Britannicus mis en scène par Brigitte Jaques-Wajeman au Théâtre du Vieux-Colombier

25 février 2004
03m 59s
Réf. 00274

Notice

Résumé :

Interview de Brigitte Jaques-Wajeman, qui explique avoir choisi Dominique Constanza pour jouer Agrippine afin de donner au personnage charme et féminité, à l'encontre des mises en scène traditionnelles. Extrait de la scène 2 de l'acte IV, entre Agrippine et Néron. Reprise de l'interview, où la metteuse en scène évoque l'« amour de prédation » qui traverse les pièces de Racine.

Date de diffusion :
25 février 2004
Source :
Fiche CNT :

Éclairage

Britannicus, que Racine fait jouer en 1669, intervient à un moment stratégique de sa carrière : la tragédie vient confirmer la réussite d'Andromaque auprès du public, mais elle vaut aussi à son auteur les premières approbations des doctes et l'impose comme le digne rival de Corneille, dont elle reprend l'inspiration romaine et politique. Racine emprunte en effet son sujet aux Annales de l'historien romain Tacite, qui raconte les années sombres du règne de Néron. Il est cependant le premier auteur tragique à proposer une pièce sur l'épisode de la mort de Britannicus : en cela, il se montre novateur et s'écarte de ses premiers sujets de tragédie. Il innove également en inventant le personnage de Junie, qui introduit une dimension amoureuse dans une intrigue avant tout politique.

Dans sa mise en scène, réalisée au Théâtre du Vieux Colombier en 2004, Brigitte Jaques-Wajeman s'intéresse au premier chef au rapport incestueux de Néron et Agrippine, par ailleurs attesté par Tacite : son Néron (Alexandre Pavloff) est infantile, à la fois tyrannique et terrifié devant sa mère Agrippine (Dominique Constanza), elle-même possessive et insatiable d'amour. Le décor est épuré et donne à voir, outre quelques fauteuils, une colonne mobile rouge sang qui se déplace tout au long du spectacle et finit par s'immobiliser au milieu de la scène, figurant le cordon ombilical qui relie le jeune empereur à sa mère dévorante. La violence de la pièce apparaît ainsi comme nécessaire, contenue dès le départ dans la relation de la mère et du fils. Narcisse (Jean-Baptiste Malatre), avec sa pâleur glaciale, apparaît comme une allégorie du mal qui séduit Néron.

Céline Candiard

Transcription

Présentateur
Vous avez choisi, pour interpréter Agrippine, Dominique Constantza. Pourquoi est-ce que vous avez choisi cette comédienne là ? Qui me faisait... alors je sais pas, elle fait un peu penser à Eva Peron, par exemple, dans la manière dont elle incarne finalement le suppôt du dictateur ?
Brigitte Jaques-Wajeman
Oui, c’est joliment dit. Euh... je voulais une Agrippine délicate, féminine, et sortir un peu de cette vision de matrone qu’on a habituellement. Agrippine qui commande et qui est... trop facile je trouve. Et puis je voulais quelqu’un de beaucoup plus... oui une grande fémininité, voilà. Et donc... et la dimension aussi d’une femme encore jeune ; qui a encore son... qui a encore quelque chose devant elle, quoi... qu’en même temps elle dit que c’est sa chute etc. Mais pas d’une espèce de... vous voyez... matrone terrifiante. Et Dominique Constantza est une actrice que j’adore depuis très longtemps... voilà.
Présentateur
On la voit ici donc, on est quasiment à la fin de la pièce, l’acte IV scène 2, Agrippine dévoile à Néron, son passé... son passé de criminelle et il semble à ce moment-là qu’Agrippine, récupère dans son giron, Néron. Ce qui n’est pas le cas, ce qui ne sera pas le cas. Regardez.
Dominique Constanza
Le sénat fut séduit. Une loi moins sévère mit Claude dans mon lit, et Rome à mes genoux. C'était beaucoup pour moi, ce n'était rien pour vous. Je vous fis sur mes pas entrer dans sa famille ; Je vous nommais son gendre, et vous donnais sa fille : Silanus, qui l'aimait, s'en vit abandonné et marqua de son sang ce jour infortuné. Ce n'était rien encore. Eussiez-vous pu prétendre qu'un jour Claude à son fils dût préférer son gendre ? De ce même Pallas j'implorai le secours, Claude vous adopta, vaincu par ses discours, vous appela Néron ; et du pouvoir suprême voulut avant le temps, vous faire part lui-même.
Présentateur
Terrifiant, hein ?
Brigitte Jaques-Wajeman
C’est terrifiant, oui. Vraiment quand on le lit, justement attentivement, on voit comment une mère ose dire une chose comme ça à son fils. Comment elle raconte à un jeune homme par quoi elle est passée pour arriver là où elle est arrivée. C’est… on peut comprendre qu’il devienne absolument criminel véritablement.
Présentateur
On peut comprendre qu’il devienne. Donc, là, on n’est déjà plus dans le temps de Britannicus, et ma question porte sur le pouvoir. Quel est ce pouvoir que vous décrivez ? Est-ce que c’est un pouvoir d’Etat ? Est-ce que c’est un pouvoir politique ? Est-ce que c’est un pouvoir fusionnel de destruction sur l’autre ? Quel est ce pouvoir que vous essayez de cerner dans votre mise en scène ?
Brigitte Jaques-Wajeman
Oui, il me semble que c’est plutôt ça. C’est le pouvoir sur l’autre. C’est le pouvoir sur... à la fois les âmes et les corps quitte à les détruire. Il me semble que c’est ça quand même la marque de Racine. C’est la rencontre de l’autre et comment… c’est des amours, ce que j’appelle les amours de prédation, ça. Il y a en effet un sentiment amoureux extraordinaire, dans tous les sens du terme, mais c’est pour avoir l’autre. Pour réellement l’ingurgiter et au fond presque le faire disparaitre. Il a été très loin là-dedans. Et dans ce sens au fond, on rencontre quelque chose de ce que nous on connaît.
Présentateur
En même temps, on a quand même l’impression que vous, vous nous aidez à le relire.
Brigitte Jaques-Wajeman
Oui, j’essaye.
Présentateur
Tout ce qu’on reçoit de la pièce, c’est quand même une violence qu’on n’avait pas gardée du lycée, dans nos lectures du lycée, ou même après. Ça c’est... c'est là où c’est fort intéressant de revoir Britannicus vu par vous.