Pierre Soulages et les vitraux de l'abbatiale de Conques

15 juin 1994
11m 15s
Réf. 00025

Notice

Résumé :

Reportage sur la conception et la réalisation des vitraux de l'abbatiale Sainte-Foy de Conques par Pierre Soulages et le maître verrier Jean-Dominique Fleury. Vues de la mise en presse de l'ouvrage consacré à ce sujet, coécrit par Christian Heck, Jean-Dominique Fleury, Pierre Soulages et préfacé par Georges Duby.

Type de média :
Date de diffusion :
15 juin 1994
Source :
FR3 (Collection: Pôle Sud )

Éclairage

L'abbatiale romane de Sainte-Foy de Conques fut construite à partir de 1040 pour accueillir les reliques de Sainte Foy d'Agen. Elle est l'un des lieux de passage et de dévotion des pèlerins de Compostelle et à ce titre classée au titre des monuments historiques en 1840 et au patrimoine mondial de l'UNESCO en 1998. En qualité d'abbatiale romane, elle est caractérisée par des baies démultipliées, notamment à l'Est, afin de venir baigner de lumière le chevet où se déroule le sacrement eucharistique. La lumière est utilisée comme sublimatrice du sanctuaire, évoquant ainsi l'émanation du sacré.

Depuis 1986, Pierre Soulages travaille à lui offrir des vitraux qui magnifieraient la lumière baignant ses lieux. Dans ce document, extrait de l'émission Pole Sud, diffusée sur France 3 en juin 1995, le maître verrier Jean-Dominique Fleury effectue la pose des derniers vitraux créés par l'artiste pour les 104 ouvertures que compte l'abbatiale. Depuis la conception de ce projet, Pierre Soulages avait pour seul souci de préserver ce lieu et d'allier l'esthétique romane à des procédés techniques et à une sensibilité artistique contemporaine. Grâce au nouveau verre translucide conçu par l'artiste lui-même, le lieu s'habille d'une nouvelle lumière et les raisons artistiques enchâssées dans celle-ci rejoignent les raisons sacrées. Ces vitraux ne sont pas des œuvres à regarder comme des pièces uniques et statiques, mais plutôt comme un ensemble rythmique qui ferait sens au sein même de l'architecture. Les obliques légèrement courbes dessinées sur les vitraux s'appuient sur les barlotières et développent dans chacun d'eux un mouvement qui lui est propre mais qui impacte telle une onde ses voisins. Ainsi, les vitraux des bas-côtés présentent des mouvements plus rapides que ceux de la chapelle axiale qui semblent plus paisible. Ces rythmes sont visibles de l'intérieur comme de l'extérieur de l'édifice et ces vitraux « double face » - comme aime les appeler Pierre Soulages - laissent passer la lumière mais non pas la vue, donnant ainsi l'impression d'un lieu clos. Par ailleurs la technicité du verre permet d'apprécier différentes couleurs du spectre lumineux selon les heures du jour et plus spécifiquement des bleus et des orangés qui répondent aux couleurs des schistes, lauzes, grès et ocres présent dans l'architecture initiale de l'abbatiale.

Le début de ce document montre la mise sous presse du livre relatant la création de ces vitraux coécrit par Christian Heck, Jean-Dominique Fleury, Pierre Soulages et préfacé par Georges Duby. Cet ouvrage parachève sept années de travaux et de recherches et annonce la réussite exceptionnelle de cette alliance entre art ancien et art contemporain, finalement saluée par la critique et le public lors de sa présentation officielle au mois de juillet 1995.

