Le ballon au poing dans les villages de la Somme

15 septembre 1993
05m 13s
Réf. 00806

Notice

Résumé :

Magazine consacré au ballon au poing, un sport apparenté aux jeux anciens comme le jeu de paume pratiqué dans les villages du nord de la Somme. Historique règles et pratiques de ce sport avec Jacques Godefroy, ancien joueur d'Hérissart et René Cazier, secrétaire général de la Fédération française. Ce jeu de gagne terrain se pratique avec des chasses avec un ballon spécifiques. Six joueurs par équipes : cordiers, milieu de corde, basses-volées, et le foncier.

Type de média :
Date de diffusion :
15 septembre 1993
Source :
France 3 (Collection: Témoins )

Éclairage

Le ballon au poing tel qu'il nous apparaît aujourd'hui, est un sport récent. Sa précocité est cependant toute relative car il aurait été inventé au milieu du XIXe siècle. Il fait partie de ce que l'on peut appeler un sport moderne à l'image des jeux de balle et de ballon comme le football, le rugby, le basket-ball, le tennis, etc.

Son invention a directement été liée à celle du caoutchouc. Il n'aurait jamais existé sans le rebond opéré par le ballon, rebond permettant les échanges répétés, même s'il est possible par ailleurs d'échanger de volée.

Il est dit que le ballon au poing est un sport issu de la tradition des jeux de paume de la Grèce antique. Le principe de la balle chassée, appelée Phéninde (phaeninda) à l'origine, a été conservé, les deux camps se faisant face, l'on échangeait tour à tour le ballon, la balle, la pelote... sans se faire de passes à l'intérieur de chaque camp, contrairement à la "balle commune" qui a donné le football, le rugby ...

Avant l'invention du caoutchouc issu du latex secrété entre autre par l'hévéa, le ballon ne rebondissait pas, il était plus volumineux, constitué d'une vessie de porc ou d'un autre animal, remplie de foin ou de bourre. Certaines gravures nous montrent le jeu de ballon, de "gros ballon" propulsé certes par le poing, mais protégé de brassard en bois, à l'image du pallone al bracciale encore pratiqué aujourd'hui en Italie en Toscane et du pallone élastico ou palla pugno dans le Piémont. En France, l'on a pratiqué ce jeu de ballon muni de brassard dans la région de Montpellier jusqu'en 1861 pour laisser la place au jeu de tambourin.

En Amérique du Sud, le caoutchouc naturel permettait aux amérindiens de confectionnaient des balles ; ils associaient le caoutchouc aux mythes de la création, la matière devenait sacrée, le rebondissement incessant mimant la course du soleil dans le jueguo de pelota (jeu de balle précolombien).

Ce n'est qu'au milieu du XIXe siècle que cette découverte est exploitée pour confectionner les premières gommes, pour des pneumatiques pleins (1835), de tubes souples gonflés (chambre à air de Dunlop en 1887 ) et les balles et ballons, appelés "folies" à l'époque, à cause de leur pouvoir bondissant. On remplace donc la vessie de porc par une vessie de caoutchouc gonflée et protégée par du cuir. Celui-ci évolue au début du XXe siècle pour atteindre sa taille et son poids actuel. Comme l'explique René Cazier dans ce reportage, ce ballon en cuir est relativement lourd puisqu'il pèse 510 grammes, on le lance avec le poignet, protégé par une bande de cuir ou de tissu.

Au XIXe et XXe siècle, le ballon au poing était pratiqué dans la Somme, le Pas-de-Calais et à Paris à travers trois fédérations de ballonistes. C'est l'association des Picards de Paris qui servait de support à la fédération parisienne. La fédération des ballonistes de la Somme a vu le jour en 1913, à l'initiative d'un cadre de la société textile Saint Frères, Alfred Leriche. Auparavant, un championnat existait, mais à ce jour aucune trace écrite sur celui-ci ne subsiste, sinon un palmarès attribuant à un certain Humler du club d'Albert, la victoire en 1904 et un record de plusieurs championnats remportés consécutivement par ce dernier.

Un agrément national fut attribué en 1972 grâce au docteur Gérard Lenot qui devint ainsi le premier président de la Fédération Française de Ballon au Poing.

Comme on peut le constater dans le reportage, il n'est pas facile d'expliquer ces règles sans visualiser le déroulement d'une partie (1).

