Concert Hommage à Luc FERRARI (AKOUSMA)
09 octobre 2015
12m 25s
Réf. 01070
Notice
Résumé :
Reportage consacré au compositeur Luc FERRARI le vendredi 9 octobre 2015 à la MPAA (Maison des Pratiques Artistiques Amateurs) Saint-Germain dans le cadre des concerts AKOUSMA de l’INA grm
Un entretien avec Jonathan PRAGER, qui a diffusé les pièces sur l’Acousmonium, est ponctué par des extraits des pièces, ainsi que la lecture d’un texte écrit par Luc FERRARI lu par sa compagne Brunhild FERRARI-MEYER.
Un entretien avec Jonathan PRAGER, qui a diffusé les pièces sur l’Acousmonium, est ponctué par des extraits des pièces, ainsi que la lecture d’un texte écrit par Luc FERRARI lu par sa compagne Brunhild FERRARI-MEYER.
Date de diffusion :
09 octobre 2015
Personnalité(s) :
Éclairage
BIOGRAPHIE DU COMPOSITEUR :
Luc Ferrari est né à Paris en 1929.
Il s’interroge sur cette première phrase ; d’abord 1929.
Il a écrit de nombreuses autobiographies dans lesquelles il falsifiait les dates. L’écriture le rend fou, il ne faut pas lui demander ça.
Et comme il n’osait pas se rajeunir, il se vieillissait.
Il y a donc des tas de fausses dates qui courent, cela l’amusait à l’époque. Maintenant ça l’amuse beaucoup moins !
Ensuite, né à Paris. Il s’interroge : être né à Paris !
Il se demande ce qu’il aurait été s’il était né dans le petit village de son père, en Corse. Il se demande ce qu’il aurait été s’il était né à Marseille, la ville de sa mère.
Il se demande ce qu’il aurait été s’il était né en Italie, le pays de ses ancêtres.
Et pour cela, il n’a aucune réponse.
Le 22 août 2005, Luc Ferrari meurt à Arezzo, Toscane.
www.lucferrari.org
BIOGRAPHIE DE L'INTERPRETE :
Jonathan PRAGER
Né à Lyon en 1972, technicien du son de formation, Jonathan Prager y a étudié la composition avec Denis Dufour et Jean-Marc Duchenne, puis Bernard Fort. Il a obtenu deux médailles d’or en composition acousmatique (CNR de Lyon, ENM de Villeurbanne). Il est membre de l’équipe du festival international d’art acousmatique Futura depuis 1993 et de la compagnie musicale Motus depuis 1996.
En 1995, il fonde à Lyon son studio de création Piscine à Tokyo, et s’installe en Île-de-France en 2012.
Depuis 1998, il est professeur de composition acousmatique au CRR Perpignan-Méditerranée et, à partir de 2010, à la classe de composition électroacoustique du Pôle supérieur d’enseignement artistique Paris-Boulogne-Billancourt.
Interprète acousmatique depuis 1995, concepteur avec Denis Dufour des acousmoniums Motus, il a joué en concert près d’un millier d’œuvres du répertoire acousma et mixte dont plus
d’une centaine de créations, en France et à l’étranger. Il a également participé à la mise en place du premier acousmonium italien (M.ar.e, Bari) et en a formé l’équipe d’interprètes.
Il a contribué de même à la constitution d’acousmoniums en France et au Japon.
Il s’est produit sur la plupart des dispositifs existants, en France et en Europe (GRM, Musiques & Recherches, M.ar.e.…). Par cette intense activité de concertiste et son engagement constant dans cet art, Jonathan Prager prouve qu’une transmission vivante, sensible et incarnée du patrimoine acousmatique international est possible, et défend la nécessité de le faire découvrir au public sous les doigts d’interprètes qualifiés.
À cet effet, il a développé des techniques et une pédagogie spécifiques qu’il transmet régulièrement lors de master classes, stages et ateliers en France et à l’étranger. L’influence de sa conception de l’interprétation acousmatique est ainsi particulièrement notable parmi les nouveaux musiciens français.
