous les signes qui démontrent la nécessité d'une mutation de notre société. Mutation qui doit comporter la participation plus effective de chacun à la marche et au résultat de l'activité qui le concerne directement. Certes, dans la situation bouleversée d'aujourd'hui, le premier devoir de l'Etat, c'est d'assurer en dépit de tout, la vie élémentaire du pays, ainsi que l'ordre public. Il le fait. C'est aussi d'aider à la remise en marche, en prenant les contacts qui pourraient la faciliter. Il y est prêt. Voilà pour l'immédiat. Mais ensuite, il y a sans nul doute des structures à modifier. Autrement dit : il y a à réformer. Car dans l'immense transformation politique, économique, sociale, que la France accomplit en notre temps, si beaucoup d'obstacles, intérieur et extérieur, ont déjà été franchis, d'autres s'opposent encore au progrès. De là, les troubles profonds. Avant tout dans la jeunesse qui est soucieuse de son propre rôle, et que l'avenir inquiète trop souvent. C'est pourquoi, la crise de l'université, crise provoquée par l'impuissance de ce grand corps, à s'adapter aux nécessités modernes de la Nation, ainsi qu'au rôle et à l'emploi des jeunes, a déclenché dans beaucoup d'autres milieux, une marée de désordre, d'abandon ou d'arrêt du travail. Il en résulte que notre pays est au bord de la paralysie. Devant nous-mêmes, et devant le monde, nous, Français, devons régler un problème essentiel que nous pose notre époque. A moins que nous nous roulions à travers la guerre civile, aux aventures et aux usurpations les plus odieuses et les plus ruineuses. Depuis bientôt 30 ans, les évènements m'ont imposé en plusieurs graves occasions, le devoir d'amener notre pays à assumer son propre destin, afin d'empêcher que certains ne s'en chargent malgré lui. J'y suis prêt, cette fois encore. Mais cette fois encore, cette fois surtout, j'ai besoin. Oui, j'ai besoin que le peuple français dise qu'il le veut. Or, notre Constitution prévoit justement par quelle voie il peut le faire. C'est la voie la plus directe et la plus démocratique possible, celle du référendum. Compte tenue de la situation tout à fait exceptionnelle où nous sommes, et sur la proposition du gouvernement, j'ai décidé de soumettre au suffrage de la Nation, un projet de loi, par lequel je lui demande de donner à l'Etat, et d'abord à son chef, un mandat pour la rénovation. Reconstruire l'université, en fonction, non pas de ses habitudes séculaires, mais des besoins réels de l'évolution du pays, et des débouchés effectifs de la jeunesse étudiante dans la société moderne. Adapter notre économie, non pas aux catégories diverses, des intérêts, des intérêts particuliers, mais aux nécessités nationales et internationales, en améliorant les conditions de vie et de travail du personnel, des services publics et des entreprises, en organisant sa participation aux responsabilités professionnelles, en étendant la formation des jeunes, en assurant leur emploi, en mettant en oeuvre les activités industrielles et agricoles dans le cadre de nos régions. Tel est le but que la Nation doit se fixer elle-même. Françaises, français, au mois de juin, vous vous prononcerez par un vote. Au cas où votre réponse serait non, il va de soi que je n'assumerai pas plus longtemps ma fonction. Si par un oui massif, vous m'exprimez votre confiance, j'entreprendrais avec les pouvoirs publics, et je l'espère, le concours de tous ceux qui veulent servir l'intérêt commun, de faire changer partout où il le faut, les structures étroites et périmées, et ouvrir plus largement la route au sang nouveau de la France. Vive la République, vive la France !