Une équipe de 6 joueurs est composée d'un foncier qui occupe le fond du jeu et assure 80 % de la partie, de deux basses-volées qui renvoient presque exclusivement de volée, de trois cordiers qui se situent donc prés de la corde avec un milieu de corde qui se situe au centre.

On effectue un service au dessus de la corde à partir d'une ligne de tir qui varie selon les catégories d'âge et de niveau (à 18 mètres par exemple, pour la catégorie supérieure, "l'excellence").

Les échanges peuvent s'effectuer de volée ou après un bond et des chasses sont posées à l'endroit où le ballon s'est arrêté après le deuxième bond ou lorsque le ballon franchit une ligne latérale après le premier bond.

Dans un premier temps, il s'agit d'un gagne terrain pour établir les camps des deux équipes en présence. Les camps sont délimités par les chasses. Lorsque les chasses sont posées, les deux camps permutent, (on dit que l'on traverse) le point est en suspend, il suffit désormais d'envoyer le ballon dans le camp de l'adversaire, par-dessus la ligne de chasse.

Le décompte des points des jeux sont identiques à ceux de la longue paume ( les distances gagnées étant à l'origine calculées en pieds : 15 pieds, 30 pieds, etc), ou ceux du tennis qui en a hérité, on remporte donc un 15, puis 30, 40 et jeu. Une partie se joue en 7 jeux, des avantages interviendront lors d'une égalité à 6 jeux.

Si le ballon au poing a perduré durant toutes ces années, c'est grâce à l'esprit de famille, on peut même parler de clan qui règne au sein des villages concernés.

La fierté familiale oblige à pratiquer le ballon et à l'emporter pour empêcher les autres clans de vaincre. On assiste donc à des équipes formées exclusivement des membres d'une même famille. Cependant, ce phénomène tend à s'estomper et la mixité est désormais de mise au sein d'un même village et également entre villages voisins.

(1) Voir les caractéristiques de ce jeu dans : Marcel Lazure, Les jeux de balle et ballon picards : ballon au poing, balle à la main, balle au tamis, longue paume, Centre régional de documentation pédagogique de Picardie, 1981, réédité en 1996.