Lauréat en 1996 du Concours international de musique électroacoustique de Bourges, il est accueilli en résidence à l’Imeb en 2004/2005. Il compose principalement pour le concert
acousmatique, mais aussi pour des installations sonores, le ballet ou encore le théâtre. Il pratique également l’improvisation (danse et musique) régulièrement depuis 2006.
Enfin, en parallèle à ses réalisations artistiques, il exerce depuis 2008 une activité d’électronicien restaurateur de matériel de studio “vintage”, notamment dans le domaine des magnétophones analogiques à bande. C’est une passion intense pour cette technologie (et ce qu’elle apporte de singulier au travail de composition électroacoustique) qui l’a amené à investir fortement dans cet artisanat.
NOTICES D’ŒUVRES :
Visage V
1959 - 10’33
Musique concrète – Ina GRM
Création mondiale pour Expériences Musicales, Paris
2 pistes
Cette étude est la dernière d’une série de cinq « visages » qui, sous diverses formes instrumentales, sont autant d’aspects d’une même recherche.
La musique étant expression sensible d’une vie intérieure, le titre « visage » a été choisi par analogie.
L’auteur a bâti cette étude selon un scénario poétique en trois parties : le personnage et ses créatures, les créatures enfermant le personnage dans la terre, le personnage dans son état de naturelle pureté.
Il termine enfin en réexposant tous les thèmes et éléments musicaux des différentes parties.
Petite symphonie intuitive pour un paysage de printemps
1974 - 25’09
Sons mémorisés
« Cette musique électroacoustique fait partie d’une série de ce que l’on pourrait appeler « paysage imaginaire sonore ». Contrairement à Presque rien ou le lever du jour au bord de la mer, où le paysage se raconte lui-même, ici c’est un voyageur qui découvre un paysage et qui essaie de l’évoquer comme paysage musical.
Nous étions, Brunhild et moi, dans les environs des Gorges du Tarn. Nous avons eu l’idée de prendre une petite route qui escaladait une montagne rocailleuse pendant une dizaine de kilomètres.
Après un dernier tournant s’ouvrit devant mes yeux un paysage totalement inattendu. C’était le coucher du soleil. Devant nous, un plateau très vaste s’étalait avec de courbes douces
jusqu’à l’horizon, jusqu’au soleil. Les couleurs allaient du jaune d’herbe sèche au mauve du lointain, passant par le noir de quelques petits bosquets ponctuant l’espace. La nature presque vide s’offrait à l’œil sans aucun obstacle. On voyait tout. Plus tard, lorsque je me suis ressouvenu de ce lieu et des sensations que j’avais éprouvées, j’ai essayé de composer une musique qui soit capable de faire revivre mon souvenir.
Le « Causse Méjean » est un haut plateau d’une altitude d’environ 1000 m dans le Massif Central. Il est ponctué par des fermes loin les unes des autres. Quelques personnages rentraient leurs troupeaux de brebis. J’ai eu l’idée d’évoquer cette présence d’humains solitaire et diffuse par des fragments de conversations que j’ai eues avec quelques-uns des bergers.
Le langage humain est intégré dans la texture musicale ; le son de la voix dit bien plus que ce qu’elle dit réellement.
Un des bergers disait un jour : « … Je ne m’ennuie jamais. J’écoute le paysage.
Quelquefois je souffle dans ma flûte et j’écoute l’écho qui me parle… ».
C’est en pensant à lui, que j’ai utilisé la flûte et son écho dans ma musique. »
Luc Ferrari.
le 18 octobre 2002
J’ai été coupé
1969 - 13’52
Musique concrète, réalisée dans les studios du GRM
« En 1969, j’ai écrit un texte sur cette musique. Et j’y disais : “… je ne sais pourquoi, je l’ai appelée J’ai été coupé ou plutôt je le sais mais je ne veux pas le dire. Cela n’a aucun rapport avec la musique. Cela n’a aucun rapport avec moi ou bien ça a un rapport avec les deux peut-être…” etc. C’est drôle ce langage d’époque.
