Le cimetière chinois de Nolette

21 août 2000
02m 06s
Réf. 00419

Notice

Résumé :

Témoignage exceptionnel de Simone, 95 ans, dernier témoin vivant de la venue des travailleurs chinois à Noyelles-sur-Mer pendant la Grande Guerre. Des ouvriers et des paysans amenés par mer dans le nord de la France pour servir de petites mains à l'armée anglaise. Ultime trace de leur passage en terre Picarde, le cimetière chinois de Nolette non loin du littoral picard.

Date de diffusion :
21 août 2000
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Éclairage

Au cours de la Première Guerre mondiale, le problème de la main-d'œuvre conduit les autorités françaises à s'intéresser, dès 1915, à la ressource potentielle existant dans les colonies et en Chine : entre 1914 et 1918, le ministère de la Guerre introduit en France plus de 220 000 ouvriers coloniaux et chinois et un service des travailleurs coloniaux est créé le 1er janvier 1916 au ministère de la Guerre. Une mission militaire, conduite par le lieutenant-colonel Truptil, est envoyée en Chine durant l'hiver 1915-1916 et aboutit, en mai 1916, à la signature d'une convention autorisant l'envoi des premiers contingents. On estime entre 35 et 40 000 le nombre de Chinois recrutés par les Français. Après la bataille de la Somme, la Grande-Bretagne suit l'exemple de la France et à son tour recrute des travailleurs dans ses concessions territoriales en Chine après avoir signé un accord en octobre 1916. 95 000 à 100 000 d'entre eux se retrouvent en France, dans les zones d'implantation de l'armée britannique. On estime donc qu'environ 140 000 travailleurs chinois ont été envoyés en France pendant la Première Guerre mondiale (1).

Les Chinois dont il est question dans le reportage sont ceux sous autorité britannique. Ils sont regroupés en bataillons au sein du Chinese Labour Corps (CLC). Etant donné que lorsque les Chinois débarquent, la Chine n'a pas encore déclaré la guerre à l'Allemagne et à l'Autriche-Hongrie, les Chinois ne peuvent servir dans des unités combattantes. Ils sont utilisés en tant qu'unités de travailleurs. Ils contribuent à l'effort de guerre en creusant des tranchées, en construisant ou en réparant des voies de communication (chemin de fer, routes), en déchargeant et en transportant des équipements et des provisions. Certains bataillons travaillent dans la maintenance de pièces d'artillerie ou dans les fabriques de char. Après l'armistice, ils participent aux premiers travaux de la reconstruction.

Les camps du CLC sont situés pour la plupart à l'arrière, dans le nord de la France, non loin du front. Il y en a ainsi une vingtaine dans le Pas-de-Calais et quatre dans la Somme, dont le camp de Noyelles-sur-Mer, dont il est question dans le reportage. C'est initialement un camp de transit — 90 000 travailleurs chinois engagés par l'arrière du front passèrent par ce camp, mais certains y resteront. Les Chinois étaient logés dans des cabanes en bois, ou sous des tentes accueillant 24, 48 ou 120 personnes (2).

Comme l'indique dans le reportage Jean-Pierre Thierry, qui a participé à la constitution des collections de l'Historial de la Grande Guerre de Péronne, les Chinois dépendant du CLC subissent un régime militaire extrêmement rigide, avec des conditions de travail très rudes, plus que pour ceux sous tutelle française. Les sanctions, y compris corporelles, sont sévères. Les travailleurs écopent de peines de prison en cas de grève. En cas de retard, d'absence ou d'insolence tant à l'égard de leur hiérarchie que des civils, ils doivent payer des amendes, dont le montant est élevé par rapport à leurs salaires.

Le reportage souligne leur isolement par rapport au reste de la population. En effet, les autorités britanniques s'opposent à toutes relations, tant civiles que militaires, entre Européens et Chinois. Mais, comme l'indiquent le reportage et le témoignage, leur présence fait peur aux Picards. De multiples faits indiquent la méfiance, la réserve, la crainte, voire l'hostilité de la population à l'encontre des Chinois, auxquels elle reproche leurs crimes et méfaits. En octobre 1919, le président de la commission interministérielle des régions libérées attire l'attention du maréchal Foch sur le fait que la population du Pas-de-Calais et de la Somme "est terrorisée par les vols, les actes de brigandage, les crimes commis par les Chinois. La situation est devenue intolérable, et les habitants ont peur d'être obligés d'abandonner leurs communes" (3).

La grande majorité des travailleurs chinois est retournée en Chine après la guerre. Le rapatriement des CLC a pris fin en automne 1920. Quelques milliers sont restés en France après la guerre, y ont travaillé et fondé une famille. D'autres sont décédés pendant ou immédiatement après la guerre, sans qu'il soit possible d'en donner une évaluation précise. Selon les sources britanniques, il y eut 2000 victimes chez les CLC ; d'après les sources chinoises, le nombre de victimes serait beaucoup plus élevé : uniquement concernant les Chinois du côté britannique, 27 000 auraient disparu. Les décès ont été provoqués par les maladies, tuberculose ou "grippe espagnole", par des accidents, par des bombardements allemands, par des bagarres...