Pierre-Marie Macewko

Transcription

(Musique)
Arnaud Romera
C’est ici, dans le nord de la Somme, que l’on trouve le dernier bastion du ballon au poing. Quelques cantons seulement y jouent encore mais ils sont les garants de la tradition et de la pratique de ce sport de village, sport séculaire et spectaculaire dont l’origine remonte à la nuit des temps. Le ballon au poing appartient, en fait, à la famille des jeux de paume, ceux-là même que l’on pratiquait dans l’Antiquité avec le même nombre de joueurs et selon des règles identiques que l’on expliquera plus tard, du moins que l’on tentera d’expliquer. Parti de Grèce, donc, le ballon au poing suit le cours de l’histoire et des grandes invasions pour atteindre la Gaule. Au Moyen Age, en France, il est très répandu mais réservé à une élite, celle des princes et du clergé. Ce sont les moines de Picardie qui vont, d’ailleurs, le pratiquer le plus assidument. Si bien qu’aujourd'hui encore, la plupart des terrains de ballon au poing se situent à côté de l’église du village, comme ici, à Villers-Bocage. Mieux encore, au siècle dernier, on jouait à l’intérieur même de la cathédrale d’Amiens dont le transept a, parait-il, exactement les mêmes dimensions qu’un ballodrome soit 65 mètres sur 12. Et puis, au XIXe siècle, bizarrement, le jeu est délaissé par tout le monde. Tout le monde sauf par les paysans picards, du moins ceux de la Somme qui trouvent, là, le moyen d’exhaler leur fierté, leur sens de l’honneur et de hisser bien haut les couleurs du clocher. Alors entre villages, on se tire la bourre. La moindre petite commune compose son équipe de ballon au poing avec la tenue, s’il vous plait, les cheveux bien gominés, bien dégagés au-dessus des oreilles, et la raie au milieu. Ça aussi, c’est important. Là, c’est l’Italie, le seul endroit au monde, après la Somme, où l’on pratique un équivalent du ballon au poing. Les joueurs de pallone elastico sont même professionnels. Dans le triangle Amiens-Albert-Doullens, ce n’est pas encore le cas, mais la Somme compte quand même aujourd'hui 41 clubs de ballon au poing soit près de 1200 licenciés. Ça ne fait qu’un petit millier, certes, mais ce sont des purs, des durs qui entendent assurer la pérennité de cette activité à cheval entre sport, folklore et tradition.
(Bruit)
Arnaud Romera
La règle du jeu, elle est très simple en apparence. Deux équipes de 6 en face l’une de l’autre. Mais laissons plutôt les spécialistes nous en parler.
Jacques Godefroy
Ça marche un peu comme le tennis mais… 15, 30, 40 et puis après, ça fait un jeu. Mais c’est surtout comme la longue paume. Et en plus, on pose des fiches qu’il faut prendre, après... Il faudrait passer une heure ensemble pour que je puisse expliquer, quoi.
Arnaud Romera
Oui, mais on n’a pas que ça à faire. Bon, alors, les règles, ça vient ?
Intervenant
Non ! Non, c’est trop long à expliquer. Pour expliquer les règles du ballon au poing, il faut vivre en même temps qu’une partie se déroule.
Arnaud Romera
Voilà, on comprend tout comme ça. Non, sérieusement, le ballon au poing est un jeu de gagne terrain. Les deux équipes se renvoient directement le ballon avec le poing de volée ou après un rebond. Le but, c’est de déborder l’adversaire sur les côté s ou en longueur en faisant passer le ballon entre les poteaux. Jusque-là, c’est facile. Mais pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ? Alors on a inventé les châsses. Elles font office de filet imaginaire. Et pour les poser, il faut absolument gagner les premiers points.
(Musique)
Arnaud Romera
Exemple sur ce croquis. Le joueur ne peut rattraper le ballon après le premier rebond. Il l’arrête donc après le deuxième rebond. C’est à cet endroit que l’on posera une châsse. Maintenant, si le ballon, après un rebond, coupe la ligne, on pose la châsse là où est sorti le ballon. Ici, c’est au point B. Ainsi installées, les châsses constituent une ligne imaginaire que le ballon devra franchir obligatoirement de part et d’autre. Plus on pose les châsses près de l’en-but, plus l’équipe de fond (ici, elle est à droite) sera acculée dans son camp, et plus il sera facile de marquer des points. Logique. Voilà pour les subtilités du jeu.
(Musique)
Arnaud Romera
Le ballon, lui, est l’objet d’un véritable culte. On l’aime, on le déteste. En tout cas, on le respecte. Avec le temps, il s’est transformé. Aujourd'hui, il a la taille d’un ballon de foot, le poids d’un ballon de basket et la consistance d’un ballon de hand.
René Cazier
Alors ce ballon avec une circonférence de 64 centimètre donc, a la particularité d’avoir un poids de 510 grammes, ce qui est élevé vis-à-vis du volume et de sa circonférence. Alors le cuir, l’enveloppe, au moins, du ballon, est relativement épaisse, à la fois pour obtenir le poids et également pour supporter les chocs violents lors de contacts avec le poing. Donc ces ballons sont fabriqués spécialement pour la Fédération Française de Ballon au Poing. Ils sont cousus à la main. Et actuellement, le seul endroit où l’on puisse encore les faire réaliser, c’est au Pakistan. Eux seuls sont encore capables de faire ce genre de ballon qui se joue à la main.
Arnaud Romera
Voilà. Et avec ce ballon, on frappe fort et loin. L’équipe, quant à elle, est constituée de 6 joueurs. Les cordiers sont en première ligne. Ils ont principalement un rôle d’intercepteurs. Leur jeu est souvent tout en finesse. Le milieu de corde, comme ici, est le joueur le plus complet. Il frappe de volée du gauche comme du droit. C’est lui qui dirige les cordiers.
(Bruit)
Arnaud Romera
Les basses-volées, eux, jouent en deuxième rideau. Ils assurent la transition entre les cordiers et le foncier. Le foncier, justement, c’est l’âme de l’équipe. C’est lui qui a le dernier rempart. Celui qui a les plus gros bras, celui, encore, qui envoie des ballons à plus de 60 mètres. Il y a même un record. Il est actuellement de 67,70 mètres. En gros, le foncier c'est l'homme fort. A lui seul, il représente 70 % de l’équipe.