L’autre jour, en écoutant cette musique que je n’avais pas entendue depuis longtemps, il m’est venu des images que je vais essayer de raconter.
Dans ce temps-là, nous n’avions pas de synthétiseurs, ni d’écrans d’ordinateur, de racks, de boîtes à rythme, toutes choses courantes dans les studios d’aujourd’hui.
Et je me suis souvenu comment j’ai fait certains sons et cela m’a semblé un peu folklorique, mais tout de même assez drôle. Par exemple, j’avais trouvé au marché aux Puces tout
un lot d’instruments de mesure qui avaient la forme de diapasons de différentes grosseurs. Suspendus à des ressorts d’acier et tournant sur eux-mêmes en montant et en descendant
par le fait même de leur poids, ces diapasons émettaient un son vrillé et fluctuant qui se répercutait dans le ressort en une sorte d’écho du plus joli effet. J’avais inventé un autre instrument : simple fil de nylon, mais très long, de quinze mètres peut-être. Tendu au travers du studio, avec un micro en contact à une des extrémités, j’attaquais le fil avec une baguette de bois, ce qui produisait un bizarre son électronique que seul le micro pouvait entendre.
Ce qui était drôle et un peu éprouvant, c’est que le fil était si long que pour obtenir des mélodies, il fallait courir plusieurs mètres, et si le fil n’avait pas été aussi long, il n’aurait pas sonné. Je me souviens même que pour le tendre, j’avais utilisé la poignée de la lourde porte du studio, ce qui me permettait, en la fermant, de jouer sur la tension du fil.
Et plein d’autres trucs, mais ça serait trop long à expliquer… Toutes ces images n’expliquent pas, bien sûr, pourquoi j’ai été coupé. »
Luc Ferrari
Tautologos 2
1961 - 14’43
Musique concrète – Ina GRM
Création mondiale pour un concert à la R.T.F., Paris
4 pistes
La nature ne se soucie guère d’utilité ni de progrès logiques d’une proposition à l’autre. Inlassablement, elle rabâche le même cycle de jours et de nuits, ou de saisons, et l’apparente
variété des évènements ne résulte que de la multiplicité des interférences possibles entre quelques lois permanentes.
L’œuvre d’art retrouve les mêmes rapports de répétition et de variations.
Luc Ferrari a été particulièrement sensible à ces correspondances.
La tautologie est ici de deux sortes : aux répétitions perceptibles dans le temps, qui nous sont familières, s’en ajoutent d’autres, verticales, relatives à la matière sonore.
Pris isolément, les sons employés présentent effectivement des analogies de matières ; mais au bout de quelques superpositions, la perception de cette matière s’efface, au profit d’une perception des densités, symbolisation des rencontres de l’instant, qui, dans le temps s’organise en forme. Cette forme, à son tour, se répète dans chaque séquence.
Archives génétiquement modifiées
2000 - 25’
Exploitation des Concepts 3 pour sons mémorisés, solo
Réalisation Atelier Post Billig
« Cette composition est faite avec les mêmes éléments musicaux que l’Exploitation des concepts 1, dont le titre était Archives Sauvées des Eaux, pour deux DJ : l’un avec des CD et l’autre avec des Vinyles.
Ceci pour dire que l’idée d’exploitation me permet de revenir sur des sons et même des séquences déjà utilisées, mais toujours avec des idées différentes et un point de vue compositionnel méconnaissable.
Une relecture de mes éléments de travail des années 70 m’a entraîné dans le désir de faire du neuf, sans nostalgie et sans allégeance au passé. C’est aussi l’idée d’exploitation qui m’a donné une liberté très grande et une désinvolture par rapport aux concepts. En effet quand j’en parle il ne s’agit pas de faire reconnaître le concept comme cela se faisait à l’origine, mais d’en retrouver l’idée trente ans après, et comme il se frotte aux autres expériences vécues, comme il se déforme ou prend forme autrement. Ou disparaît.
