Allocution du 26 octobre 1962

26 octobre 1962
06m 49s
Réf. 00225

Notice

Résumé :

Deux jours avant le référendum du 28 octobre 1962, le général de Gaulle exhorte les Français à voter "oui" afin que le président de la République soit dorénavant élu au suffrage universel.

Type de média :
Date de diffusion :
26 octobre 1962
Type de parole :

Éclairage

Depuis la conclusion en mars 1962 de la paix en Algérie et l'accession de l'Algérie à l'indépendance le 3 juillet, une page de l'histoire de la Vème République est tournée. De Gaulle n'ignore pas que, la guerre d'Algérie terminée, les forces politiques sont décidées à le chasser du pouvoir pour restaurer la toute-puissance du Parlement. Au cours des mois de juin et juillet, l'alliance de fait entre une gauche hostile au régime de la Vème République et une droite au sein de laquelle les nostalgiques de l'Algérie française ont un poids considérable prive virtuellement de majorité le gouvernement formé au printemps par Georges Pompidou. C'est d'extrême justesse qu'une motion de censure a été évitée en juillet.

Aussi de Gaulle est-il résolu à reprendre l'initiative. Il y est poussé par un attentat de l'OAS dirigé contre lui le 22 août 1962 au Petit-Clamart, au cours duquel il échappe de justesse à la mort. Après le Conseil des ministres du 29 août, le Général annonce son intention de proposer une révision constitutionnelle pour assurer la continuité de l'Etat et on apprend le 12 septembre qu'il s'agit de proposer un référendum disposant que le Chef de l'Etat sera désormais élu au suffrage universel, ce qui provoque un tollé de toutes les formations politiques à l'exception des mouvements gaullistes. A la rentrée parlementaire, le 2 octobre 1962, une motion de censure a été déposée à l'Assemblée nationale contre le gouvernement Pompidou, constitutionnellement responsable de la décision de soumettre la révision à référendum, par les Indépendants, le MRP, les socialistes et les radicaux. Le 5 octobre, par 280 suffrages, cette motion de censure est adoptée et Georges Pompidou, comme la constitution lui en fait obligation, présente au président de Gaulle la démission de son gouvernement le 6 octobre. Après en avoir pris acte, le Général annonce son intention de dissoudre l'Assemblée nationale (un décret du 10 octobre prononcera cette dissolution) et décide de maintenir en fonctions le gouvernement jusqu'à la réunion d'une nouvelle Assemblée nationale qui sera élue les 18 et 25 novembre. Aussitôt, les partis qui ont déposé la motion de censure constituent un " Cartel des non " manifestant ainsi leur intention de gouverner ensemble si le référendum était négatif.

Deux jours avant le référendum prévu pour le 28 octobre, de Gaulle adresse un message aux électeurs sous forme d'une allocution radio-télévisée, ramenant l'enjeu de la consultation à une question simple: les Français veulent-ils, oui ou non, désigner directement le chef de l'Etat dont dépend l'essentiel de la vie de chacun. Fustigeant l'opposition qui entend restaurer ce que de Gaulle appelle "le règne absolu et désastreux des partisans" comme les "factieux" (il s'agit de l'OAS) qui préconisent le "non", il appelle les Français à se prononcer pour le "oui" qui signifie l'efficacité de l'action gouvernementale, la prospérité, le progrès et la grandeur. Enfin, il fait peser la menace de sa démission si le peuple choisissait une réponse négative ou un "oui" de signification vague ou douteuse. Près des deux tiers des Français répondront "oui" au référendum, ratifiant la lecture gaulliste des institutions.

Serge Berstein

Transcription

Charles de Gaulle
Françaises, Français ! Après-demain, en toute clarté, en toute sérénité, vous allez, par votre vote, engager le sort du pays. La question qu'en ma qualité de Président de la République, et m'appuyant sur la Constitution, je pose aux citoyens français est aussi nette et simple que possible : Voulez-vous, dorénavant, élire vous-même votre Président au suffrage universel ? La raison de cette proposition, c'est qu'en notre temps, à l'époque moderne, il faut une tête à un grand Etat. Que la désignation du guide intéresse directement toutes les Françaises et tous les Français, et qu'ils sont parfaitement capables de le choisir. Or, notre Constitution, pour fonctionner effectivement, exige précisément que le Chef de l'Etat en soit un. Depuis quatre ans, je joue ce rôle. Il s'agit pour le peuple français de dire dimanche, si je dois poursuivre. Il s'agit de décider, si après moi, et nul n'ignore les menaces qui pèsent sur ma vie, les futurs présidents auront, à leur tour, grâce à l'investiture directe de la Nation, le moyen et l'obligation de porter, comme elle est, cette charge si lourde. Bref, il s'agit de marquer par un scrutin solennel, que quoiqu'il arrive, la République continuera, telle que nous l'avons voulue, à une immense majorité. Bien entendu, tous les anciens partis, dont rien de ce qui s'est passé n'a pu guérir l'aveuglement, vous requièrent de répondre "Non". C'est de leur part tout naturel. Car il est vrai qu'aujourd'hui, mon action à la tête de la République, plus tard celle de présidents successifs, qui seraient investis par la confiance du peuple et qui sauraient, s'il le fallait, lui demander son verdict souverain, sont incompatibles avec le règne absolu et désastreux des partisans. En même temps, tous les factieux, usant de tous les moyens, pour que ma mort ou ma défaite fasse reparaître la grande confusion qui seraient leur ignoble chance, souhaitent, eux aussi, le "Non". Françaises, Français ! Quant à moi, je suis sûr que vous direz "Oui". J'en suis sûr, parce que vous savez que dans notre monde, qui est si dangereux, on le voit en ce moment même, la France ne pourrait survivre si elle retombait dans l'impuissance d'hier, et qu'au contraire, son rôle, son poids, son prestige, sont à présent dignes d'elle, et de sa mission humaine. Je suis sûr que vous direz "Oui", parce que vous comprenez, qu'en notre temps, le chemin du progrès, de la prospérité, de la grandeur, ne passe pas, ne passera jamais, par les jeux dérisoires d'autrefois. Mais qu'au contraire, la continuité, la fermeté, l'efficacité, instaurées au sommet de l'Etat, sont les conditions nécessaires de la rénovation que nous avons commencée, qui passionne notre jeunesse, et qui stupéfie l'univers. Je suis sûr que vous direz "Oui" parce que vous sentez que si la Nation française, devant elle-même, et devant le monde, en venait à renier de Gaulle ou même ne lui accordait qu'une confiance vague et douteuse, sa tâche historique serait aussitôt impossible, et par conséquent, terminée. Mais, qu'au contraire, il pourra et il devra la poursuivre si, en masse, vous le voulez. Françaises, Français ! Après-demain, chacune de vous, chacun de vous, devant sa conscience nationale, décidera du sort de la France. Vive la République, vive la France !