Le Misanthrope de Molière, mis en scène par Antoine Vitez

13 mars 1988
03m 54s
Réf. 00265

Notice

Résumé :

Extrait de la première scène de la pièce, entre Alceste (Patrice Kerbrat) et Philinte (Jean-Claude Durand), et interview du metteur en scène Antoine Vitez sur Alceste, rôle d'amant jaloux écrit par Molière pour lui-même, et où se retrouvent les souffrances physiques et morales de l'auteur.

Date de diffusion :
13 mars 1988
Source :
Fiche CNT :

Éclairage

Lorsque Molière donne Le Misanthrope en juin 1666, il se trouve dans une période très difficile de sa carrière : son Tartuffe est interdit depuis 1664, il a été obligé d'étouffer son Dom Juan sous diverses menaces, et il fait lui-même l'objet d'accusations infamantes concernant sa vie amoureuse. Il est tentant de relier à ce contexte douloureux cette grande comédie en cinq actes qui est sans doute la plus sombre de Molière. Celui-ci, cependant, n'avait pas pour autant renoncé à faire rire : les contemporains de Molière évoquent un jeu bouffonnant, conforme aux emplois traditionnels du comédien. La révolte d'Alceste contre les règles sociales, son idéal trop exigeant, son refus des satisfactions de l'ironie telles que Philinte les lui propose, tout cela n'est pas dénué de ridicule, au même titre que la jalousie d'un Arnolphe ou la manie dévote d'un Orgon. La pièce ne présente pas de source théâtrale connue, mais elle s'appuie largement sur la théorie des humeurs qui dominait alors la médecine et la psychologie : la personnalité d'Alceste, « atrabilaire amoureux » comme l'indique le sous-titre de la pièce, s'explique par un déséquilibre de ses quatre humeurs, dominées par la « mélancolie » ou « bile noire » (ou encore « atrabile »), qui lui donne un tempérament sombre et pessimiste, peu enclin aux compromis.

Lorsqu'il met en scène la pièce en 1988 au Théâtre National de Chaillot, dix ans après une première mise en scène créée en Avignon, Antoine Vitez s'intéresse avant tout aux résonnances les plus graves de la pièce et la lit comme une pièce autobiographique qui rendrait compte des tourments de Molière. Des deux traditions qu'il distingue pour l'interprétation du Misanthrope, la comique et la tragique, c'est donc bien la seconde qu'il choisit, donnant à voir un spectacle aux accents raciniens.

Céline Candiard

Transcription

(Silence)
Jean-Claude Durand
Qu’est-ce donc ? Qu’avez-vous ?
Patrice Kerbrat
Laissez-moi, je vous prie.
Jean-Claude Durand
Mais encore, dites-moi, quelle bizarrerie ?
Patrice Kerbrat
Laissez-moi là, vous dis-je et courez vous cacher.
Jean-Claude Durand
Mais on entend les gens au moins sans se fâcher !
Patrice Kerbrat
Moi, je veux me fâcher et ne veux point entendre.
Jean-Claude Durand
Dans vos brusques chagrins, je ne puis vous comprendre. Et quoi qu’ami, enfin, je suis tout des premiers.
Patrice Kerbrat
Moi, votre ami ? Rayer cela de vos papiers. J’ai fait jusques ici profession de l'être Mais après ce qu’en vous, je viens de voir paraître, je vous déclare net que je ne le suis plus et ne veux nulle place en des cœurs corrompus.
Jean-Claude Durand
Je suis donc bien coupable, Alceste, à votre compte.
Patrice Kerbrat
Allez ! Vous devriez mourir de pure honte. Une telle action ne saurait s’excuser et tout homme d’honneur s’en doit scandaliser. Je vous vois accabler un homme de caresses et témoigner pour lui les dernières tendresses; de protestations, d’offres et de serments. Vous chargez la fureur de vos embrassements et quand je vous demande après quel est cet homme ? À peine pouvez-vous dire comme il se nomme. Votre chaleur pour lui tombe en vous séparant et vous me le traitez à moi d’indifférent. Morbleu, c’est une chose indigne, lâche, infâme de s’abaisser ainsi jusqu’à trahir son âme. Et si par malheur j’en avais fait autant, je m’irais de regret pendre tout à l’instant.
Antoine Vitez
Dans chaque pièce de Molière, il y a un rôle tout à fait significatif qui était décrit par Molière pour soi-même. Dans Le Misanthrope, il écrit le rôle d'Alceste pour soi-même. On voit là un homme qui est à la fois un amant et un mari qui est un jaloux, qui est un homme passionné, intolérant et obsédé par la fidélité conjugale, obsédé par l’infidélité des femmes et de sa femme en particulier. Et il écrit cela, plusieurs fois il l'écrit dans L'Ecole des femmes et dans Le Misanthrope. C’est aussi un homme qui souffre. Alors quand je dis qu’il souffre, il souffre moralement et il souffre physiquement. On sait qu’il était malade. Il est devenu assez vite dans sa vie malade et il est mort jeune. Et par ailleurs il souffrait, il souffrait de l’âme
Patrice Kerbrat
Quel avantage a-t-on qu’un homme vous caresse, vous jure amitié, foi, zèle, estime ou tendresse et vous fasse de vous un éloge éclatant, lorsque au premier faquin, il court en faire autant. Non ! Non ! Il n’est point d’âme un peu bien située qui veuille d’une estime ainsi prostituée. Et la plus glorieuse a des régals peu chers, dès qu’on voit qu’on nous mêle avec tout l’univers. Sur quelques préférences, une estime se fonde, mais c’est n’estimer rien qu’estimer tout le monde.