Les goémoniers
Notice
Mi-pêcheurs, mi-paysans, les goémoniers récoltent de père en fils le goémon, à l'aide d'une légère embarcation et d'un skoubidou. Cette algue, qui sert traditionnellement à fertiliser les sols, trouve de nouveaux débouchés dans l'industrie.
Éclairage
Les goémoniers sont les pêcheurs de goémon ou de varech, qui sont des algues brunes, rouges ou vertes, des espèces laminaires et fucales.
Aux siècles derniers, les algues représentent l'une des principales richesses de l'estran, servant d'engrais, de combustible et de nourriture pour les animaux principalement. Depuis l'Ordonnance de la Marine de Colbert (1685), on distingue trois types de goémon :
- le goémon épave, qui est arraché par la mer et rejeté sur le rivage
- le goémon rive ou de coupe, qui est coupé sur les rochers
- le goémon de fond, coupé en mer à bord d'un bateau.
L'activité de ramassage des algues se développe en Bretagne avec la découverte des propriétés de la soude et de l'iode au XVIIIe siècle, et la construction d'usines de produits chimiques exploitant ces composants, au XIXe siècle. C'est surtout dans le pays du Léon, entre la baie de Lannion et la rade de Brest, que l'activité croît, faisant de cette région la première productrice d'algues de France depuis le XIXe siècle. Sur ces côtes, les champs d'algues sont les plus étendus et les plus riches, et presque toute la communauté se concentre sur la récolte du goémon).
Et cette récolte, qui dure de mai à octobre, demande en effet beaucoup de main d'oeuvre, et met à contribution les familles entières. Plusieurs outils sont utilisés pour récolter les algues :
- Le râteau est l'instrument le plus simple, il permet de ramasser le goémon épave sur le rivage.
- Le croc permet quant à lui de charger et décharger le goémon lors de son transport en charrette.
- Pour couper les algues, les goémoniers utilisent la faucille (à sec) ou la guillotine (en bateau), remplacée vers 1960 par le skoubidou, un outil en forme de crochet qui comporte une manivelle au bout du manche, permettant un mouvement de rotation qui arrache les algues.
Une fois ramassées, les algues sont transportées dans des paniers, des hottes, des civières, des brouettes, des charrettes ou par des treuils, afin de les mettre hors d'atteinte de la mer. Commence alors l'étape délicate de l'étalage et du séchage, traditionnellement accomplie par les femmes et les enfants. Il faut en effet sécher les algues au vent et au soleil pour les conserver. Les algues sont donc étalées sur les dunes, les champs en friches ou des piquets, lorsque l'on manque de place, mais toute pluie ou brume entraîne le pourrissement des récoltes. Les étés pluvieux sont donc désastreux. Une fois séchées, les algues sont stockées puis brûlées si elles sont destinées aux usines utilisant la soude.
Toutefois, avec l'arrivée des engrais chimiques les usines de produits chimiques utilisent d'autres sources que le goémon pour la soude ou l'iode. Le métier de goémonier décline dans les années 1960, d'autant plus que les jeunes hommes fuient un métier difficile, incertain et saisonnier, qui ne permet donc pas toujours de gagner correctement sa vie.
Pourtant, dans les années 1960, la fabrication des alginates devient de plus en plus importante, avec la perte de vitesse des usines d'iode. Les alginates sont des additifs alimentaires créés à base d'algues, utilisés dans la fabrication de sous-produits agricoles (les engrais), de pâtes, de moutardes et de produits chimiques (notamment la gélatine destinée à l'agro-alimentaire et aux cosmétiques). Cette utilisation fait se maintenir la demande en goémon de fond, ce qui amène les goémoniers à envisager de nouvelles techniques qui contribueraient à rendre plus efficace la récolte des algues. Après la motorisation, c'est la mécanisation des bateaux qui est ainsi envisagée.
Le Jean-Rémy, que l'on voit à la fin du reportage, s'inscrit dans les nombreux essais réalisés dans les années 1960 afin de rentabiliser d'avantage la récolte des algues. Il est construit en 1966 sur l'exemple du Tali (1963), premier bateau doté d'un tuyau qui aspire les algues qu'un plongeur coupe. Essai non concluant, le bateau est désarmé en 1979, car les tuyaux se bouchent souvent, les algues y circulent mal, les plongeurs se heurtent aux courants, souvent forts, et sont une main d'oeuvre qui coûte cher. Il faut attendre 1967 avec la construction du Jean-Ogor, qui est doté d'un skoubidou mécanique actionné par une grue, mécanique elle aussi, pour que les innovations fassent leurs preuves. Depuis les années 1970, cette technique s'est généralisée, et est d'ailleurs encore utilisée aujourd'hui. Cette mécanisation permet donc le maintien, voire la renaissance des flottilles de goémoniers, leur permettant des rendements plus importants, et libérant leur famille, et notamment les femmes, qui peuvent occuper un autre emploi. Ainsi, le dernier goémonier manuel prend sa retraite en 1984, alors que la récolte des algues ne se fait plus que par fourches hydrauliques et tracteurs agricoles, et le séchage industriellement.
Aujourd'hui, si la demande en algues ne chute pas, on constate cependant une nette régression du métier : les bateaux sont de plus en plus performants, ils ramassent plus d'algues et demandent une main d'oeuvre moindre. Ainsi, les goémoniers bretons, qui étaient 3 000 en 1945, ne pêchent plus que sur 62 bateaux en 1999. Toutefois, le quasi-monopole du pays du Léon sur la récolte des algues perdure, puisque le premier port d'Europe pour le déchargement des algues est Lanildut (Finistère), qui voit passer environ 35 000 tonnes de goémon par an.
Bibliographie :
Pierre Arzel, Les Goémoniers, Éditions Le Chasse Marée, 1987.
Philippe Jacquin, Le Goémonier, Éditions Berger Levault, collection "Métiers d'hier et d'aujourd'hui", 1980.