Allocution radiodiffusée du 30 mai 1968

30 mai 1968
04m 32s
Réf. 00366

Notice

Résumé :

Au milieu de l'agitation de mai, et après que les leaders de la gauche se sont déclarés prêts à assumer le pouvoir, le général de Gaulle "disparaît" pendant vingt-quatre heures. A son retour le 30 mai, il réunit le Conseil des ministres, décide la dissolution de l'Assemblée nationale et s'adresse au pays par une allocution radiodiffusée. Cette allocution est prononcée à 16 heures 30, pour permettre à la manifestation organisée par la majorité silencieuse qui lui est favorable de se dérouler.

Type de média :
Date de diffusion :
30 mai 1968
Type de parole :

Éclairage

Déclenchée dans les premiers jours de mai 1968 pour ce qui concerne sa phase universitaire, la crise qui secoue la France s'est incontestablement aggravée à partir du 13 mai lorsque se déclenche une vague de grèves avec occupation de locaux qui concerne progressivement 10 millions de salariés dans tous les secteurs d'activité et paralyse le pays. L'impuissance des solutions proposées par le pouvoir pour arrêter la crise, qu'il s'agisse de l'annonce d'un référendum par le général de Gaulle le 24 mai ou des avancées sociales promises par le Premier ministre Georges Pompidou aux syndicats lors des entretiens de Grenelle le 27 mai, pousse l'opposition à réclamer le départ du général de Gaulle. Le 28 mai, François Mitterrand, président de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste annonce qu'il se portera candidat à la présidence de la République, proposant, en attendant, la constitution d'un gouvernement provisoire sous la présidence de Pierre Mendès France. Celui-ci fait savoir le lendemain qu'il acceptera les responsabilités qui pourraient lui être confiées par la gauche, cependant que le parti communiste préconise la formation d'un gouvernement populaire aux contours incertains. La crise politique semble ouverte.

Ce même 29 mai, la disparition du général de Gaulle, dont nul, pas même le Premier ministre, ne sait où il se trouve, dramatise la situation et alimente les rumeurs les plus folles. En fait, il s'est rendu en Allemagne auprès du Général Massu, commandant des forces françaises, personne ne sachant vraiment s'il a agi dans un accès de découragement, s'il a voulu s'assurer de la loyauté de l'armée en cas de troubles graves ou s'il a simplement souhaité inquiéter l'opinion par la perspective de son départ pour mieux la reprendre en main.

Cette reprise en main se manifeste le 30 mai par une allocution radiodiffusée (la télévision est en grève). Sur un ton de commandement, justifié par le rappel qu'il est le détenteur de la légitimité nationale, il rejette toutes les demandes de l'opposition concernant sa propre démission comme la révocation du Premier ministre. En revanche, il annonce la dissolution de l'Assemblée nationale élue en mars 1967, poussant ainsi l'opinion comme les organisations poliiques à se détourner de l'action de rue pour se consacrer à la préparation du futur scrutin.

Dénonçant dans les événements de mai l'action de groupes organisés, il voit en eux la preuve du complot ourdi par "un parti qui est une entreprise totalitaire "(c'est-à-dire le parti communiste). Aussi le dissuade-t-il d'aller plus loin en affirmant qu'il est prêt à prendre les mesures que la constitution met à sa disposition au cas où l'ordre public ne serait pas rétabli (c'est-à-dire à mettre en vigueur les pouvoirs exceptionnels prévus par l'article 16 et peut-être son entrevue avec le Général Massu a-t-elle valeur d'avertissement).

L'appel qu'il lance à l'action civique pour aider le gouvernement sera entendu. A l'appel des fidèles du Général et des organisations qui le soutiennent plusieurs centaines de milliers de personnes défilent sur les Champs-Elysées dès la fin de son allocution, marquant la reconquête de la rue par les gaullistes.

Serge Berstein

Transcription

Charles de Gaulle
Françaises, Français, étant le détenteur de la légitimité nationale et républicaine, j'ai envisagé, depuis vingt quatre heures, toutes les éventualités, sans exception, qui me permettraient de la maintenir. J'ai pris mes résolutions. Dans les circonstances présentes, je ne me retirerai pas. J'ai un mandat du peuple, je le remplirai. Je ne changerai pas le Premier ministre dont la valeur, la solidité, la capacité méritent l'hommage de tous. Il me proposera les changements qui lui paraîtront utiles dans la composition du gouvernement. Je dissous aujourd'hui l'assemblée nationale. J'ai proposé au pays un référendum qui donnait aux citoyens l'occasion de prescrire une réforme profonde de notre économie et de notre université et en même temps de dire s'ils me gardaient leur confiance ou non par la seule voie acceptable, celle de la démocratie. Je constate que la situation actuelle empêche matériellement qu'il y soit procédé, c'est pourquoi j'en diffère la date. Quant aux élections législatives, elles auront lieu dans les délais prévus par la constitution à moins qu'on entende bâillonner le peuple français tout entier en l'empêchant de s'exprimer en même temps qu'on l'empêche de vivre, par les mêmes moyens qu'on empêche les étudiants d'étudier, les enseignants d'enseigner, les travailleurs de travailler. Ces moyens, ce sont l'intimidation, l'intoxication et la tyrannie exercés par des groupes organisés de longue main, en conséquence, et par un parti qui est une entreprise totalitaire, même s'il a déjà des rivaux à cet égard. Si, donc, cette situation de force se maintient, je devrai, pour maintenir la république, prendre conformément à la constitution d'autres voies que le scrutin immédiat du pays. En tous cas, partout et tout de suite, il faut que s'organise l'action civile. Cela doit se faire pour aider le gouvernement, d'abord, puis localement, les préfets devenus ou redevenus commissaires de la République, dans leur tâche qui consiste à assurer, autant que possible, l'existence de la population, et à empêcher la subversion à tout moment et en tout lieu. La France, en effet, est menacée de dictature. On veut la contraindre à se résigner à un pouvoir qui s'imposerait dans le désespoir national, lequel pouvoir serait alors évidemment et essentiellement celui du vainqueur, c'est-à-dire celui du communisme totalitaire. Naturellement, on le colorerait, pour commencer, d'une apparence trompeuse en utilisant l'ambition et la haine de politiciens au rancart. Après quoi, ces personnages ne pèseraient pas plus que leur poids, qui ne serait pas lourd. Et bien non, la République n'abdiquera pas. Le peuple se ressaisira. Le progrès, l'indépendance et la paix l'emporteront avec la liberté. Vive la République ! Vive la France !