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La Communauté européenne du Charbon et de l'Acier (CECA) célèbre son vingtième anniversaire. Retour sur cette organisation internationale née au Luxembourg avec Jean Monnet, premier président de la CECA, et Gaston Thorn, ministre luxembourgeois des Affaires étrangères.
Février 2022
20 sept. 1972
Lors de la fête de son vingtième anniversaire en 1972, la visibilité de la Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier (CECA) au sein des Communautés européennes perd en importance. En effet, avec la fusion de la Haute Autorité de la CECA et de la Commission européenne, devenue effective en 1967, le premier organisme de gouvernance commune de l’« Europe des six » est absorbé par une structure institutionnelle plus importante. Fêter son anniversaire en 1972 n’a cependant rien de désuet : le reportage le démontre à travers l’éclairage historique délivré par le premier Président de la Haute Autorité, Jean Monnet, et le regard tourné vers l’avenir, incarné par le ministre des Affaires étrangères du Luxembourg, Gaston Thorn. La mise en scène de Luxembourg-ville comme berceau du monde supranational, reposant sur le transfert de compétences nationales vers un organisme européen, témoigne du chemin accompli depuis le début des années 1950. Celui-ci n’avait rien d’évident, comme le précise Jean Monnet. De même, la désignation de Luxembourg comme siège des institutions européennes ne faisait pas partie de la stratégie initiale : elle intervient dans un deuxième temps. Le reportage du journal télévisé français révèle une autre réalité. Lors de l’interview de Jean Monnet, sur un trottoir, on pourra s’étonner que les passants tentent de se frayer un chemin, visiblement sans reconnaître le « père de l’Europe ».
La CECA apparaît comme une leçon tirée de la guerre – le reportage insiste sur les liens entre pays qu’elle aurait créés (pas entre sociétés) –, mais aussi comme produit et « compagne de route » de la longue phase de croissance économique que vont connaître les pays européens à partir de l’après-guerre.
Un avenir différent peut toutefois être entrevu dans les commentaires de Gaston Thorn, évoquant les difficultés pour l’industrie du charbon et la nouvelle concurrence pour l’industrie sidérurgique. Alors que le nombre d’ouvriers ne cesse de diminuer depuis une décennie dans les mines de fer du bassin transfrontalier franco-luxembourgeois, l’optimisme de ce responsable politique luxembourgeois témoigne de certitudes qui ne seront définitivement ébranlées qu’avec les conséquences de la crise pétrolière de 1973.
Ses déclarations renvoient aussi à la longue histoire industrielle commune du Luxembourg et de la Lorraine du fer dont les évolutions semblent très similaires jusqu’à la crise des années soixante-dix. L’historien Pascal Raggi a rappelé que celle-ci frappe durement les deux régions : entre 1974 et 1976, le nombre des ouvriers sidérurgistes lorrains passe de 56 000 à 52 000, la part de la Lorraine dans la production d’acier française descend en-dessous de 50 % ; au Luxembourg, la production passe de 6,5 millions de tonnes en 1974 à 4,6 millions de tonnes en 1975. Les pouvoirs politiques des deux côtés de la frontière avaient pourtant tenté d’anticiper un ralentissement de la conjoncture sidérurgique avec des stratégies de diversification depuis les années 1960. Au Luxembourg, ces stratégies profiteront alors du développement rapide du secteur bancaire (dont les effectifs triplent entre 1965 et 1975) et de son rôle de siège d’institutions européennes, depuis l’installation de la Haute Autorité, signe de son ouverture sur le monde et d’une certaine attractivité internationale. Depuis l’après 1973, l’homogénéité sociale du sud du Luxembourg et de la Lorraine du fer disparaît progressivement et ce, paradoxalement, au moment où les frontières entre États deviennent de plus en plus perméables, processus favorisé par l’intégration européenne.
Du point de vue actuel, ce reportage sur l’anniversaire de la CECA ouvre non seulement sur le passé et les acquis de celle-ci, mais révèle un pan d’un avenir dont les contemporains peinent cerner les contours.