L'Illusion comique de Corneille, mis en scène par Georges Wilson au TNP de Chaillot

20 mars 1966
05m 39s
Réf. 00261

Notice

Résumé :

Interview du metteur en scène Georges Wilson qui évoque sa fascination pour cette pièce de jeunesse, ce « monstre » alors peu joué de Corneille : auteur visionnaire, Corneille propose ici une réflexion sur le spectacle vivant et ses moyens, réflexion que la concurrence du cinéma rend de nouveau actuelle. Extraits du début de la pièce, acte I et premières scènes de l'acte II.

Date de diffusion :
20 mars 1966
Source :
ORTF (Collection: Le théâtre )
Compagnie :

Éclairage

Né à Rouen en 1606, Corneille est le premier dramaturge français de métier que la postérité retiendra. Sa carrière commence à l'époque où le théâtre à Paris, financièrement encouragé par le pouvoir royal, devient une activité professionnelle à part entière : inspirés par l'exemple des Italiens, dont plusieurs séjours dans la capitale française ont séduit le public, les comédiens gagnent en virtuosité et leur métier se structure sur le modèle de celui des artisans. Pierre Corneille, issu d'une famille bourgeoise, est d'abord tenté par le métier d'avocat avant se lancer dans la littérature. Ses premières pièces, à commencer par Mélite en 1629, sont des comédies.

Corneille est encore un jeune auteur lorsqu'il fait représenter L'Illusion comique en 1636 au Théâtre du Marais, la jeune troupe en plein essor qui fait alors concurrence à celle du Roi à l'Hôtel de Bourgogne. Comme plusieurs pièces de la même époque (Célinde de Baro en 1629, La Comédie des comédiens de Gougenot en 1633), c'est une comédie écrite à la gloire du théâtre, mettant en scène les aventures d'un jeune couple de comédiens en jouant sur l'illusion théâtrale. Afin de mettre en valeur une nouvelle recrue de la troupe, un comédien spécialisé dans les rôles de capitans, Corneille y intègre le rôle fantaisiste de Matamore.

La mise en scène proposée par Georges Wilson à Chaillot en 1966 s'inscrit dans la tradition du Théâtre National Populaire et de Jean Vilar : il s'agit avant tout pour lui de mettre un grand classique à la disposition du plus grand nombre. Pour cela, il a recours à des costumes historiques qui permettent aux spectateurs d'identifier la pièce comme une œuvre ancienne, mais il fait appel au compositeur Georges Delerue, associé au cinéma de la Nouvelle Vague, pour donner au spectacle une atmosphère de modernité. Quant à la « tragédie » du cinquième acte, Wilson choisit de la démasquer comme illusion en la plaçant sur des tréteaux de théâtre, la désignant ainsi comme un numéro à part, au même titre que les bouffonneries de Matamore, dont il assume lui-même le rôle.