Il s’agit même peut-être d’utiliser de manière provocante le mot “exploitation” comme concept, mais avec légèreté.
D’ailleurs je me sens le droit d’exploiter mes idées aussi bien que mes sons.
J’écoute, et je fabrique du présent riche d’une certaine mémoire. Ainsi ces archives sont profondément et même peut-être génétiquement modifiées. »
Luc Ferrari
Luc Ferrari est né à Paris en 1929.
Il s’interroge sur cette première phrase ; d’abord 1929.
Il a écrit de nombreuses autobiographies dans lesquelles il falsifiait les dates. L’écriture le rend fou, il ne faut pas lui demander ça.
Et comme il n’osait pas se rajeunir, il se vieillissait.
Il y a donc des tas de fausses dates qui courent, cela l’amusait à l’époque. Maintenant ça l’amuse beaucoup moins !
Ensuite, né à Paris. Il s’interroge : être né à Paris !
Il se demande ce qu’il aurait été s’il était né dans le petit village de son père, en Corse. Il se demande ce qu’il aurait été s’il était né à Marseille, la ville de sa mère.
Il se demande ce qu’il aurait été s’il était né en Italie, le pays de ses ancêtres.
Et pour cela, il n’a aucune réponse.
Le 22 août 2005, Luc Ferrari meurt à Arezzo, Toscane.
www.lucferrari.org
BIOGRAPHIE DE L'INTERPRETE :
Jonathan PRAGER
Né à Lyon en 1972, technicien du son de formation, Jonathan Prager y a étudié la composition avec Denis Dufour et Jean-Marc Duchenne, puis Bernard Fort. Il a obtenu deux médailles d’or en composition acousmatique (CNR de Lyon, ENM de Villeurbanne). Il est membre de l’équipe du festival international d’art acousmatique Futura depuis 1993 et de la compagnie musicale Motus depuis 1996.
En 1995, il fonde à Lyon son studio de création Piscine à Tokyo, et s’installe en Île-de-France en 2012.
Depuis 1998, il est professeur de composition acousmatique au CRR Perpignan-Méditerranée et, à partir de 2010, à la classe de composition électroacoustique du Pôle supérieur d’enseignement artistique Paris-Boulogne-Billancourt.
Interprète acousmatique depuis 1995, concepteur avec Denis Dufour des acousmoniums Motus, il a joué en concert près d’un millier d’œuvres du répertoire acousma et mixte dont plus
d’une centaine de créations, en France et à l’étranger. Il a également participé à la mise en place du premier acousmonium italien (M.ar.e, Bari) et en a formé l’équipe d’interprètes.
Il a contribué de même à la constitution d’acousmoniums en France et au Japon.
Il s’est produit sur la plupart des dispositifs existants, en France et en Europe (GRM, Musiques & Recherches, M.ar.e.…). Par cette intense activité de concertiste et son engagement constant dans cet art, Jonathan Prager prouve qu’une transmission vivante, sensible et incarnée du patrimoine acousmatique international est possible, et défend la nécessité de le faire découvrir au public sous les doigts d’interprètes qualifiés.
À cet effet, il a développé des techniques et une pédagogie spécifiques qu’il transmet régulièrement lors de master classes, stages et ateliers en France et à l’étranger. L’influence de sa conception de l’interprétation acousmatique est ainsi particulièrement notable parmi les nouveaux musiciens français.
Lauréat en 1996 du Concours international de musique électroacoustique de Bourges, il est accueilli en résidence à l’Imeb en 2004/2005. Il compose principalement pour le concert
acousmatique, mais aussi pour des installations sonores, le ballet ou encore le théâtre. Il pratique également l’improvisation (danse et musique) régulièrement depuis 2006.