Léa Salvador

Transcription

(Musique)
(Bruit)
Jean-Dominique Fleury
Aujourd'hui, on a 7 millions d’exemplaires à faire.
Journaliste
7 millions d’exemplaires ? [inaudible]
(Bruit)
Pierre Soulages
Je ne dirais pas que c’est le monochrome. C’est même la négation de la théorie du monochrome puisque ce qui importe, dans mes toiles peintes avec du noir, certes, avec le même pot de noir, ce qui me dirige, c’est la réflexion de la lumière sur ce noir. D'une lumière, d’ailleurs, qui est toujours différente. La lumière du jour, on l’oublie. Elle est généralement bleue, mais elle peut prendre toutes les couleurs. Et dans les vitraux de Conques, c’est pareil. A certains moments, ils prennent des couleurs jaunes, des couleurs rouges. Actuellement, ils sont gris, calmes. Mais ce ne sont pas des couleurs. C’est la couleur de la lumière. C’est la lumière naturelle qu’ils captent et dont ils montrent la couleur.
(Bruit)
Pierre Soulages
Je suis parti de la lumière. Donc j’ai cherché un verre blanc mais un verre, quand même, qui est à transmission diffuse. Je ne voulais pas que cette transmission diffuse s’opère comme dans un verre dépoli, ce qui serait désastreux. C’est mort. Ni par un verre opale, ce qui revient pratiquement au même. Je voulais qu’elle soit modulée. Et j’ai cherché la modulation. Ce que j’ai obtenu. D’abord, dont j’ai eu l’idée au [inaudible] et que j’ai obtenu avec précision en travaillant au laboratoire de recherche de Saint-Gobain. J’ai dessiné les cartons et même les maquettes en fonction du matériau qui servirait à produire.
(Silence)
(Bruit)
Jean-Dominique Fleury
Même pas un millimètre !
Pierre Soulages
Ça ne fait rien.
Jean-Dominique Fleury
Oui. Celle-là paraissait plus…
Pierre Soulages
C’est ça qui paraît plus large à cause de ça. Mais c’est une illusion d’optique à chaque fois. Il faut se débrouiller en trichant pour le corriger un peu.
(Bruit)
Jean-Dominique Fleury
Les choses essentielles n’ont pas bougé. On les a faites différemment. On a eu, effectivement, affaire à un matériau nouveau. Il a fallu, donc, mettre au point une façon de le travailler pour le maîtriser. Et puis il y a une empreinte en plus, je trouve. Il y a quelque chose de digital dans ces espèces de gros doigts posés, comme ça, sur l’édifice. Et puis la vision extérieure est quand même très nouvelle. Et je trouve qu’on retrouve aussi le blanc de la pierre à l’extérieur. Tout ce matériau identique partout, à l’extérieur, redonne une coloration, je ne dirais pas nouvelle, mais surprenante.
(Bruit)
Pierre Soulages
Au fond, c’est la première fois que l’on peut voir, je crois - je ne connais pas de vitraux - qui sont, qui ont été faits aussi pour l’extérieur. C’est la première fois qu’il y en a. Ce que je voulais, c’était quand même que les fenêtres continuent les murs, mais je ne voulais pas que le regard puisse être distrait par l’extérieur. C'est-à-dire je voulais une surface qui coupe complètement la vue de l’extérieur. Parce que je pensais que c’est ce qui convenait le mieux à tout point de vue : d’un point de vue simplement artistique, pour jouir pleinement de l’espace tel qu’il nous est arrivé et de la proportion, et d’un point de vue religieux aussi. Mais je voulais aussi que la lumière entre et qu’elle entre sans défigurer les couleurs de Conques. Parce que quand on se souvient de Conques, on se souvient… on est frappé par les couleurs. Il y a des rouges, il y a des ocres, des bleus même dans les pierres. Ils ont travaillé avec 3 carrières différentes. Ça, c’est le souvenir qu’on garde de Conques. C’est un endroit très coloré.
(Bruit)
Pierre Soulages
C’est le bâtiment tel qu’il est qui a été conçu avec la lumière. Pour s’en rendre compte, il suffit de réfléchir un peu à la dimension de ce bâtiment. Il a 56 mètres de long. Et dans 56 mètres, il y a 104 ouvertures. Quand on met 104 ouvertures dans un bâtiment de 56 mètres, ce n’est pas pour en faire une crypte.
(Bruit)
Pierre Soulages
Dès le départ, ça a été un travail avec des couleurs sombres ou du brun ou du noir sur du blanc pour illuminer, en quelque sorte, par contraste, le blanc, pour le faire changer de valeur par contraste avec une couleur sombre comme le noir ou le brun. Ensuite, il y a eu toute une période où la couleur était recouverte par le noir et je découvrais la couleur en raclant. Et la couleur… et la lumière avait l’air de sourdre de la toile. Et puis, la troisième période, qui a commencé en 79. La toile est entièrement recouverte de noir, mais ce n’est plus le noir qui m’intéresse, c’est la réflexion de la lumière sur le noir. Et ça change complètement la peinture. Parce qu’au fond, c'est un travail avec le reflet.
(Bruit)
Pierre Soulages
Le matin, une heure après, ils ne sont plus les mêmes. Et j’aime bien que, dans un lieu comme ça, il y ait la marque de l’écoulement du temps. Je me suis toujours intéressé à tous les moments d’origine, aussi bien dans la peinture que l’art. L’art n’est pas là pour transmettre. Quand on aime une oeuvre d’art mésopotamienne par exemple (je choisis la Mésopotamie parce que c’est loin de nous, à la fois dans l’espace et surtout dans le temps), si on est ému, si on est touché par ça, ce n’est sûrement pas pour les mêmes raisons. Les hommes de cette époque n’avaient pas les mêmes croyances, les mêmes idées que nous. C’étaient des hommes, certes, mais la société à laquelle ils appartenaient était très différente de la nôtre. Je pense que ce qui se passe, là, ce n’est pas quelque chose qu’ils nous transmettent mais c’est quand même quelque chose d’humain, dans lequel, nous, nous pouvons investir ce que nous sommes. Au fond, ces oeuvres qui nous touchent, elles ne nous parlent pas des hommes de la Mésopotamie. Elles nous parlent de nous.
(Bruit)
Jean-Dominique Fleury
Ce qu’a représenté, pour moi, ce travail avec Soulages, aussi une aventure, justement, extraordinaire, une très très belle histoire. Et je dirais, maintenant, un peu un deuil, aussi, d’avoir fini. Je prends ça comme… C’est un petit peu difficile, quoi, d’abandonner le chantier, de dire : « Tiens, il est… » Toute la semaine, on dit : « Il reste encore quelque chose à faire, sans doute. Ce n’est pas possible, quoi, d’avoir terminé ». Je ne sais pas. Je me dis un petit vide.
(Bruit)
Pierre Soulages
Mon but a toujours été de donner à voir une architecture du XIe telle qu’elle est arrivée jusqu'à nous, mais avec les moyens dont nous disposons au XXe siècle.
(Silence)