La Place Royale mise en scène par Brigitte Jaques, un film de Benoît Jacquot

07 août 1995
05m 59s
Réf. 00269

Notice

Résumé :

Acte I, scène 1 de la pièce, où Phylis (Marie-Armelle Deguy) tâche en vain de convaincre Angélique (Anne Consigny) de répondre aux avances de son frère Doraste. Angélique, qui aime Alidor, affirme sa fidélité, tandis que Phylis refuse de s'engager de manière exclusive.

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Date de diffusion :
07 août 1995
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Éclairage

Avec La Place Royale, créée au Théâtre du Marais en 1634, Pierre Corneille signe sa quatrième comédie et s'impose auprès du public parisien comme le nouvel auteur dramatique à la mode. Comme dans Mélite (1629), La Veuve (1632) et La Galerie du Palais (1633), il propose une nouvelle forme de comédie centrée sur les enjeux sentimentaux, délicate et dépourvue d'effets bouffons, plus proche de la pastorale que de la comédie à l'antique. En donnant à voir les revirements amoureux d'Alidor et les tourments d'Angélique, Corneille ne cherche pas à faire rire son public, mais plutôt à l'émouvoir et à le divertir de manière raffinée. En situant son action dans un lieu parisien très fréquenté, la Place Royale, devenue aujourd'hui Place des Vosges, il cherche à produire un effet d'identification de son public avec la jeunesse délicate et fiévreuse de sa comédie.

Par sa mise en scène présentée au Théâtre de la Commune d'Aubervilliers en 1992, Brigitte Jaques ressuscite une pièce que l'on ne jouait plus au théâtre depuis longtemps. Afin de respecter la démarche d'identification de Corneille tout en marquant quelque peu la distance qui sépare les spectateurs de ce texte ancien, elle choisit de situer ses personnages dans le passé proche des années 1960, dans une salle de café. Le vers est dit avec clarté et naturel, intégré de façon fluide à un jeu spontané qui rappelle l'esthétique de la Nouvelle Vague. Cet effet est encore souligné dans la captation par la réalisation de Benoît Jacquot, dont la caméra suit de près les mouvements des comédiens et les accompagne par moments jusque dans les coulisses.