Enfin, en parallèle à ses réalisations artistiques, il exerce depuis 2008 une activité d’électronicien restaurateur de matériel de studio “vintage”, notamment dans le domaine des magnétophones analogiques à bande. C’est une passion intense pour cette technologie (et ce qu’elle apporte de singulier au travail de composition électroacoustique) qui l’a amené à investir fortement dans cet artisanat.
NOTICES D’ŒUVRES :
Visage V
1959 - 10’33
Musique concrète – Ina GRM
Création mondiale pour Expériences Musicales, Paris
2 pistes
Cette étude est la dernière d’une série de cinq « visages » qui, sous diverses formes instrumentales, sont autant d’aspects d’une même recherche.
La musique étant expression sensible d’une vie intérieure, le titre « visage » a été choisi par analogie.
L’auteur a bâti cette étude selon un scénario poétique en trois parties : le personnage et ses créatures, les créatures enfermant le personnage dans la terre, le personnage dans son état de naturelle pureté.
Il termine enfin en réexposant tous les thèmes et éléments musicaux des différentes parties.
Petite symphonie intuitive pour un paysage de printemps
1974 - 25’09
Sons mémorisés
« Cette musique électroacoustique fait partie d’une série de ce que l’on pourrait appeler « paysage imaginaire sonore ». Contrairement à Presque rien ou le lever du jour au bord de la mer, où le paysage se raconte lui-même, ici c’est un voyageur qui découvre un paysage et qui essaie de l’évoquer comme paysage musical.
Nous étions, Brunhild et moi, dans les environs des Gorges du Tarn. Nous avons eu l’idée de prendre une petite route qui escaladait une montagne rocailleuse pendant une dizaine de kilomètres.
Après un dernier tournant s’ouvrit devant mes yeux un paysage totalement inattendu. C’était le coucher du soleil. Devant nous, un plateau très vaste s’étalait avec de courbes douces
jusqu’à l’horizon, jusqu’au soleil. Les couleurs allaient du jaune d’herbe sèche au mauve du lointain, passant par le noir de quelques petits bosquets ponctuant l’espace. La nature presque vide s’offrait à l’œil sans aucun obstacle. On voyait tout. Plus tard, lorsque je me suis ressouvenu de ce lieu et des sensations que j’avais éprouvées, j’ai essayé de composer une musique qui soit capable de faire revivre mon souvenir.
Le « Causse Méjean » est un haut plateau d’une altitude d’environ 1000 m dans le Massif Central. Il est ponctué par des fermes loin les unes des autres. Quelques personnages rentraient leurs troupeaux de brebis. J’ai eu l’idée d’évoquer cette présence d’humains solitaire et diffuse par des fragments de conversations que j’ai eues avec quelques-uns des bergers.
Le langage humain est intégré dans la texture musicale ; le son de la voix dit bien plus que ce qu’elle dit réellement.
Un des bergers disait un jour : « … Je ne m’ennuie jamais. J’écoute le paysage.
Quelquefois je souffle dans ma flûte et j’écoute l’écho qui me parle… ».
C’est en pensant à lui, que j’ai utilisé la flûte et son écho dans ma musique. »
Luc Ferrari.
le 18 octobre 2002
J’ai été coupé
1969 - 13’52
Musique concrète, réalisée dans les studios du GRM
« En 1969, j’ai écrit un texte sur cette musique. Et j’y disais : “… je ne sais pourquoi, je l’ai appelée J’ai été coupé ou plutôt je le sais mais je ne veux pas le dire. Cela n’a aucun rapport avec la musique. Cela n’a aucun rapport avec moi ou bien ça a un rapport avec les deux peut-être…” etc. C’est drôle ce langage d’époque.
L’autre jour, en écoutant cette musique que je n’avais pas entendue depuis longtemps, il m’est venu des images que je vais essayer de raconter.
Dans ce temps-là, nous n’avions pas de synthétiseurs, ni d’écrans d’ordinateur, de racks, de boîtes à rythme, toutes choses courantes dans les studios d’aujourd’hui.
