Départ d'Eric Tabarly pour les Etats Unis

13 avril 1966
02m 19s
Réf. 00034

Notice

Résumé :

A bord de son bateau, le Pen Duick II, Eric Tabarly a quitté hier La Trinité sur Mer en direction des États Unis. Cette traversée de 45 jours en solitaire a réclamé de nombreux préparatifs.

Date de diffusion :
14 avril 1966
Date d'événement :
13 avril 1966
Source :
Personnalité(s) :

Éclairage

Eric Tabarly, né à Nantes en 1931, rêvait d'étoiles aux manches. En effet, apprenant la passion de la mer sur le bateau de son père - un représentant de commerce issu d'une famille de merciers angevins - il veut être amiral. Mais très vite, le jeune Tabarly admet ne pas avoir le goût des études, la faute à cette liaison sentimentale avec un vieux voilier familial nommé Pen Duick, qu'il veut à tout prix restaurer. Pour financer sa passion coûteuse, il décide de s'engager dans la Royale en 1953, comme simple matelot.

Affecté à Saint-Mandrier puis au Maroc, il est breveté pilote le 15 décembre 1954. Il part ensuite en Indochine, où il demeure jusqu'en avril 1956. Après un millier d'heures de vol, il entre à l'Ecole navale, est nommé aspirant en 1958 et affecté de 1961 à 1963 sur le dragueur Castor à Cherbourg. Puis il rejoint la direction du port de Lorient. En 1965, il obtient le brevet de spécialité d'officier fusilier.

Mais sa vraie passion demeure la course au large. Avec ses amis, les frères Constantini, du chantier naval de La Trinité-sur-Mer (Morbihan), il crayonne les esquisses de Pen Duick II. Tabarly pose sur le pont une bulle en plexiglas pour observer la mer par mauvais temps. A l'intérieur, une selle de Harley-Davidson est fixée pour lui permettre de cuisiner à son aise. Le voilier, peu toilé, peut être mené par un seul homme. Avec ce bateau, il gagne la traversée de l'Atlantique en solitaire en 1964. Ce qui lui vaudra d'être nommé Chevalier de la Légion d'honneur.

Ce voilier ultra léger pour l'époque, taillé dans du contre-plaqué, est révolutionnaire et fait de Eric Tabarly une fierté nationale, une légende. Quinze voiliers se présentaient à Plymouth au départ de cette "transat" et malgré une panne de pilote automatique dès le huitième jour de mer, Tabarly ralliait Newport (Rhode Island) après vingt-sept jours et trois heures de navigation. D'ailleurs assez étonné de sa réussite, le Nantais, en voyant les avions le survoler à l'approche de Newport, déclare : "Si j'étais dernier, il n'y aurait certainement pas autant d'essence brûlée pour moi". Tabarly était une tête froide, toujours en ébullition, qui accouchera d'une série de Pen Duick, à chaque fois en avance d'une marée sur le progrès. En 1969, il s'illustre lors de la course transpacifique en solitaire, à bord du Pen Duick V. Bien que promu lieutenant de vaisseau, sa passion l'éloigne de la Marine, qu'il réintègre cependant en 1971, affecté à l'inspection technique de l'Education physique et des sports. Il la quittera définitivement le 24 juillet 1985, au cours d'une cérémonie à l'Ecole navale.

En 1976, il signe sa deuxième plus grande victoire en remportant l'Ostar, seul, à bord d'un énorme Pen Duick VI, conçu pour un équipage au grand complet. Même une escale forcée à Brest pour réparer ne lui fait pas renoncer à rattraper Alain Colas, alors en tête de la course, et à se lancer dans une poursuite, qui s'avère victorieuse.

Ainsi est né le mythe du héros taciturne. En réalité, son élocution dépendait surtout de ses interlocuteurs et du sujet. Le vieux loup de mer, surnommé "Pépé", pouvait se montrer prolixe et chaleureux. Pour mieux le saisir, il faut peut-être l'écouter parler de son bateau : "Le bateau n'est pas la liberté. Mais naviguer, c'est accepter des contraintes que l'on a choisies. Il est évident que sentir ce pont en bois sous mes pieds me rend heureux et que d'écouter ses bruits familiers, sa manière à lui de me parler, me procure du plaisir". Fondateur de la voile moderne et des défis en solitaire, Eric Tabarly a transmis sa passion de la mer à toute une génération de jeunes navigateurs et a suscité de nombreuses vocations. Il a aussi aidé la France à être fier de son littoral et s'est battu pour le mettre en valeur : la preuve en est avec son dernier combat, gagné, pour maintenir le musée de la Marine à Paris. Aux marins comme aux terriens, "pépé" a montré comment apprivoisé le large.

François Lambert

Transcription

Présentateur
Un autre voyageur solitaire et bien c'est Eric Tabarly qui vous le savez a quitté nos côtes pour celles des Etats-Unis.
Commentateur
Quelque part sur la côte bretonne, quelque part sous le soleil timide d'avril, comme le héros d'une extraordinaire aventure qui a commencé ici à la Trinité-sur-mer. L'aventure, celle de cet homme, Eric Tabarly. Un courage qui se veut discret, un caractère qui s'accommode de la solitude. Une solitude qui est celle de la mer, la mer sur laquelle vogue aujourd'hui le Pen Duick II. Hier dans la matinée, c'était les derniers préparatifs, les derniers contacts avec le monde, avec les choses familières de la terre. Les derniers contacts avec la famille, les derniers sourires d'encouragement échangés au hasard d'un chargement laborieux. Il faut des vivres, beaucoup de vivres pour 45 jours de traversée en solitaire. Il faut des vivres pour de longues courses de 500 000 et 3 600 000 effectuées avec cinq jeunes équipiers, avec des hommes bien décidés à lutter pour vaincre dans une pacifique compétition. Oui, il faut des vivres, des équipiers et aussi, un bateau prêt à supporter les caprices du temps. Prêt à affronter les vagues, ces vagues souvent impressionnantes dont s'anime l'atlantique. Il faut un bateau prêt à capter le moindre souffle du vent et à l'utiliser. Il faut le Pen Duick II dont l'aménagement intérieur a été longuement étudié, dont l'arrière a été raccourci d'1m80 au bénéfice de l'avant prolongé d'un beau prêt. Il faut surtout un homme tel qu'Eric Tabarly. Eric Tabarly qui dès l'âge de 5 ans était initié par son père aux mystères et aux joies de la navigation à voile. Depuis le temps a passé, le temps concrétisé par ce réveil offert au navigateur solitaire par tous ces amis journalistes. Oui, le temps a passé pour arriver à ce 13 avril, à ce 17h, qui ont marqué le départ du vainqueur de l'Atlantique pour une nouvelle croisière. Une croisière qui dans 10 jours passera par les Açores. Là, Eric Tabarly reprendra pendant quelques temps contact avec la terre puis se sera de nouveau la solitude pendant 1 mois, plus peut-être pour atteindre New Port. New Port d'où le navigateur pensera sans doute encore avec émotion aux signes d'adieu de ses parents, de ses amis, venus assister à son départ. New Port d'où Eric Tabarly accompagné cette fois de son équipage commencera le 18 juin une course qui emmènera le Pen Duick II aux Bermudes. 500 000 avant la plus longue des compétitions, les Bermudes-Copenhague 3 600 000. Que dire en forme de voeux, sinon reprendre ces mots de M. Tabarly père : «Courage mon gars et bon vent.»