Céline Candiard

Transcription

Journaliste
Georges Wilson, l’Illusion comique est un Corneille peu connu, mal connu et fort rarement joué. Et on peut penser même qu’il est si difficile à jouer. Pourquoi l’avez-vous choisi pour le répertoire du TNP ?
Georges Wilson
J’avais basé la saison, le début de la saison sur les auteurs français. Et après Giraudoux, nous avons pris le risque de monter une pièce de Gatti, et c’est un vieux projet que j’avais, et un vieux compte à régler avec Corneille. J’ai toujours pensé que Corneille était à une certaine époque de sa vie un visionnaire. Et j’ai pensé qu’en juxtaposant Corneille à Gatti, on aurait une sorte de pulsation de jeunesse.
Journaliste
Mais c’est le Corneille en liberté, c'est le Corneille avant le classicisme au fond.
Georges Wilson
C’est cela, oui. C'est ce que nous pourrions dire aussi, c'est... c’était un Shakespeare en herbe, enfin c’était l’inventeur du cinéma, c’était l’inventeur de la télévision. Il avait pensé... c’est le premier à avoir pensé au flash-back, c’est le premier à avoir pensé à toutes les ressources de la scène. Et il a livré cette espèce, ce qu’il appelle lui-même d’ailleurs, cette erreur, ce monstre. Et ce monstre m’a toujours séduit, et c’est pourquoi j’ai pensé aussi que la troupe dont je dispose actuellement pouvait jouer cette œuvre de jeunesse.
Journaliste
Il faut préciser que c’est en effet là, un jeu de théâtre, c'est-à-dire un jeu de l’illusion entre la réalité et l’illusion.
Georges Wilson
Pleinement, mais nous avons à lutter nous théâtre moderne actuel, enfin théâtre de 1966 avec toute la technique cinématographique, avec toute la technique de la télévision. Et là bien sûr, il n’en est pas question puisque sur le plan culturel, nous devons livrer une œuvre de Corneille sans essayer de la maquiller, ni de lui surajouter des moyens techniques modernes. Donc, moi j’ai essayé avec ce dont disposait Corneille ou presque, de recréer le moment où Corneille pensait à l’avenir et à la technique du spectacle. Et je crois que le spectateur aussi dans la salle a l’impression d’être avec Corneille.
Journaliste
Mais en somme, ce Corneille retrouve soudain une actualité pour vous.
Georges Wilson
Oui, c’est certain, comme toutes les pièces que j’essaie de monter.
Journaliste
Donc, au début de la comédie, nous voyons un bourgeois, Pridamant, qui s’en va rendre visite à un magicien pour qu’il lui fasse voir un fils disparu.
Comédien 1
Où fait-il sa retraite ? En quel lieu dois-je aller ? Fût-il au bout du monde, on m’y verra voler.
Comédien 2
Ma baguette à la main, j’en ferai davantage. Jugez de votre fils par un tel équipage, eh bien, celui d’un prince a-t-il plus de splendeur, et pouvez-vous encore douter de sa grandeur ?
Comédien 1
De l’amour paternel vous flattez les tendresses, mon fils n’est point de rang à porter ces richesses. Serait-il marié ?
Comédien 2
Je vais, de ses amours et de tous ses hasards, vous faire le discours. Toutefois, si votre âme était assez hardie, sous une illusion ; vous pourriez voir sa vie et tous ses accidents devant vous exprimés par des spectres, pareils à des corps animés. Il ne leur manquera ni geste, ni parole. Voyez déjà paraître sous deux fantômes vains votre fils et son maître.
Comédien 1
Oh Dieu, je sens mon âme après lui s’envoler.
Comédien 2
Faites-lui du silence et l’écoutez parler.
(Silence)
Comédien 3
Contemple mon ami, contemple ce visage. Tu vois un abrégé de toutes les vertus. D’un monde d'ennemis, sous mes pieds abattus, dont la race est périe, et la terre déserte. Pas un qu'à son orgueil n’a jamais dû sa perte. Tous ceux qui font hommage à ma perfection conservent leurs Etats par leurs submissions. En Europe, où les rois sont d’une humeur civile, je ne leur rase point de château ni de ville, je les souffre régner. Mais chez les Africains, partout où j’ai trouvé des rois un peu trop vains, j’ai détruit les pays pour punir leurs monarques, et leurs vastes déserts en sont de bonnes marques. Ces grands sables qu'à peine on passe sans horreur, sont d'assez beaux effets de ma juste fureur.
Comédien 4
Revenons à l’amour, voici votre maîtresse.
Comédien 3
Ce diable de rival l’accompagne sans cesse ?
Comédien 4
Où vous retirez-vous ?
Comédien 3
Ce fat n’est pas vaillant, mais il a quelque humeur qui le rend insolent, peut-être qu’orgueilleux d’être avec cette belle, il serait assez vain pour me faire querelle.
Comédien 4
Ça serait bien courir lui-même à son malheur.
Comédien 3
Lorsque j’ai ma beauté, je n’ai point de valeur.
Comédien 4
Cessez d’être charmant et faites-vous terrible.
Comédien 3
Mais tu n’en prévois pas l’accident infaillible. Je ne saurais me faire effroyable à demi, je tuerais ma maîtresse avec mon ennemi. Attendons en ce coin l’heure qui les sépare.