Céline Candiard

Transcription

(Silence)
Anne Consigny
Ton frère, je l’avoue, a beaucoup de mérite. Mais souffre qu’envers lui cette éloge m’acquitte et ne m’entretiens plus des feux qu’il a pour moi.
Marie-Armelle Deguy
C’est me vouloir prescrire une trop dure loi. Puis-je, sans étouffer la voix de la nature, dénier mon secours aux tourments qu’il endure?
Anne Consigny
Quoi ?
Marie-Armelle Deguy
Tu m’aimes, il meurt et tu peux le guérir. Et sans t’importuner je le verrais périr ? Ne me diras-tu point que j’ai tort de le plaindre ?
Anne Consigny
Le mal est bien léger d’un feu qu’on peut éteindre.
Marie-Armelle Deguy
Je sais qu’il le devrait ! Mais avec tant d’appas, le moyen qu’il te voie et ne t’adore pas ? Ses yeux ne souffrent point que son coeur soit de glace. On ne pourrait aussi m'y résoudre en sa place. Et tes regards sur moi, plus forts que tes mépris te sauraient conserver ce que tu m’aurais pris.
Anne Consigny
S’il vit dans une humeur tellement obstinée, je puis bien m’empêcher d’en être importunée. Feindre un peu de migraine, ou me faire celer, c’est un moyen bien court de ne lui plus parler. Mais ce qui me déplaît et qui me désespère c’est de perdre la soeur, pour éviter le frère ! Rompre notre commerce et fuir ton entretien. Puisque te voir encore c’est m’exposer au sien ! Du moins, s’il faut quitter cette douce pratique, ne mets point en oubli l’amitié d’Angélique. Et crois que ses effets auront leur premier cours aussitôt que ton frère aura d’autres amours.
Marie-Armelle Deguy
Tu vis d’un air étrange et presque insupportable.
Anne Consigny
Que toi-même, pourtant trouverais équitable, mais la raison sur toi ne saurait l’emporter dans l’intérêt d’un frère, on ne peut l’écouter.
Marie-Armelle Deguy
Et par quelle raison négliger son martyre ?
Anne Consigny
Vois tu j’aime Alidor, et cela c’est tout dire. Le reste des mortels pourrait m’offrir des voeux je suis aveugle, sourde, insensible pour eux ! La pitié de leurs maux ne peut toucher mon âme que par des sentiments dérobés à ma flamme ! On ne doit point avoir des amants par quartier ; Alidor a mon coeur et l’aura tout entier. En aimer deux c’est être à tous deux, infidèle !
Marie-Armelle Deguy
Qu’Alidor seul te rende à tout autre cruelle, c’est avoir pour le reste un coeur trop endurci !
Anne Consigny
Pour aimer comme il faut, il fait aimer ainsi !
Marie-Armelle Deguy
Dans l’obstination où je te vois réduite, j’admire ton amour et ris de ta conduite. Fasse état qui voudra de ta fidélité, je ne me pique point de cette vanité. On a peu de plaisirs quand un seul les fait naitre. Au lieu d’un serviteur, c’est accepter un maître. Quand on n'en souffre qu’un, qu’on ne pense qu’à lui, tous autres entretiens nous donnent de l’ennui. Il nous faut de tout point vivre à sa fantaisie, souffrir de son humeur, craindre sa jalousie. Et de peur que le temps n’emporte ses ferveurs, le combler chaque jour de nouvelles faveurs. Notre âme, s’il s’éloigne, est chagrine, abattue, sa mort nous désespère et son change nous tue. Et de quelque douceur que nos feux soient suivis, on dispose de nous sans prendre notre avis. C’est rarement qu’un père à nos gouts, s’accommode. Et lors, juge quels fruits on a de ta méthode. Pour moi, j’aime un chacun, et sans rien négliger le premier qui m’en compte a de quoi m’engager. Ainsi tout contribue à ma bonne fortune. Tout le monde me plaît. Et rien ne m’importune, de mille, que je rends l’un de l’autre jaloux, mon coeur n’est à pas un, et se promet à tous ! Pas un d’eux ne me traite avec tyrannie, et mon humeur égale à mon gré, les manies. Je ne fais à pas un tenir lieu de mignon. Et c’est à qui l’aura dessus son compagnon. Ainsi tous, à l’envi s’efforcent à me plaire ! Tous vivent d’espérance et briguent leur salaire. L’éloignement d’aucun ne saurait m’affliger. Mille encore présents m’empêchent d’y songer. Je n’en crains point la mort, je n’en crains point le change. Un monde m’en console aussitôt. Ou m’en venge. Le moyen que de tant et de si différents quelqu’un n'ait assez d'heur pour plaire à mes parents ; et si leur choix fantasque un inconnu m'allie, ne crois pas que pourtant j’entre en mélancolie. Il aura quelques traits de tant que je chéris, et je puis avec joie accepter tous maris !
Anne Consigny
Voilà fort plaisamment tailler cette matière, et donner à ta langue une longue carrière. Ce grand flux de raisons dont tu viens m’attaquer est bon à faire rire et non à pratiquer. Simple, tu ne sais pas ce que c’est que tu blâmes et ce qu’a de douceurs l’union de deux âmes. Tu n’éprouvas jamais de quels contentements se nourrissent les feux des fidèles amants. Qui peut en avoir mille en est plus estimée, mais qui les aime tous, de pas un n’est aimée ! Elle voit leur amour soudain se dissiper ! Qui veut tout retenir, laisse tout échapper !
Marie-Armelle Deguy
Défais-toi, défais-toi de ces fausses maximes. Ou si ces vieux abus te semblent légitimes, si le seul Alidor te plaît desous les cieux, conserve-lui ton coeur, mais partage tes yeux ! De mon frère par là, soulage un peu les plaies ! Accorde un faux remède à des douleurs si vraies. Trompe-le, je t’en prie. Et sinon, par pitié, pour le moins par vengeance, ou par inimitié.
Anne Consigny
Le beau prix qu’il aurait de m’avoir tant chérie si je ne le payais que d’une tromperie, pour salaire des maux qu’il endure en m’aimant. Il aura qu’avec lui je vivrai franchement.
Marie-Armelle Deguy
Franchement, c'est-à-dire avec mille rudesses, le mépriser, le fuir et par quelques adresses qu’il tâche d’adoucir. Quoi, me quitter ainsi et sans me dire adieu ? Le sujet !