Et je me suis souvenu comment j’ai fait certains sons et cela m’a semblé un peu folklorique, mais tout de même assez drôle. Par exemple, j’avais trouvé au marché aux Puces tout
un lot d’instruments de mesure qui avaient la forme de diapasons de différentes grosseurs. Suspendus à des ressorts d’acier et tournant sur eux-mêmes en montant et en descendant
par le fait même de leur poids, ces diapasons émettaient un son vrillé et fluctuant qui se répercutait dans le ressort en une sorte d’écho du plus joli effet. J’avais inventé un autre instrument : simple fil de nylon, mais très long, de quinze mètres peut-être. Tendu au travers du studio, avec un micro en contact à une des extrémités, j’attaquais le fil avec une baguette de bois, ce qui produisait un bizarre son électronique que seul le micro pouvait entendre.
Ce qui était drôle et un peu éprouvant, c’est que le fil était si long que pour obtenir des mélodies, il fallait courir plusieurs mètres, et si le fil n’avait pas été aussi long, il n’aurait pas sonné. Je me souviens même que pour le tendre, j’avais utilisé la poignée de la lourde porte du studio, ce qui me permettait, en la fermant, de jouer sur la tension du fil.
Et plein d’autres trucs, mais ça serait trop long à expliquer… Toutes ces images n’expliquent pas, bien sûr, pourquoi j’ai été coupé. »
Luc Ferrari
Tautologos 2
1961 - 14’43
Musique concrète – Ina GRM
Création mondiale pour un concert à la R.T.F., Paris
4 pistes
La nature ne se soucie guère d’utilité ni de progrès logiques d’une proposition à l’autre. Inlassablement, elle rabâche le même cycle de jours et de nuits, ou de saisons, et l’apparente
variété des évènements ne résulte que de la multiplicité des interférences possibles entre quelques lois permanentes.
L’œuvre d’art retrouve les mêmes rapports de répétition et de variations.
Luc Ferrari a été particulièrement sensible à ces correspondances.
La tautologie est ici de deux sortes : aux répétitions perceptibles dans le temps, qui nous sont familières, s’en ajoutent d’autres, verticales, relatives à la matière sonore.
Pris isolément, les sons employés présentent effectivement des analogies de matières ; mais au bout de quelques superpositions, la perception de cette matière s’efface, au profit d’une perception des densités, symbolisation des rencontres de l’instant, qui, dans le temps s’organise en forme. Cette forme, à son tour, se répète dans chaque séquence.
Archives génétiquement modifiées
2000 - 25’
Exploitation des Concepts 3 pour sons mémorisés, solo
Réalisation Atelier Post Billig
« Cette composition est faite avec les mêmes éléments musicaux que l’Exploitation des concepts 1, dont le titre était Archives Sauvées des Eaux, pour deux DJ : l’un avec des CD et l’autre avec des Vinyles.
Ceci pour dire que l’idée d’exploitation me permet de revenir sur des sons et même des séquences déjà utilisées, mais toujours avec des idées différentes et un point de vue compositionnel méconnaissable.
Une relecture de mes éléments de travail des années 70 m’a entraîné dans le désir de faire du neuf, sans nostalgie et sans allégeance au passé. C’est aussi l’idée d’exploitation qui m’a donné une liberté très grande et une désinvolture par rapport aux concepts. En effet quand j’en parle il ne s’agit pas de faire reconnaître le concept comme cela se faisait à l’origine, mais d’en retrouver l’idée trente ans après, et comme il se frotte aux autres expériences vécues, comme il se déforme ou prend forme autrement. Ou disparaît.
Il s’agit même peut-être d’utiliser de manière provocante le mot “exploitation” comme concept, mais avec légèreté.
D’ailleurs je me sens le droit d’exploiter mes idées aussi bien que mes sons.
J’écoute, et je fabrique du présent riche d’une certaine mémoire. Ainsi ces archives sont profondément et même peut-être génétiquement modifiées. »
Luc Ferrari