La révolution de 48 et les années 50
Introduction
1948 est une grande date dans l'histoire de la musique occidentale. Pour la première fois, on compose une œuvre non plus sur du papier à musique, mais sur des machines. Durant les années 50, beaucoup de compositeurs de renom viendront explorer les ressources de cette technologie de création.
La révolution de 48
Pierre Schaeffer animait, en 1948, le Club d'essai de la radiodiffusion télévision française (RTF), haut lieu de création radiophonique expérimentale. Cette année?là sera pour lui une période d'expérimentation et de réflexion d'où surgiront les idées qui marqueront le demi?siècle encore à venir. Il a l'idée de composer une étude faite de bruits (cette idée-là n'est pas nouvelle : les bruitistes et Edgar Varèse avaient ouvert la voie); mais il le fait en utilisant les ressources du studio de radio – des tourne?disques et des graveurs – c'est?à?dire en juxtaposant directement les sons eux?mêmes, sans partition, et cela est révolutionnaire. Il en résulte Cinq études de bruit, dont la première est l' Étude aux chemins de fer . La " musique concrète " est née.
Ces essais sont l'occasion d'une prise de conscience, point de départ d'une recherche fondamentale. L'écoute prolongée d'un sillon fermé, relu indéfiniment, grâce auquel un fragment de voix ou de bruit est extrait de son contexte et entendu pour lui-même fonde la réflexion sur l'objet sonore. Une résonance de son de cloche dont on a inopinément supprimé l'attaque et qui ressemble à un hautbois amène une révision du concept de timbre et des bases de la psychoacoustique.
Dès 48?49, Schaeffer s'entoure de collaborateurs : Jacques Poullin pour la conception de machines spécialisées (" phonogènes ", spatialisateur) et Pierre Henry, qui sera le compagnon des créations les plus décisives, dont la Symphonie pour un homme seul et le Bidule en ut .
Pierre SCHAEFFER, Pierre HENRY, Symphonie pour un homme seul : Erotica
"L'homme seul devait trouver sa symphonie en lui-même, et non pas seulement en concevant abstraitement la musique, mais en étant son propre instrument. Un homme seul possède bien plus que les douze notes de la voix solfiée. Il crie, il siffle, il marche, il frappe du poing, il rit, il gémit..."
Pierre SCHAEFFER, Pierre HENRY, Bidule en Ut
C'est la première œuvre due à la collaboration entre Pierre Schaeffer et Pierre Henry. Elle est rapidement devenue un "classique" de la musique concrète. Les sons proviennent exclusivement du piano préparé – bien qu'un certain nombre d'auditeurs de l'époque aient cru y reconnaître des bruits industriels – et plus précisément d'une séquence (en ut) improvisée par Pierre Henry.
C'est ainsi qu'est créée la première équipe de recherche musicale, qui en 1951 reçoit un nom et des statuts, le GRMC . De 1950 à 1954 beaucoup des grands noms de la composition défilent au Studio de Paris, haut lieu d'une nouvelle avant?garde.
Pendant ce temps-là, à Cologne, une autre aventure se joue : l'invention de la musique électronique. Deux chercheurs musiciens, Meyer?Eppler et Eimert, ont fondé, en 1950, un autre studio, lui aussi dans une radio (WDR) mais dans une perspective très différente. Les sons sont produits électroniquement, grâce à des oscillateurs de laboratoire, avec l'idée de maîtriser parfaitement les paramètres acoustiques que les instruments ne contrôlent qu'approximativement : l'intensité et le timbre. Un futur grand nom de la composition donnera au studio de Cologne son prestige : Karlheinz Stockhausen .
Karlheinz STOCKHAUSEN, Gesang der Jünglinge
Gesang der Jünglinge a été composé et créé, le 30 mai 1956, dans les studios de la WDR de Cologne, l'œuvre était primitivement prévue pour cinq voies mono : quatre haut-parleurs entourant le public, et un au-dessus de lui. Elle fut ramenée ultérieurement à quatre voies, et un mixage stéréo fut réalisé par l'auteur en 1968.
C'est bientôt au tour de Milan d'avoir son studio, là aussi à la radio (RAI), dont Bruno Maderna et Luciano Berio seront les hôtes les plus illustres.
Ainsi est née en l'espace de quelques années, non seulement une nouvelle manière de produire la musique, avec des machines – au lieu de partitions, d'instruments et d'interprètes – mais une nouvelle forme d'institution, qui rassemble compositeurs, techniciens et chercheurs pour cette activité qu'on dénomme recherche musicale.
(date de rédaction : 1999)