Réalisé par le major John Reginald Truelove sous l'autorité d'Edwin Luytens, inauguré en 1921, le cimetière de Nolette à Noyelles-sur-Mer, est, avec plus de 800 tombes, la plus grande nécropole chinoise de France. Il est géré par la Commonwealth War Graves Commission. Peu de stèles portent des patronymes et des dates, mais toutes sont agrémentées d'une épitaphe, inscrite en chinois et en anglais, avec parfois des phrases héroïques, comme faithful into death, (fidèle jusqu'à la mort) que l'on voit dans l'une des premières images du reportage.

Cette nécropole bucolique a été longtemps méconnue, comme en témoignent ces quelques lignes de l'historienne Annie Kriegel, dans une communication de décembre 1967 : "Il est, dans un repli de la plaine picarde, un étrange cimetière. A l'écart du village de Noyelles-sur-Mer, à l'écart de la route, rien ne le signale. Pas un drapeau — ce n'est pas un cimetière militaire. A l'entrée, un écriteau : le lieu est entretenu par sa Gracieuse Majesté britannique, ce dont témoignent d'impeccables pelouses. Mais il n'y a pas de croix ; de simples pieux et des inscriptions en caractère chinois" (4). Il est maintenant visité par des Français d'origine chinoise et par des Chinois de Chine. Lieu majeur de mémoire des événements de la Grande Guerre, le cimetière de Nolette est en effet en passe de devenir l'un des lieux de mémoire de la Chine populaire (5).

(1) Voir l'article de Li Ma, “La mission Truptil et les travailleurs chinois en France” dans Li Ma (sous la direction de), Les travailleurs chinois en France pendant la Première Guerre mondiale, Paris, CNRS éditions, 2012, p. 51-90.

(2) Yassine Chaïb, “Le cimetière chinois de Nolette. Le tourisme des mémoires”, Ecarts d'identité, n°115, 2009, p. 45.

(3) Xavier Boniface, “Camps militaires britanniques et travailleurs chinois” dans Li Ma (sous la direction de), op.cit., p. 157-176.

(4) Cité par Jean-Jacques Becker, “Les travailleurs chinois et la France pendant la Grande Guerre” dans Ibid., p. 41.

(5) Yassine Chaïb, art. cit., p. 48.

Philippe Nivet

Transcription

Yolande Malgras
Une page d’histoire pour terminer avec un témoignage exceptionnel, celui de Simone, 95 ans, dernier témoin vivant de la venue des travailleurs chinois à Noyelles-sur-Mer pendant la Grande guerre. Des ouvriers et des paysans amenés par mer dans le nord de la France pour servir de petites mains à l’armée anglaise. Ultimes traces de leur passage en terre picarde : le cimetière chinois de Nolette, non loin du littoral. Hélene Chauwin, Jean-Paul Delance.
Hélène Chauwin
Pas de nom ni d’âge. A Noyelles-sur-Mer, 849 Chinois sont enterrés, anonymes. Dans le village, Simone est le dernier témoin de leur histoire. En 17, quand ils sont arrivés, elle avait 12 ans.
Simone Hecquet
On était en classe, et l’institutrice nous a fait sortir. C’était une école par-là. Et puis elle a fait sortir parce qu’elle savait que les Chinois allaient débarquer. Alors les petits ont eu peur. Ils sont rentrés tellement ils criaient. Avec leur natte sur leur dos, les habits matelassés, ils avaient froid ici, bien sûr.
Hélène Chauwin
De 1916 à 1918, l’armée britannique a fait venir plus de 95 000 Chinois. Ils transitaient par le camp de Noyelles-sur-Mer avant d’être répartis dans tout le nord de la France. Ils ne portaient jamais d’armes. Ils étaient employés comme manutentionnaires. A l’arrière-front, ils construisaient des voies de chemin de fer, transportaient des vivres ou des munitions. Ils n’allaient au village que très rarement.
Simone Hecquet
Eux n’avaient pas de rapports avec nous. Ils venaient accompagnés des Anglais. Alors il y avait deux bidons de lait, ils remontaient dans leur bazar et ils partaient.
Hélène Chauwin
Un isolement volontaire. Le choc culturel entre ces travailleurs de la Chine impériale et les Picards était trop brutal. Ils effrayaient les villageois. Ils vivaient à l’écart, dans leurs baraquements, sous les ordres des Britanniques.
Jean-Pierre Thierry
Ils n’étaient automatiquement pas très bien traités. Parce que d’abord, la discipline britannique était extrêmement rigide. En plus de ça, les Chinois, ma foi, étaient considérés un petit peu comme… un peu comme des sous-hommes, n’est-ce pas.
Hélène Chauwin
En 19, les travailleurs chinois ont été progressivement rapatriés. Plusieurs milliers sont morts en France, victimes du froid et des épidémies.